Partout en Occident, les négationnistes de la pandémie ont porté la Suède aux nues depuis qu’on a appris le mot « coronavirus ». Pourquoi ? Parce que la Suède n’est pas entrée dans la danse en matière de mesures sanitaires.

La Suède n’a jamais imposé le masque dans les endroits publics (elle vient de le recommander). La loi suédoise ne permettrait pas d’imposer des amendes pour non-port du masque, même s’il était obligatoire. La Suède n’a pas fermé les cafés, les bars, les salles de sport, les restaurants.

PHOTO JONATHAN NACKSTRAND, AGENCE FRANCE-PRESSE

« La Suède n’a jamais imposé le masque dans les endroits publics (elle vient de le recommander). La loi suédoise ne permettrait pas d’imposer des amendes pour non-port du masque, même s’il était obligatoire », rappelle notre chroniqueur. Ici, le centre-ville de Stockholm, en Suède.

Pour les libertariens qui trouvent toujours qu’il y a trop d’État et qu’on fait peur au monde avec cette « fake pandémie », selon les mots des Jeff Fillion de ce monde, la Suède était une sorte d’eldorado sanitaire, un paradis du laisser-faire où on faisait confiance à la liberté individuelle pour tuer le virus… amen !

(Re)lisez la chronique « Le masque et nous »

L’ironie était grosse comme une Volvo XC90 : des libertariens qui admirent un pays social-démocrate incarnant l’idée même d’un État interventionniste qui protège ses citoyens au moyen d’un immense filet social financé par un taux d’imposition pouvant monter jusqu’à 57,5 % pour les plus riches… Tout ce que les libertariens détestent !

Mais je note qu’après neuf mois de pandémie, la Suède est pas mal moins citée par ceux qui pensent que le Canada en fait trop, que le Québec a peur de son ombre et que le port du masque est un signe de la dictature sanitaire qui veut nous réduire à l’esclavage sous l’œil maléfique de Bill Gates…

Car ça ne va pas bien, en Suède.

Les lits de soins intensifs sont occupés à 100 %, à tel point que la Finlande a offert de soigner des Suédois. Des infirmières épuisées démissionnent. Les taux d’infection en Suède sont immensément plus importants que ceux de ses voisins.

Dans le dernier mois, la Suède a enregistré 1700 morts. Ses voisins norvégien et finlandais : 100 morts chacun.

Lisez l’article « Lockdowns in Italy as Austria goes into lockdown for third time – as it happened », du Guardian (en anglais)

Une commission indépendante a d’ailleurs décrété après enquête que la stratégie de laisser-faire du chef de la Santé publique suédoise avait été un échec.

Dans le contexte que l’on connaît, le refus suédois de fermer les bars, les restaurants, les salles de sport et de ne pas imposer le masque obligatoire dans les endroits publics fait penser à un pays où le taux de mortalité routière serait plus élevé que chez ses voisins, mais qui continuerait à s’entêter à ne pas imposer de limites de vitesse… et qui n’obligerait pas les gens à porter leur ceinture de sécurité.

Le chef de la Santé publique de la Suède, Anders Tegnell, pense par exemple que rien ne prouve que le masque soit efficace. Ce qui n’est pas faux : les études scientifiques n’offrent pas de certitude bétonnée que le masque est efficace à 100 %…

Ces études, gazantes à lire, sont en nuances, assument une part d’incertitude. Si ça vous intéresse, en voici une qui regroupe 172 études provenant de 16 pays, publiée dans The Lancet. Les conclusions en teintes de gris donnent à penser que le masque fonctionne dans certaines situations, avec d’autres mesures… Mais il n’y a pas de certitude en béton.

Lisez l’étude dans The Lancet (en anglais)

Sur le masque, M. Tegnell n’a donc pas tort, quoi. Mais il n’a pas raison non plus. Y a de l’incertitude, y a du gris, deux concepts qui donnent la migraine aux grandes gueules libertariennes qui polluent le débat public. Cette pandémie aura mis à l’épreuve notre seuil de tolérance à l’incertitude.

Ceci n’est pas une chronique sur les déboires de la Suède. Je ne me réjouis pas des souffrances de mes semblables. J’espère que les Suédois vont s’en sortir, ou à tout le moins ramener les statistiques au niveau de celles de leurs voisins.

Je n’ai personnellement jamais été ni pour ni contre le « modèle suédois » de lutte contre la pandémie, j’ai toujours été tout simplement dubitatif : la Suède adoptait un modèle bien peu adopté ailleurs. Je me disais que c’était sur le long terme qu’on pourrait évaluer qui a adopté les bonnes et les mauvaises mesures. Je le pensais en avril. Je le pense encore.

(Re)lisez la chronique « Choisir ses morts »

Le mot incertitude, en suédois, se dit osäkerhet. Ceci est une chronique sur les dangers des certitudes et sur l’inévitabilité des incertitudes à l’époque du coronavirus. Il faut vivre avec le virus, jusqu’à la vaccination de masse, mais il faut aussi apprendre à vivre avec l’osäkerhet

Je voulais, surtout, rappeler que les désinformateurs qui tripaient sur la Suède au point de vénérer le drapeau bleu et jaune sont soudainement un peu plus tranquilles, en cette fin d’année.

Les désinformateurs sont allergiques à l’incertitude.

Ça n’attire pas l’attention, l’incertitude.