(Québec) Le conseil innu Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam (ITUM) amorce officiellement ses démarches pour s’affranchir de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). La communauté de la Côte-Nord dévoile mercredi son plan d’action pour arriver à présenter d’ici un an un premier « projet de loi innu » visant la protection des enfants.

Le plan nommé « Tshisheuatishitau », ce qui signifie « bienveillance » en langue innue, concrétise les visées de la communauté, qui planche sur son propre modèle de gouvernance depuis maintenant une décennie. ITUM réclame sa pleine autonomie pour offrir un service de protection de la jeunesse adapté aux réalités autochtones.

À deux reprises cet automne, les Innus sont descendus dans la rue pour protester contre les interventions de la DPJ dans la communauté.

« Ces manifestations portent le cri du cœur de nombreux parents et familles innus qui souhaitent des changements dans les pratiques de la DPJ », est-il écrit dans le document que La Presse a pu consulter.

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Le projet « Tshisheuatishitau » s’inspire du modèle atikamekw — qui a conclu une entente avec Québec en 2018 pour la création d’un régime particulier de protection de la jeunesse —, mais va plus loin.

Contrairement aux Atikamekw, les Innus souhaitent adopter leur propre loi en vertu de la loi fédérale C-92 qui reconnaît le droit des autochtones à déterminer leurs pratiques en matière de services de protection de l’enfance.

Elle est entrée en vigueur au pays en janvier 2020, mais le gouvernement Legault la conteste devant les tribunaux puisque les services sociaux sont de compétence provinciale.

Selon nos informations, ITUM doit signifier formellement ses intentions aux gouvernements provincial et fédéral, cette semaine. La communauté disposera ensuite d’une année pour présenter son projet de loi.

Les Atikamekw ont négocié un accord en vertu de l’article 37.5 de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) et demeurent donc assujettis à la loi provinciale, ce que veulent éviter les Innus.

Réduire les statistiques

Au cœur des objectifs : réduire la surreprésentation des enfants innus à toutes les étapes de la « trajectoire » de la protection de la jeunesse. Depuis six ans, le nombre de signalements à Uashat mak Mani-Utenam a augmenté de 128 %. Les signalements retenus sont aussi en hausse de 102 % depuis 2014.

Au 31 mars 2020, 210 enfants étaient suivis en protection de la jeunesse. C’est plus de 15 % des mineurs dans la communauté de quelque 4500 âmes.

On vise aussi à réduire considérablement le taux de judiciarisation des dossiers qui atteint actuellement 96 % à Uashat. Le modèle des Atikamekw a permis de diminuer de 80 % la judiciarisation des cas.

> Pour relire « Le modèle “approuvé” des Atikamekw »

ITUM veut être responsable de la réception et du traitement des signalements, de l’évaluation et de l’orientation des dossiers, du choix du régime (volontaire ou judiciaire) et de la révision. Pour l’heure, les services sociaux Uauitshitun gèrent uniquement « l’application des mesures » prises en vertu de la LPJ.

Le modèle « Tshisheuatishitau » place l’enfant au cœur du processus. Il reflète « [les] valeurs culturelles, [les] modes de vie et en particulier [les] manières uniques de prendre soin des enfants de la communauté ». Il fait en ce sens une place à la famille élargie. Les décisions se prendraient aussi en « Conseil de famille ».

Comme chez les Atikamekw, un « Conseil des sages » constitué d’aînés pourrait trancher si les parents n’arrivent pas à s’entendre. Un « directeur de la bienveillance » assurerait le rôle du réviseur. On veut aussi mettre en place un « Cercle d’aidants » pour accompagner le parent dans sa réhabilitation.

Le conseil innu admet dans son plan qu’il « devra faire la preuve qu’il a la structure, le savoir-faire et les moyens pour pouvoir assumer l’ensemble de ces responsabilités ». Le plan d’action cible d’ailleurs une série d’étapes à franchir pour être fin prêt à devenir indépendant.

On veut, d’ici les prochains mois, développer une « banque » de familles d’accueil sur le territoire innu, mettre en œuvre une commission spéciale pour le bien-être des enfants et implanter des services spécialisés en dépendance. Avant d’être adoptée, la future loi sera soumise à un référendum dans la communauté.