Au moment de l’enlèvement de James Richard Cross, Julien Giguère était lieutenant-détective chargé du renseignement à la Section antiterroriste (SAT) de la police de Montréal. Il a été un acteur capital dans cette affaire.

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Le capitaine Julien Giguère, en septembre 1990

« Le 5 octobre 1970, je commençais officiellement mes tâches de lieutenant-détective responsable du renseignement à la SAT. Auparavant, j’étais chargé des enquêtes. Je suis arrivé au bureau vers 9 h et j’ai vu que tout le monde courait partout. On m’a d’abord dit qu’un ambassadeur grec avait été enlevé. Mme Cross avait dit à un sergent que son mari était diplomate de la “Great Britain”. Il avait mal compris. Une fois la chose démêlée, j’ai demandé à tous les enquêteurs de parler à leurs informateurs. On était 12 enquêteurs. Dans les heures et les jours qui ont suivi, on est passés à une centaine. On se réunissait dans un amphithéâtre du quartier général de la SAT qui était au coin de Saint-Zotique et Henri-Julien. On a ajouté plusieurs téléphones et des appareils pour enregistrer. Ce fut une période difficile, mais en même temps, j’étais sûr qu’on allait y arriver. Je savais qu’on avait les ressources nécessaires pour parvenir à nos fins. »

Marc Laurendeau

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Marc Laurendeau, en avril 1969

Des médias ont parlé de quatre « individus » à l’origine de l’enlèvement de James Cross. D’autres de cinq. Huit ans après les évènements, le journaliste Marc Laurendeau a clarifié les choses.

« J’étais étudiant en sciences politiques à l’Université de Montréal quand Cross a été enlevé. J’avais déjà complété ma formation comme avocat. Ma carrière d’humoriste avait également été amorcée avec Les Cyniques. Le matin du 5 octobre, quand j’ai appris que Cross avait été enlevé, j’ai tout de suite eu le sentiment que quelque chose d’important venait de se produire. Le FLQ avait posé des gestes depuis 1963 (manifs, bombes, etc.), mais là, ça montait de plusieurs crans. Quand arrive l’enlèvement de Cross, il y a un saut qualitatif. On ne s’en prend plus aux biens, mais aux personnes. Cet évènement m’a intéressé au point où, en 1978, j’ai fait des entrevues à Paris avec des membres de la cellule Libération. C’est là que j’ai découvert l’existence d’un sixième ravisseur, car jusque-là, on avait toujours parlé de cinq ravisseurs pour Cross. Plusieurs personnes savaient qu’un enlèvement de la sorte se préparait. La preuve étant que le matin du 5 octobre, quand le téléphone a sonné chez MMichel Côté, chef du contentieux à la Ville de Montréal, il a entendu à l’autre bout du fil Marcel Saint-Aubin, directeur de la police de Montréal, dire : “C’est arrivé !” »

Louis Fournier

PHOTO FOURNIE PAR LOUIS FOURNIER

Louis Fournier

Louis Fournier, qui était journaliste à CKAC, a vécu ces évènements de manière intense. Cela a fait de lui, au fil des années, un grand spécialiste du FLQ et de la crise d’Octobre.

« Je travaillais, comme tous les matins de la semaine, à la station CKAC. Je rédigeais et présentais les bulletins de nouvelles. On a été mis au courant qu’une enveloppe avait été déposée à l’intention de CKAC au pavillon La Fontaine de l’UQAM. Il y en avait également une pour CKLM et Québec-Presse, un hebdo de gauche où je collaborais les fins de semaine. Chaque enveloppe contenait un communiqué avec les demandes et le manifeste. Un de mes collègues s’est rendu à l’endroit indiqué, mais les enveloppes avaient été interceptées par la police. On n’a jamais su comment ils avaient appris ça. Voyant cela, le FLQ m’a envoyé le lendemain [6 octobre] une autre enveloppe. C’est arrivé par taxi. C’est comme cela que j’ai pu lire intégralement le contenu du manifeste le 7 octobre, soit la veille de sa présentation sur les ondes de Radio-Canada [par Gaétan Montreuil]. La direction de CKAC avait une peur bleue de se faire accuser de participer au mouvement du FLQ. »

François Bourassa

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François Bourassa

François, le fils de Robert Bourassa, avait 11 ans au moment des évènements. Il n’a, bien évidemment, pas vécu les choses comme les autres enfants de son âge.

« Mon père avait été élu en avril et il passait ses semaines à Québec. Comme on se faisait construire une maison à Montréal, ma mère vivait dans la résidence familiale à Sorel. Moi, j’étais pensionnaire au Mont-Jésus-Marie. Le souvenir que j’ai de l’enlèvement de James Cross, c’est que rien ne change pour moi. Je ne faisais pas l’objet d’une surveillance particulière. En revanche, cinq jours plus tard, lorsque Pierre Laporte a été enlevé, là, on m’a retiré du collège et on m’a amené à Sorel chez ma grand-mère. La maison était continuellement surveillée par la police et, quelques jours plus tard, par l’armée. Je me souviens des hélicoptères qui survolaient la maison et des barbelés qui l’entouraient. J’ai suivi mes cours à la maison pendant trois mois. Ma mère me donnait des cours et une prof d’anglais venait à la maison. Je me rends compte aujourd’hui, malgré toute cette ambiance, à quel point j’ai été mis à l’écart de tout cela. On voulait sans doute me protéger. »

Marc Lalonde

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Marc Lalonde

Marc Lalonde, fidèle bras droit de Pierre Elliott Trudeau, fut une voix importante de la crise d’Octobre. Il assura avec beaucoup de tact des liens avec le gouvernement du Québec.

« Je partageais un appartement avec un collègue à Ottawa. J’avais l’habitude d’écouter la radio le matin. J’ai été estomaqué d’entendre ça. Je suis immédiatement rentré au bureau. M. Trudeau, qui n’écoutait pas la radio, avait été mis au courant de la chose par le ministère des Affaires étrangères. Avant cet évènement, on suivait cela comme des activités criminelles. On laissait ça aux provinces et à la police. Ce n’était pas une prérogative du gouvernement fédéral. Mais ce qui arrive le 5 octobre 1970 est perçu comme une attaque contre le gouvernement fédéral qui est responsable des diplomates étrangers en poste au Canada. M. Trudeau a été secoué par cet évènement. Mais en même temps, il était conscient que ce qui se passait était un défi pour le gouvernement fédéral. C’est clairement ce que ce mouvement voulait, d’ailleurs. Rapidement, un groupe a été créé autour de M. Trudeau. J’ai surtout travaillé avec le sous-ministre, Marcel Cadieux, un homme extraordinaire, et ses deux adjoints, Allan Gotlieb et Maxwell Yalden, deux hauts fonctionnaires brillants. On était constamment en réunion. Cet épisode fut le plus triste de toute ma carrière politique. »

Claude Poirier

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Claude Poirier. en avril 1971

Tôt le 5 octobre 1970, des journalistes ont appris ce qui se passait au 1297, croissant Redpath par l’entremise des radios à ondes courtes. Claude Poirier, reporter aux affaires criminelles à CJMS, était l’un de ceux-là.

« Je me suis rendu immédiatement sur place. Il y avait beaucoup de monde. J’ai réalisé que la police de Montréal n’était pas équipée pour faire face à une situation semblable. Plus tard sont arrivés les “grands chapeaux” [la GRC]. C’est intéressant de voir avec le recul à quel point cet enlèvement a été moins important que celui de Pierre Laporte. Pourtant, c’est le véritable début de la crise. La raison est fort simple : c’était un diplomate britannique ! J’ai toujours dit : quand tu as un cadavre, tu n’as plus aucun pouvoir de négociation. Durant cette crise, j’ai passé des nuits à l’hôtel Iroquois avec le journaliste Normand Maltais et MRobert Lemieux, le négociateur du FLQ. Lemieux refusait d’embarquer dans les véhicules de la SQ. Je partais avec lui dans ma voiture identifiée CJMS et on entrait dans le sous-sol d’Hydro-Québec [où se trouvaient les bureaux du gouvernement du Québec]. Au retour, il me parlait et me disait : “Ils sont fous ces tabarnaks-là.” »

Michel Drapeau

Michel Drapeau, fils de Jean Drapeau, était jeune étudiant en droit lorsque James Cross a été enlevé. Il se souvient de l’absence de son père, de la gravité qui l’habitait, des émotions qu’il a, au bout du compte, su exprimer.

« J’étais le seul des trois enfants à vivre avec mon père et ma mère. Mon frère Pierre était marié et mon frère François était pensionnaire au collège. Ce dont je me souviens c’est qu’on m’a demandé de cesser mes études en droit à l’Université de Montréal. J’ai refusé. On a plutôt opté pour des mesures de sécurité très strictes. Des trucs comme ne jamais stationner ma voiture à la même place, toujours vérifier mon véhicule avant d’y monter, ne jamais dire aux gens où j’allais. Notre maison était surveillée jour et nuit par la police et, plus tard, par l’armée. Je n’ai pas beaucoup vu mon père durant cette période. Il passait beaucoup de temps à l’hôtel de ville. Ce fut une période difficile pour lui. Lors des funérailles de Pierre Laporte, il a laissé aller ses sentiments et a pleuré. Ma mère était très inquiète. Mais bon, on est passés à travers de tout cela ensemble. »