Parfaits pour les retraités, les bateaux de croisière? Pas seulement. Les milléniaux ont sauté à pieds joints dans ce modèle de vacances et les croisiéristes multiplient les courbettes pour en attirer davantage.

La croisière, une affaire de jeunes?

Vous avez de 25 à 40 ans? On vous veut sur un bateau de croisière.

C'est le message très clair lancé par le géant de l'industrie, Uniworld, qui offrira dès l'hiver prochain toute une gamme de croisières réservées aux clients âgés de 25 à 40 ans. Une première dans l'industrie, mais certainement pas une dernière.

Car les chiffres sont là et ne mentent pas : même si les croisières se coltinent encore la réputation d'être une affaire de baby-boomers, la réalité est devenue tout autre: les milléniaux seraient même en passe de les supplanter.

Selon un sondage publié en janvier 2017 par l'Association américaine des agents de voyage (mené auprès de 1522 américains), le tiers des milléniaux ont fait un voyage sur l'eau au cours des cinq dernières années, contre 18 % pour les baby-boomers. Mieux, ils les adorent: 61 % des milléniaux qui ont fait une croisière ont aimé fortement leur expérience, contre 56 % des autres groupes d'âge en moyenne. Du coup: avec la génération X, ils sont aussi plus nombreux que tous les autres groupes d'âge à planifier une récidive (60 % ont affirmé, dans un sondage mené par l'Association internationale des compagnies de croisières AICC, qu'ils vont assurément partir en croisière lors de leurs prochaines vacances).

«L'industrie a toujours cherché à attirer une clientèle plus jeune», indique Bob Levinstein, PDG du site CruiseCompete.com.

«Sauf qu'avant, la moyenne d'âge était plus autour de 60 ans et qu'on était contents d'attirer des gens dans la cinquantaine, poursuit M. Levinstein. On s'est beaucoup rajeunis. L'époque où on disait que les bateaux de croisière étaient des "bateaux-cercueils", où l'on débarquait même un défunt dans chaque port, est bien révolue.»

«Les milléniaux ont des revenus plus élevés, ont davantage d'argent et les croisières se révèlent une option des plus intéressantes pour le dépenser», renchérit Cindy D'Aoust, présidente et directrice générale de l'AICC.

Des croisières qui bougent

Ceci explique cela: les croisières ne sont plus ce qu'elles étaient il y a 20 ans à peine. On ne s'amuse plus seulement en jouant au bridge en robe coquetel et en veston propret, après un chic repas cinq services. Les attractions proposées sur certains navires rivalisent avec les parcs d'amusement pour faire vivre à leurs passagers des sensations fortes: pistes de kart, glissades d'eau, tyrolienne, simulateurs de vol ou encore des jeux gonflables pour enfants.

Les restaurants ne servent plus seulement les repas à heures fixes, aux clients qui respectent un code vestimentaire, mais à toute heure et à tous: Carnival se vante d'avoir à bord une pizzeria ouverte 24 heures pour les danseurs qui quitteront, affamés, la piste de danse des discothèques ouvertes toute la nuit.

«Les croisiéristes se sont adaptés, observe Aude Lenoir, analyste en veille stratégique au Réseau de veille en tourisme de l'Université du Québec à Montréal. Les navires ont été rénovés et les nouveaux sont mieux adaptés. La technologie est plus présente à bord.» Le WiFi n'est plus une option, c'est la norme; on offre de plus en plus le paiement avec un bracelet plutôt qu'avec une carte de crédit.

D'un côté, on séduit donc les milléniaux qui ont des enfants et veulent que toute la famille y trouve son compte, comme dans un «tout-inclus» plus classique. Mais de l'autre, on séduit aussi ceux qui ont envie de découvertes, remarque Mme Lenoir.

«Ce n'est plus une croisière qu'on vend, c'est une expérience, car on sait que c'est ce que les milléniaux préfèrent: vivre une expérience», explique Aude Lenoir, analyste.

C'est ainsi qu'on a aussi entrepris d'offrir une foule de cours en tout genre et qu'on propose maintenant de plus en plus de croisières thématiques, promettant aux clients de devenir en quelques jours un expert en vins, un maître sushis ou encore de suivre un entraînement spécifique en vue de son prochain triathlon. Le marché est très segmenté: on veille à en offrir pour tous les goûts.

«On va en vacances pour se reposer, mais les milléniaux veulent aussi avoir quelque chose à se raconter, et la croisière se prête bien à cela, remarque de son côté Debbie Cabana, directrice marketing chez Transat. Le fait qu'on peut visiter plusieurs ports permet de découvrir beaucoup, sans avoir à planifier.»

D'une ville à l'autre

Le groupe Uniworld proposera ainsi pour son volet réservé aux 25-40 ans des itinéraires fluviaux, essentiellement en Europe, avec des arrêts à Paris, Amsterdam, Budapest, avec une différence de taille: le bateau y restera au moins une nuit pour permettre aux passagers de profiter de la vie nocturne de la ville, ses bars et boîtes de nuit, alors que les itinéraires classiques prévoient plutôt des arrêts de jour, profitant de la nuit pour les déplacements.

Le Québec a encore, cela dit, du travail à faire pour attirer cette clientèle: «seulement 5 % des passagers des croisières sur le Saint-Laurent ont entre 18 et 35 ans», remarque Aude Lenoir. Les bateaux qui y circulent sont plus petits et ont moins d'activités à proposer à bord, explique la spécialiste qui croit toutefois que la donne pourrait changer si les croisiéristes exploitent davantage le volet «expédition» en proposant des excursions plus dynamiques, par exemple des sorties en kayak, de l'escalade de glace, etc., pour attirer une clientèle en quête de sensations fortes.

Et l'intérêt est là, selon Cindy D'Aoust: «L'Amérique du Nord concentre plusieurs destinations chouchous des milléniaux [...]. Les Américains aiment que le port de départ soit accessible en voiture, sans prendre l'avion.» La Méditerranée, dit-elle, attirerait une clientèle internationale, mais généralement plus aisée.

Trajets courts, d'aventure ou en solo

Voici trois autres tendances à avoir à l'oeil dans l'industrie de la croisière, susceptibles de plaire aux milléniaux.

La croisière courte

Si la durée moyenne d'une croisière est encore de sept jours, celles de trois à quatre jours gagnent en popularité, note Cindy D'Aoust, présidente et directrice générale de l'Association internationale des compagnies de croisière (AICC): «Ce genre de croisière permet aux passagers de partir un long week-end, sans avoir à s'absenter du travail trop longtemps.» Cela plairait particulièrement aux jeunes travailleurs, qui ne profitent pas toujours d'une banque de vacances bien remplie. A contrario, les expéditions les plus longues - de deux semaines et plus - séduiraient davantage les retraités.

Les croisières d'aventure

L'Arctique? Ce n'est pas la première destination qui vient en tête en parlant de croisières, mais pourtant, il faudra s'y faire, note Aude Lenoir, de la Chaire de recherche transat de l'UQAM, car les croisières d'aventure ont la cote. En 2016, une première croisière de la compagnie Crystal a emprunté le passage du nord-ouest pour relier l'Alaska à New York; en 2017, 33 navires devaient faire escale en Alaska.

La croisière en solo

Les croisiéristes tentent de plus en plus d'attirer les voyageurs solitaires qui, il n'y a pas si longtemps, devaient débourser le prix de deux passagers - soit d'une cabine complète - pour voyager. On leur charge maintenant un supplément d'environ 30 % par rapport au prix courant, note Mathieu Robert, spécialiste des croisières chez Gendron Voyages. Plusieurs compagnies - Royal Carribean, Norwegian, Cunard - ont adapté leurs navires et disposent de cabines prévues pour un seul passager.

PHOTO LOÏC VENANCE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des passagers du Queen Mary 2 se détendent pendant une traversée de l'océan Atlantique.