Sainte-Lucie est célèbre pour sa baie de Rodney, un petit coin de paradis où les stars vont se péter la face dans des grands complexes cinq étoiles, à l'abri des paparazzis. Une baie au sable fin comme de la cocaïne et à l'eau émeraude dans laquelle on peut contempler le reflet de ses bijoux. On raconte d'ailleurs que c'est ici, à Rodney Bay, la «bioutifoule», l'exclusive, que la cantatrice Amy Winehouse a réussi pour la première fois à faire de la planche à voile en chaussures à talons hauts, sans mouiller ses cheveux et sans renverser son martini. Génial, hein ?

Preuve qu'elle n'est pas seulement une excellente chanteuse et une source intarissable de potins si captivants.Mais il existe une autre réalité à Sainte-Lucie : un autre monde, comme une face cachée, qui s'appelle... le reste de l'île.

Je m'arrête chez Archie's Guesthouse, dans la rue principale, à la Soufrière, dans la baie du même nom. La Soufrière est un joli petit village, entassé au fond d'une vallée au bord de la mer et surplombé par deux pitons spectaculaires. Quand j'y ai vu le mot «guesthouse», mon coeur a cessé de battre. Un «guesthouse» dans les Antilles, et à Sainte-Lucie ? Pincez-moi, je rêve !

C'est une taverne, avec cafétéria adjacente et chambres à l'étage.

«Combien pour la chambre ?

- Cinquante dollars.»

Je réfléchis un peu.

La veille, on m'avait demandé 100 $ pour une chambre très ordinaire. J'étais étonné...

«Cent dollars ?

- Avec vue sur la mer.»

Et avec un frigo qui coule sur un tapis brun qui pue, un ventilateur aussi bruyant qu'un hélicoptère et un lit dans lequel vient de se coucher un gros chien roux.

Franchement, je dois vous avouer qu'à ce stade de mon périple, j'étais un peu désemparé. Mon but, aux Petites Antilles, était de vous dénicher des coins sympas, adaptés à toutes les bourses, où il serait possible de vivre au rythme des habitants. Mais il ne semble pas y avoir ici de telles possibilités pour les rêveurs... Et je commençais à trouver que le sable et l'eau salée coûtent cher en ta... ! Rapport qualité-prix ? Bof... Si toutes les îles des Petites Antilles sont aussi chères, moi, je retourne volontiers au Japon: pour le même prix, je ferais un voyage cent fois plus fascinant... Devrai-je me procurer une tente et camper sur la plage ?

Le monsieur, prénommé Archie, précise.

«C'est 50 $ des Caraïbes.

- Vous dites ?»

Cinquante ECD, cela représente à peine 20 $US... Wow. Pour le même prix, tu prends le petit-déjeuner en Martinique, et c'est un petit-déjeuner français, c'est-à-dire un espresso, un croissant et une Gauloise sans filtre.

Enfin, quelque chose qui vaut le prix que ça vaut et qui correspond à mon budget! Je suis ravi car, en plus d'une chambre coquette, baignée par la lumière du soleil, avec des rideaux roses et des draps assortis, j'ai le deuxième étage du resto-bistro à moi tout seul! Une grande salle de bains, une cuisine presque fonctionnelle, un petit bureau d'où vous écrire en paix, un grand balcon... Et de la musique en masse! De la maison en construction d'en face, la musique de Led Zeppelin, Stairway to Heaven. Du bar à côté, une chanson country, qui raconte sûrement l'histoire d'un trucker, d'une cuisse de poulet et d'une waitress. De la taverne sous mes pieds, un calypso ensoleillé et énergique. De la brasserie de la rue voisine, un agressant reggae hard-core, plus proche du gangsta rap que de la Jamaïque... Et tout cela à fond! Un cas de bouchons dans les oreilles? Je m'en fous. Moi qui voulais être au milieu de l'action, je ne pouvais espérer mieux.

Et j'ai pourtant eu mieux...

Comme une soirée à regarder le cricket à la télévision avec une bande de vieux rastas.

Comme une agréable discussion avec une vieille madame pas de dents qui mangeait du pain blanc en le trempant dans du Sprite.

Comme un coup de soleil sur les fesses dans un bain thermal qui surplombait la forêt tropicale.

Comme cette camionnette qui vient de s'arrêter à ma hauteur, alors que je marchais vers le sommet de la montagne...

«Salut Bruno, tu t'en vas où? On pensait jamais te voir ici !»

Les Lauzé, François et Lynn, étaient en vacances avec leurs deux mignonnes filles, Alexandrine et Anne-Sophie. Ils m'ont invité à les accompagner sur la pointe de l'Anse Chastanet, pour une journée de plongée et de baignade. Sans hésiter, j'ai sauté dans le véhicule.

Et la belle journée qu'on a passée !

On a nagé avec les barracudas, on a vu de beaux fonds marins, on s'est enterrés dans le sable, et ils sont venus me rechercher le lendemain.

Ça m'a joliment réconcilié avec les vacances dans le Sud... Et ça met un charmant point final au segment «Bruno à la plage» pour l'année. Merci, les Lauzé !

Maintenant, si on quittait la plage pour... un volcan en éruption ?