Déjà dans le train vers Bad Wildbad, le programme était tout tracé. Des groupes de personnes âgées maugréaient contre les jeunes hommes plastronnés qui encombraient les wagons avec leurs vélos de montagne. Dès que le funiculaire de la Sommerberg (la montagne de l'été) a été atteint, au beau milieu de cette ville thermale, chacun a joué des coudes pour être le mieux placé dans la file d'attente.

La promenade du dimanche est une affaire sérieuse en Allemagne. Il y en a pour tous les goûts: les retraités devaient faire un arrêt aux endroits où les pistes de vélo de montagne croisaient les sentiers pédestres. Au sommet d'une petite pente de ski, une maman préparait son garçon de 5 ou 6 ans pour une descente dans une piste de cyclistes débutants qui faisait seulement 200 mètres, mais avec un dénivelé et des slaloms respectables (on peut louer des vélos à cet endroit).

Arrivés à la Grünhutte, après six kilomètres de randonnée facile dans les larges sentiers bien entretenus (la Sommerberg est plutôt une large crête), bordés d'un mélange varié de feuillus et de conifères, j'ai compris pourquoi je ne voyais que des retraités autour de moi. La hutte verte, un petit restaurant qui cuisine des plats locaux avec soin, était déjà pleine de familles avec des enfants, allant du bébé à l'adolescent. Des randonneurs plus prévoyants faisaient griller des saucisses sur des feux de bois (des bûches sont disposées par les gardes forestiers près des sentiers et des feux). Quelques jeunes adultes repus faisaient la sieste dans une clairière en légère pente, réchauffée directement par le soleil.

Mis à part l'attente en file pendant une demi-heure, l'expérience du repas à la Grünhutte est enchanteresse. Deux ou trois types de saucisse et de boudin, des raviolis géants à la viande dans un bouillon consistant, des pâtés et viandes froides de la région sur un plateau de bois, des gâteaux et crêpes fourrés avec divers petits fruits, et évidemment la choucroute ou la salade crémeuse de pommes de terre (sans crème - il est difficile de comprendre comment on la fait, mais c'est exquis et unique à l'Allemagne). On mange à la même table que d'autres groupes, avec des vieilles dames qui ne se gênent pas pour commenter en riant le choix des autres. On nage dans la bonne humeur et on comprend mieux cette hilarité si caractéristique des Allemands.

Il existe d'autres petits restaurants de ce genre le long des sentiers piétonniers de la Forêt-Noire, qui sont aménagés depuis le milieu du XIXe siècle. Il suffit de demander un itinéraire à Schwarzwald Tourismus, qu'on trouve facilement sur l'internet (avec des cartes parfois seulement en allemand). Une petite planification de ce genre fait des miracles: muni simplement de l'information concernant le funiculaire vers la Sommerberg et la Grünhütte, sans même avoir de carte, j'ai trouvé facilement, grâce aux excellentes indications à chaque intersection des sentiers et à quelques vérifications avec des collègues promeneurs. Le nom de la Forêt-Noire remonte aux Romains - et le fameux gâteau forêt noire est une création de Stuttgart, une ville juste au nord.

Après un bon dîner, une petite sieste, on se dit qu'il n'est pas si difficile que ça d'être un «Naturfreund» en Allemagne. Avec la lumière déclinante de la fin de l'après-midi, le contraste des verts feuillus et conifères, et l'auréole de vert plus tendre aux extrémités des branches des conifères, permettent de comprendre l'exaltation des romantiques allemands du milieu du XIXe siècle, qui en quelque sorte sont les pères du mouvement écologiste moderne tout en se trouvant aux antipodes de la vénération pour la nature sauvage nord-américaine.

Avant de quitter Bad Wildbad, une visite aux eaux s'impose. Le Palais Thermal est l'établissement le plus joli, avec des salles d'un mélange classiciste-baroque, conçues voilà 150 ans, mais les maillots y sont interdits. Le Vital Therme, où les maillots sont de rigueur, a les mêmes eaux minérales à 35oC, sous un grand toit vitré qui permet de voir la ville et la colline en face. Pour terminer cette journée bien remplie, un apéro sur le bord de la rivière, dans un des cafés de l'étroite rue partagée par les piétons, les rares voitures et les quelques trains de banlieue.

À Pforzeim, une jolie petite ville qui marque la limite nord-est de la Forêt-Noire, on peut visiter le Schmuckmuseum, le Musée des bijoux. Pour des raisons mystérieuses, le terme «schmuck» a changé radicalement de sens dans son passage par le yiddish vers l'anglais. Schmock désigne aujourd'hui une personne vulgaire. Peut-être les malotrus avaient-ils beaucoup de bijoux, comme les mafiosi ou les chanteurs de rap?