Coûts des loyers en hausse, désir de sortir de l'isolement, normalisation du «mode de vie Airbnb»... La colocation est un mode de vie prisé par de nombreux Montréalais, comme le prouvent les nombreuses annonces pour des «chambres à louer» sur les Kijiji et Craiglist de ce monde. Rencontre avec trois «familles» de colocataires, dans trois coins de la ville.

Charlie et compagnie

Charlie, Français établi ici depuis trois ans, nous propose un «tour du propriétaire» du huit-pièces du Plateau qu'il occupe depuis trois ans. «J'ai vu passer une bonne quinzaine de colocs!», lâche le grégaire néo-Montréalais, qui se targue de n'avoir besoin que de 20 secondes (et d'un peu de «stalking sur Facebook!») pour trancher si la «vibe est bonne ou pas», lors des «auditions» de ses prochains colocs.

Dans le séjour du spacieux appartement bien tenu mais sans luxe, où chacun des colocs occupe une grande chambre meublée, les deux nouvelles occupantes, Ilana et Éloïse, improvisent un duo acoustique à cordes, la première au ukulélé, l'autre à la guitare. Une contribution musicale qui s'annonce de bon augure, pour nourrir le climat de «chaleur et cocon familial» version «Friends en 2016» qu'entend recréer Charlie, avec l'aide de Kijiji. On imagine déjà les tournois de Colons de Catan qui s'étirent jusqu'à 5 h du matin...

«J'essaie de trouver des gens de pays différents de chez moi. La plupart des colocs qui ont vécu ici ne sont pas des Montréalais», dit celui qui, le jour, prépare des fish and chips dans un resto et, le soir venu, peaufine ses numéros d'humoriste stand up.

Éloïse, jeune avocate belge, est arrivée à Montréal il y a trois semaines avec dans ses valises son visa de PVT (Programme vacances-travail). Elle a vite adhéré à l'idéal de «petite famille» que décrit Charlie. «On était tous dans la même vision: on n'avait pas envie d'une coloc où chacun reste dans sa chambre.»

Avant d'atterrir chez Charlie, Ilana a promené son baluchon de comédienne dans des chambres du Mile End et du Plateau. Rouquine anglo qui est née et a grandi dans l'Ouest-de-l'Île, Ilana gagne sa vie en jouant au théâtre et en faisant des voix pour des jeux vidéo.

«Je trouve les gens dans le Plateau plus créatifs, plus ouverts d'esprit que ceux qui vivent dans le coin de Concordia, par exemple, où le climat est plutôt "travail, travail, travail"», lance Ilana, qui se montre très favorable à la tenue prochaine d'un gros party, dans la tradition festive du Plateau des Colocs de Dédé Fortin.

Rien n'est évidemment parfait dans l'écosystème cosmopolite de la colocation de Charlie et compagnie. Des règles de base s'imposent, tout comme une entente tacite sur la nécessité de parfois récurer la cuvette ou encore s'abstenir de convier son ami de coeur du moment à emménager sans frais...

«Le frigo est divisé en quatre, chacun a un placard, et on partage les épices», énonce le coloc en chef. Et puisque le PVT, ce n'est pas seulement les vacances, on se tient tranquille les jours de semaine. «Même si, le week-end, on reste quand même jeunes!», précise Éloïse.

Lors de notre rencontre, les trois colocs anticipaient l'arrivée prochaine d'un quatrième mousquetaire: un Anglais, qui a gagné le coeur des trois colocs en arrivant à «l'interview» à moto, avec le coeur brisé par une récente rupture amoureuse. «Je me suis dit: "Il est parfait", il sera comme un personnage de sitcom», s'enthousiasme Charlie.

Chambres en ville

Charlène est en linguistique, Sarah en ressources humaines, Jean-René en marketing.

Trois étudiants au début de la vingtaine, sérieux, posés et à leur affaire, dans un grand logement du quartier Villeray. Une colocation fonctionnelle, économique, pratico-pratique. Avec, de temps en temps, son juste lot de répits parascolaires comme une bière dans un bar de quartier le mercredi soir ou un coloc qui en invite une autre à étudier dans un café...

Dans le petit salon chaleureux où le trio de colocataires reçoit La Presse, il y a Caroline qui brille par son absence. C'est Jean-René qui garde la place de la jeune femme partie pour six mois faire un stage en Australie, avant de partir à son tour au début de 2017 en échange étudiant...

Cette colocation de la rue Berri a vu le jour dans un petit trois-pièces de la rue Jean-Talon que Sarah partageait avec sa meilleure amie, Caroline. Trop à l'étroit, les deux comparses se sont mises à rêver à plus grand, mais leur budget d'étudiantes exigeait alors le recrutement d'une troisième colocataire.

Lors d'un party, Sarah a rencontré Charlène, la copine d'un ami, qui vivait à Côte-des-Neiges et voulait changer de quartier. Avec un peu de chance, les trois filles ont trouvé un beau grand appartement près des métros Crémazie et Jarry, avec laveuse-sécheuse, tout près du parc Jarry.

Comment on s'y prend, pour trouver et combler une chambre à louer, dans le jeu de chaises musicales des sabbatiques, des échanges, des stages internationaux? «Avant de se référer à des sites comme Kijiji, on puise dans notre réseau de contacts. Facebook aussi, ça marche bien pour trouver des gens avec des références. Si c'est un ami d'un ami, on est plus en confiance», explique Jean-René, un Montréalais d'origine qui a promené sa besace à Laval, puis dans divers quartiers de Montréal.

«Je suis partie d'une vie tranquille à Drummondville pour vivre à Côte-des-Neiges, où ça bougeait beaucoup. J'ai mis du temps à m'adapter», concède Charlène qui, à l'instar de ses deux colocataires, apprécie la tranquillité familiale du quartier Villeray.

Quant à l'ambiance générale de la colocation, elle est plutôt tranquille et cordiale. «Ça dépend des horaires et du mood en général. Quand on se croise, on essaie de parler et de rester ensemble quelques minutes», dit Jean-René, qui apprécie de ne pas avoir à «manger en famille», comme à l'époque où il vivait avec ses parents.

Le mode de vie en colocation, ils l'envisagent encore pour quelques années, le temps de finir leurs études, de voyager encore un peu ou d'économiser assez pour acheter un condo. Parce qu'il n'y a pas que compromis et obligations, dans la vie en colocation, comme le fait remarquer Sarah: «Moi, j'aime bien ça, rentrer à la maison et qu'il y ait des gens dans le salon!»

Photo François Roy, La Presse

Charlène (au centre) et ses colocs Jean-René et Sarah.

Labo multiculturel à Verdun

C'est par l'entremise d'une petite annonce sur Kijiji que nous avons pris contact avec Maxime Carignan-Martel. Le jeune professionnel de la finance y affichait une «chambre à louer» dans un grand appartement de Verdun. Dès les premières minutes de notre entrevue, dans le salon du coloré appartement, Maxime fait part de son admiration pour l'ascension universitaire d'Amani Hariri, sa compagne depuis deux ans..

Et pour cause: brillante spécialiste de la nanotechnologie - elle s'est illustrée en page couverture du magazine Nature -, Amani a été admise pour étudier au postdoctorat à la prestigieuse Université Standford, à San Francisco.

«C'est un contrat d'un an renouvelable, qui peut s'étirer jusqu'à trois ans. Si ça marche, je pourrai rester pour publier...», explique celle qui a quitté son Liban natal pour faire son doctorat à McGill et a rencontré ici Maxime qui, lui, rentrait au bercail après un séjour en Californie.

Pendant qu'Amani ira conquérir le monde de la science californien, Lin Li, jeune étudiante chinoise arrivée au Québec à la mi-septembre, sera la coloc de Maxime. «Dès le moment où je suis entrée ici, j'ai aimé l'appartement, la lumière. Nous avons discuté pendant 20 minutes, Maxime, Amani et moi. Ce qui est très rare, quand on visite des appartements!»

«Au début, je pensais que je serais plus à l'aise si Maxime habitait avec un gars. Mais Lin est venue visiter et nous l'avons trouvée très organisée. Elle savait ce qu'elle voulait. On s'est dit que si elle était organisée dans ses idées, dans sa vie et pour son futur, elle serait aussi organisée dans la maison», ajoute Amani.

Maxime, Amani et Lin, qui en connaissent un peu sur le défi de s'acclimater à une nouvelle ville, échangent sur les particularités du Québec, de l'adaptation à l'accent et à l'humour, des bons points de Verdun, à proximité des métros, des pistes cyclables, du canal de Lachine, du centre-ville... Maxime parle du Verdun d'aujourd'hui, «plus près du Plateau que du repère de gangs de rue» qu'il a connu, enfant. En fait, l'appartement qu'il occupe appartient à son père qui, pendant notre entretien, apparaît brièvement pour obtenir la signature de Lin sur le bail.

Puis, la conversation bifurque aussi vers la prolifération des «arnaques», sur le marché des appartements à louer, une réalité à laquelle se heurte ces jours-ci Amani, qui cherche toujours activement un toit à San Francisco, ville réputée pour ses loyers à coût prohibitif.

«Au début, j'ai perdu beaucoup de temps à envoyer des courriels à des faussaires sur Craigslist. Et vice versa: plusieurs propriétaires que j'ai contactés croyaient que j'étais moi-même une arnaqueuse», raconte Amani, qui commence à se résigner à se rabattre sur une petite chambre à 1500 $ US par mois, dans une maison familiale où elle n'a pas accès à la cuisine...

«Dans le fond, tout ça s'est produit dans les 15 dernières années. Plusieurs jeunes de mon âge vivent avec leurs parents, parce que les loyers sont inaccessibles. Et plusieurs louent leur appartement la moitié du mois et vont vivre chez des amis. Dans ce contexte, Airbnb est devenu une nécessité», indique Maxime, de toute évidence fasciné par ces nouveaux modes de vie en communauté causés par l'hypermobilité des citoyens, les fluctuations du marché immobilier et une économie en mutation.

«Comme Québécois, je me sens investi d'une responsabilité d'être accueillant avec les gens venus d'ailleurs.»

Photo Robert Skinner, La Presse

Maxime Carignan-Martel et sa coloc Amani Hariri.