Alors que de plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer le droit de revendiquer son genre, quel qu'il soit, du côté de la planète mode, de plus en plus de designers et de marques de prêt-à-porter proposent des vêtements unisexes ou dits « sans genre », au look souvent minimaliste et décontracté. Simple reflet d'une tendance du moment ou véritable mouvement de fond ? Pause jette un regard sur ce phénomène... sans frontière.

Le nouveau genre

L'air du temps est à l'unisexe. D'un côté, la notion de genre se fait de moins en moins binaire, avec l'affirmation d'individus aux identités genrées diverses, qu'elles soient transgenres, transsexuelles ou intersexuées, alors que des pays comme la France et l'Australie ont reconnu pour la première fois en 2015 l'existence du sexe ou genre « neutre ». De l'autre, la montée d'une mode à la fois minimaliste, décontractée et d'inspiration athlétique favorise l'apparition de vêtements unisexes conçus pour être portés autant par elle que par lui.

Au Japon, lors de l'ouverture de la Semaine de la mode de Tokyo en mars dernier, le designer Tsukasa Mikami a présenté des mannequins masculins et féminins au look androgyne, chaussés de bottes militaires et arborant des vêtements similaires. Il n'en fallait pas plus pour que les médias s'emparent de l'histoire et décrètent que la mode genderlessétait désormais à l'ordre du jour.

Du côté d'Hollywood, des vedettes comme l'actrice Ruby Rose, qui a produit en 2014Break Free, un court métrage sur les rôles associés aux genres, s'est décrite ouvertement comme « gender fluid » (qu'on pourrait traduire par « identité de genre fluide ou plurielle ») en entrevue.

Il y a aussi Jaden Smith - le fils de Will Smith - qui, dans une entrevue accordée au magazine britannique GQ Style ce printemps, s'ouvrait pour la première fois sur son lookgender neutral (de genre neutre), que d'aucuns ont remarqué lors de ses passages sur le tapis rouge ou dans des publicités pour Louis Vuitton, dont il est la nouvelle égérie.

« Il me semble que les gens sont plutôt perplexes quant aux normes liées au genre [...]. Je n'ai jamais vu aucune distinction. Je ne vois pas de vêtements masculins ou féminins, je vois seulement des gens qui ont peur ou des gens qui sont à l'aise », a-t-il déclaré.

Au Québec, Rad Hourani crée depuis des années déjà des collections unisexes, qui ont défilé notamment à Paris et à New York. « Qui a décidé que l'homme doit être en chemise et cravate et que la femme doit se maquiller et porter des talons ? Je n'essaie pas d'habiller l'homme en femme ou la femme en homme, mais de comprendre d'où viennent ces limitations. Pour moi, l'unisexe n'est pas seulement une façon de s'habiller ; c'est une façon de s'exprimer, une façon d'être », avait déclaré le créateur en entrevue à La Presse en 2013.

De marginal à grand public

Précurseur, Hourani l'est certainement. Alors qu'on imaginait mal il y a cinq ans à peine comment un tel projet était possible - et surtout viable -, voilà qu'aujourd'hui des géants de la mode commerciale comme Zara proposent leur nouvelle collection ungendered(sans genre) à leur clientèle.

Au menu : des t-shirts, chandails à manches longues, blousons bombers, pantalons de jogging et jeans confortables aux coupes XXL et aux couleurs neutres, comme le gris, le kaki, le marine ou le blanc. « Nos clients recherchent vraiment ce type de vêtements. Nous avons aussi remarqué à quel point les jeunes hommes et femmes vont magasiner ensemble et achètent souvent les mêmes articles, peu importe la section du magasin où ces derniers se trouvent », explique Peter Panagopoulos, porte-parole pour Zara au Canada, qui ajoute que la collection est fort populaire depuis son lancement.

Chez COS, une marque européenne offerte depuis l'automne dernier au Québec et détenue par le même consortium que H & M, la mode unisexe a aussi la cote. Après avoir proposé ultérieurement un sac à dos puis un t-shirt blanc unisexes, la marque reconnue pour ses looks hyper minimalistes et postmodernes remet cela ce printemps avec une paire de baskets blanches pour elle et lui.

« Le design de la chaussure utilise des lignes épurées et une bande élastique remplace les lacets, alors que la couleur blanche évoque à la fois la modernité et un côté intemporel et est un parfait équilibre entre la féminité et la masculinité. Le design minimaliste se prête bien au côté androgyne des sneakers », remarque Karin Gustafsson, designer en chef de la collection pour femmes.

De minimaliste à unisexe

Mais cette tendance ne serait-elle justement que cela, une tendance ? Il est clair que les coupes minimalistes et décontractées qui dominent sur les podiums, portées par la vague « athleisure » (des vêtements au look sportif, mais portés dans la vie de tous les jours) depuis quelques saisons ne sont pas étrangères à l'émergence des vêtements unisexes.

« La mode est cyclique et les tendances reviennent toujours. Les vêtements unisexes sont le reflet d'un besoin pour des pièces simples, confortables, pour un look sans prétention, mais aussi moderne et dynamique. Cette tendance a d'abord émergé dans les années 90 en réponse aux mannequins hyper féminines qui défilaient sur les passerelles ; elle revient aujourd'hui en réaction aux tendances très baroques et ethniques », analyse M. Panagopoulos.

À Montréal, la toute nouvelle marque de vêtements Odeyalo, créée à quatre mains par les designers Marie-Ève Proulx et Yana Gorbulsky, propose dans sa première collection printanière trois pièces unisexes - un manteau, un pantalon et un sweat-shirt - offertes dans les tailles XS à L pour le moment, sans égard au sexe.

Si, à l'origine, la collection a été pensée pour ceux qui travaillent à la maison et désirent porter des vêtements confortables, faits de tissus de qualité et à la coupe minimaliste et intemporelle, l'aspect unisexe s'est naturellement imposé aux deux créatrices.

PHOTO FOURNIE PAR COS

Un ensemble signé COS qui pourrait être porté autant par un homme que par une femme.Tunique en satin de coton aux manches exagérées de couleur crème (125$), pantalon large et léger de couleur charbon (135$), sandales avec semelle de bois et ganses en nubuck bleu poudre (175$), COS, offerts en boutique.

« Les vêtements pour femmes sont plus droits et moins féminisés au niveau de la coupe, alors que du côté de l'homme, on voit de plus en plus l'influence de la mode féminine avec des t-shirts plus longs qui évoquent presque la robe, par exemple », note Mme Proulx, qui a travaillé pour de grands noms de la mode comme Buffalo, Dynamite et Jacob avant de se lancer à son compte.

Flatteurs

Cela dit, ce type de vêtements est peut-être là pour rester, car ces pièces allient confort et style, deux aspects recherchés par les consommateurs. Sans compter que les vêtements de type unisexe sont particulièrement flatteurs pour la silhouette féminine, avance Karin Gustafsson.

« D'un point de vue féminin, je crois qu'il y a quelque chose de très attirant dans le fait de porter une chemise pour hommes plus longue ou des jeans boyfriend, dont la coupe est vraiment flatteuse. Je crois que, ces jours-ci, les consommateurs sont beaucoup plus éduqués par rapport à la coupe et au matériel de qualité, qui deviennent plus importants que le genre du vêtement lui-même. »

PHOTO FOURNIE PAR ODELAYO

Le manteau unisexe d'Odelayo est offert en deux teintes. Fabriqué au Canada, il est fait à partir de coton biologique et de polyester recyclé.Manteau Rialto (300$), manteau Larue (300$), Odeyalo, offerts dans quelques points de vente et en ligne à odeyaloclothing.com.

Pour les enfants aussi

S'il y a bien un domaine où les genres masculin et féminin sont hyper affirmés et stéréotypés, c'est bien les vêtements pour bébés et enfants. Les parents sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à rechercher des pièces unisexes pour leurs enfants, qui s'éloignent des clichés rose-froufrous-princesse chez les fillettes et bleu-camion-superhéros pour les garçons.

C'est d'ailleurs cette raison qui a poussé Charlotte Bergère, maman d'un petit garçon de 15 mois, à lancer récemment sa gamme de vêtements unisexes pour enfants O'lou. « J'ai commencé à faire des vêtements lorsque j'étais enceinte car, en allant magasiner, je me suis rendu compte que ce n'était que camions et dinosaures, des trucs un peu dans l'agressivité qui ne me plaisaient pas. Pourquoi je rentrerais mon enfant dans une case ? Je veux lui montrer que ce n'est pas parce qu'il n'aime pas les camions ou aime le rose qu'il n'est pas un vrai petit garçon », explique celle qui propose pour le moment quelques articles unisexes comme des culottes bouffantes (bloomers), des pantalons confortables ou des petits débardeurs.

L'idée commence aussi à faire son chemin du côté des grandes marques comme The Children's Place, Carter's ou Old Navy, qui proposent une section « unisexe » ou « neutre » dans la catégorie des vêtements pour bébés. Certaines entreprises comme Polarn O. Pyret (Suède), Buddingstem et Jessy & Jack (États-Unis) ou encore Tootsa (Angleterre) s'affichent comme des marques unisexes pour enfants.

PHOTO FOURNIE PAR CHARLOTTE BERGÈRE

La nouvelle marque québécoise O'lou propose des pièces unisexes pour bébés et enfants.Sur la photo: Les deux enfants portent le Pantalon retroussé, fait de denim léger (30$). Sur la corde à linge: Débardeur Petit Marcel en coton et bambou (20$), Short Bloomer bouffant en coton et bambou (17$) et Pantalon retroussé (30$). Offert en ligne au www.olou-shop.com.