Elle n'est pas la plus jolie du règne animal. Toute nue, elle ressemble à un escargot un peu rose fait sur le long. Rien pour l'aider, on lui a aussi donné un nom à coucher dehors. La mactre de Stimpson réussit malgré tout à se tailler une place dans notre assiette. Tranquillement...

La mactre de Stimpson est un mollusque de la famille des palourdes dont la pêche au Québec est récente. Une vingtaine d'années environ, essentiellement sur la Côte-Nord. Il y a aussi une petite activité de pêche aux Îles-de-la-Madeleine.

Si vous espérez mettre la main dessus, c'est en conserve qu'on vous la proposera. Elle aura très probablement été mise en boîte à Portneuf-sur-Mer, aux Crabiers du Nord, le plus important transformateur de mactres au Québec. Et nous sommes en pleine saison sur la Côte-Nord, où la pêche se déroule de la mi-juin au début d'octobre.

Pour l'instant, environ 15% de la production est vendue ici, le reste est envoyé vers les consommateurs asiatiques, qu'ils se trouvent en Asie ou dans des villes nord-américaines comme Vancouver. Les pieds de mollusques sont apprêtés en sushis. Au Québec, c'est surtout l'autre partie comestible de la petite bête, le manteau, qui est utilisée. Elle se cuisine très simplement et remplace bien d'autres mollusques dans les recettes. Sa texture est un peu plus ferme que celle de la palourde et elle a un petit goût de homard, bien que délicat.

Un marché à développer

Les gens qui la pêchent et la commercialisent travaillent fort pour développer un marché pour la mactre de Stimpson, toujours peu connue ici. Seulement 17% des Québécois vivant en milieu urbain connaissent la mactre ou en ont déjà entendu parler, révèle une étude de Léger Marketing commandée plus tôt cette année pour le groupe auquel appartient Crabiers du Nord. La proportion de répondants ayant déjà goûté la mactre chute à 5%. Par contre, explique Janita Gagnon, responsable du marketing pour l'entreprise nord-côtière, la quasi-totalité des personnes qui l'ont goûtée l'adorent. «Ça nous dit qu'il y a un fort potentiel de développement», poursuit Janita Gagnon, qui travaille notamment auprès de chefs d'ici pour que la mactre trouve sa place sur les menus des restaurants québécois.

Daniel Vézina a été l'un des premiers à mettre la mactre de Stimpson sur son menu. Elle y est toujours. Ironie du sort, c'est dans un restaurant japonais, où elle est appelée hokkigai, qu'il a découvert ce trésor d'ici. Il est ensuite allé à la source, sur la Côte-Nord, afin de découvrir le plein potentiel de la mactre. «C'est un gros coquillage qui ne peut pas s'ouvrir à la chaleur, comme la moule, par exemple, explique le chef. On doit procéder par choc thermique, en la plongeant dans un bassin d'eau bouillante puis d'eau glacée, pour ensuite casser le coquillage.» Bref, il faut se donner beaucoup de mal pour un petit mollusque, concède-t-il.

Le chef Vézina a travaillé la mactre de différentes façons dans ses restaurants Laurie Raphaël et l'a souvent mariée à des ingrédients asiatiques. Il a fait un tartare d'une partie du pied de mactre, avec une vinaigrette au yuzu, et l'a laquée à l'érable avec des pétoncles du Japon.

C'est faire la fête à la mactre.

Dans la cuisine de monsieur et madame Tout-le-Monde, on peut aussi travailler le mollusque. Aux Îles-de-la-Madeleine, où trois pêcheurs la pêchent, on l'apprête dans le classique pot-au-pot, ce petit pâté où la mactre est mélangée à de la sauce brune.

Au restaurant de Pêcherie Manicouagan, aux Escoumins, Paulette Gagnon, la mère de Janita, a remplacé les palourdes dans la célèbre chaudrée par des mactres. C'est peut-être la règle la plus simple pour l'apprivoiser: commencer par la substituer à la palourde dans les recettes. La chaudrée de mactres de Paulette est devenue si populaire au restaurant de Pêcherie Manicouagan qu'on l'a aussi commercialisée en conserve. Elle est offerte dans certaines bonnes poissonneries de la province, là où l'on trouve aussi la mactre.

Janita Gagnon la préfère avec une sauce rosée, sur des pâtes, mais conseille aussi de la manger en salade et de l'ajouter à la pizza aux fruits de mer.

Des coquillages frais?

Pour l'instant, impossible d'obtenir des mactres de Stimpson fraîches, dans leur coquillage. La mactre étant un mollusque qui filtre l'eau, il faudra effectuer des tests afin de s'assurer que les toxines naturelles ne s'accumulent pas dans son système digestif. Comme pour tout mollusque, explique la biologiste Sandra Autef.

Autre facteur défavorisant l'utilisation de la mactre fraîche: sa durée de conservation. Après deux ou trois jours, à l'instar du pétoncle, la qualité se dégrade, explique Sandra Autef, chargée de la recherche et du développement pour les produits marins au sein de la Société-Orignal. La biologiste travaille à développer des marchés pour les espèces méconnues de la mer. Elle chapeaute notamment un projet pour développer la pêche à la crevette de roche.

La Société-Orignal présentera d'ailleurs un atelier sur les espèces méconnues de la Côte-Nord lors du prochain festival Omnivore, qui se tiendra à la fin du mois d'août à Montréal. Quelles en seront les vedettes? La crevette de roche... et la mactre de Stimpson!

L'avenir de la mactre est excellent, disent les gens qui travaillent pour mieux la faire connaître. Sandra Autef lui souhaite un sort comparable à celui du crabe de la Côte-Nord, dont, à ses débuts, toute la pêche était expédiée en Asie. Aujourd'hui, 40% du crabe reste ici.

Le chef Daniel Vézina croit également au potentiel de la mactre, tout en lui prédisant un avenir de niche. Comme d'autres fruits de mer que l'on garde pour les belles occasions ou que l'on déguste au restaurant. «Je la comparerais au caviar de l'Abitibi», dit-il. Un produit précieux, car tout de même assez onéreux: une boîte de 142 g coûte de 8 à 9$ en poissonnerie.

Janita Gagnon souhaite qu'un jour, toute la mactre du Québec reste ici. Non pour des raisons économiques, mais pour des raisons sentimentales. «C'est vraiment un beau produit, dit-elle. Il devrait être valorisé.»

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Quoi faire avec la mactre?

Le chef du Gîte du Mont-Albert de Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie, cuisine la mactre. «Un magnifique produit», dit Guillaume Charbonneau, qui a quand même quelques conseils à prodiguer quant à son utilisation, car la mactre est un produit fragile.

D'abord, il faut éviter de trop la cuire, car elle deviendrait dure et sans intérêt, dit-il. En conserve, elle est déjà prête à être mangée.

Lorsqu'il fait des pâtes avec la mactre, le chef Charbonneau l'ajoute à la toute dernière minute, presque en garniture. «C'est un produit de la mer, il faut conserver son côté iodé», dit-il. Pour cette raison, Guillaume Charbonneau n'est pas du genre à enfouir la mactre de Stimpson sous une tonne de fromage, où on ne la reconnaîtrait plus. Un non-sens, selon lui, pour un produit qu'il faut mettre en valeur.

Voici deux recettes toutes simples inspirées de ces conseils. Amusez-vous à les adapter à votre goût!

Potage de mactres et maïs

Pour six portions

Ingrédients

• 800 ml de bouillon (légumes, poisson ou poulet, au choix)

• 1/2 tasse de vin blanc

• Les grains de quatre épis de maïs

• 2 tasses de pommes de terre pelées et coupées en dés

• Sel et poivre

• Une pincée de sucre

• 2 c. à soupe d'échalote grise

• Bacon, fleur d'ail, mactres et crème, au goût



Préparation


1. Faites revenir les échalotes grises dans un peu d'huile d'olive.

2. Ajoutez les pommes de terre, faites revenir.

3. Mouillez avec le vin blanc, puis mélangez.

4. Ajoutez le maïs et laissez mijoter 2 minutes, en mélangeant. Salez, poivrez et ajoutez une pincée de sucre.

5. Ajoutez le bouillon et laissez mijoter à découvert, environ 25 minutes, jusqu'à ce que les pommes de terre soient bien cuites.

6. Passez au bras mélangeur pour obtenir une texture crémeuse, mais en conservant de petits morceaux de pommes de terre et de maïs. Ajoutez de la crème, selon la consistance et le goût qui vous plaisent.

7. Pour dresser, déposez les mactres au fond du bol, ajoutez la soupe et de petits morceaux de bacon grillé sur le dessus. Pour garnir, ajoutez de la fleur d'ail, fraîche ou dans l'huile.

* C'est un plat qui a tout intérêt à être fait avec du maïs frais du Québec. Pour les gens qui ne consomment pas de produits laitiers, on peut très bien substituer à la crème un produit au soya, de type Belsoy. Déposez les mactres dans chaque bol avant de servir la soupe, qui ne fait que les réchauffer...

Pâtes tomates, fines herbes et mactres

Pour quatre portions

Ingrédients

• 350 g de spaghettis

• 1/2 tasse de vin blanc

• 1 boîte (142 g) de mactres

• 1 gousse d'ail ou fleur d'ail

• 20 tomates cerises (environ)

• 1 grosse poignée de fines herbes du jardin (pas de menthe!)

• Citron, sel, poivre et sambal oelek (ou autre sauce pimentée), au goût



Préparation


1. Faites cuire les pâtes à l'eau bouillante salée.

2. Pendant la cuisson des pâtes, faites revenir les petites tomates, entières ou coupées en deux, avec l'ail dans de l'huile d'olive. Ajoutez le vin.

3. Ajoutez les pâtes, le piment, beaucoup de fines herbes et les mactres.

4. Servez avec un généreux trait de citron frais.



* C'est la recette la plus simple du monde, une recette d'été, car elle nécessite d'aller dans le jardin (ou sur le balcon!) pour chercher de fines herbes afin de les marier à la mactre!

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE