Ça y est ! Le Domaine Lafrance est le premier producteur artisanal à pouvoir vendre ses spiritueux à la propriété. On peut maintenant acheter le gin Dandy et l'eau-de-vie de pomme Pure Légende dans la boutique du verger de Saint-Joseph-du-Lac.

Le projet de loi sur le développement de l'industrie des boissons alcooliques artisanales (PL-88), écrit en 2015, a toujours eu pour but d'assouplir la vente d'alcool au Québec, mais uniquement pour ceux qui possèdent un permis de producteur artisanal. Vignerons, cidriculteurs, acériculteurs et apiculteurs possédant un alambic et produisant eux-mêmes 100 % de leur matière de base peuvent faire ajouter la catégorie « alcool et spiritueux » à leur permis existant. Cela leur donne entre autres le droit de vendre des produits distillés à la propriété, sans avoir à passer par la SAQ.

Malheureusement, les alcools produits antérieurement, sous le permis de distillateur industriel que certains d'entre eux possédaient, ne peuvent pas être vendus à la propriété, même si ceux-ci ont été élaborés au Québec de A à Z, avec des ingrédients locaux. Oubliez, par exemple, le brandy de pomme d'Éric Lafrance, dont certains fûts ont maintenant plus de trois ans. Il faudra l'acheter au monopole d'État ou attendre les nouveaux distillats, faits sous permis d'artisan, en fûts depuis quelques semaines seulement.

Idem pour les vieux alcools de pomme de Michel Jodoin. Ce dernier distille depuis 1999. Son entrepôt de Rougemont est rempli de vieux fûts de brandy de pommes, évidemment produit sous son permis de « distillateur industriel ». « Jusqu'à la semaine dernière, c'était le seul permis qui existait ! », dit M. Jodoin. Ces eaux-de-vie ont pourtant toutes été élaborées artisanalement, à partir des fruits du domaine, traçabilité à l'appui, nous assure ce pionnier de la microdistillation québécoise.

« La SAQ n'en veut pas, parce que ce serait beaucoup trop cher à la vente en succursale. Le seul moyen de rendre ces vieux brandys abordables serait de les vendre à la propriété, sans la majoration de la SAQ. Au ministère des Finances [dont relève le projet de loi 88], on m'a même dit de les vendre à l'extérieur du Québec ! », dit M. Jodoin.

« C'est un trésor québécois qu'on a chez nous. Mais là, je ne peux rien faire avec. »

- Michel Jodoin

Il est vrai qu'une grande variété de pratiques a cours dans le domaine de la distillation au Québec. Des spiritueux sont ainsi vendus avec la mention « produit québécois » même si leur base est un alcool de grain neutre acheté en Ontario.

La loi 88 vise donc à reconnaître les alcools artisanaux élaborés à partir de fruits, de miel ou de sirop d'érable de chez nous. C'est d'ailleurs un autre des hics du texte actuel de la loi. Elle ne permet pas pour l'instant l'utilisation de céréales, produit de base de tous les whiskys de ce monde.

Et que dire du lactosérum ? Maurice Dufour, père du fromage Migneron et viticulteur, possède un permis de producteur artisanal pour la vigne. Il pourra ainsi développer un alcool de type grappa avec son marc de raisin. Mais il doit, actuellement, obtenir un permis de distillateur industriel et inscrire son deuxième alambic sous le chapeau de la Famille Migneron pour élaborer son spiritueux de petit-lait.

Le lactosérum n'est pas un produit de base reconnu par la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ), pour l'instant. L'affineur a toutefois confiance que les choses changeront vite et qu'il pourra bientôt se contenter du seul permis artisanal et vendre ses deux boissons à la propriété.

LES DISTILLATEURS AU PERMIS INDUSTRIEL EN ATTENTE

Pour l'instant, c'est le statu quo pour tous les autres distillateurs du Québec, comme Cirka, Les Subversifs, Maison Sivo, 1769, Mariana, Distillerie du St-Laurent, Fils du Roy, Oshlag, etc. Mais le budget 2017-2018 du Québec prévoit 9 millions pour « accélérer le développement du secteur des boissons alcooliques », dont l'industrie de la distillation.

« Afin de permettre à l'ensemble des distillateurs de profiter de l'engouement pour les routes agrotouristiques, le Plan économique du Québec prévoit que des modifications seront apportées dans le but d'autoriser les titulaires de permis de distillateur à vendre leurs produits sur les lieux de fabrication, pour consommation dans un autre endroit. Seuls les produits fabriqués sur place et obtenus auprès de la Société des alcools du Québec pourront être ainsi vendus. » La dégustation sur les lieux de fabrication des produits fabriqués sur place sera également permise, peut-on lire à la page B.220 du budget.

Le Programme d'appui au positionnement des alcools québécois dans le réseau de la Société des alcools du Québec (PAPAQ) s'étendra aux produits distillés. Les distillateurs recevront une aide de 4 ou 14 %, selon le pourcentage de matières premières québécoises se retrouvant dans la bouteille. Une compensation de 2 $ par bouteille sera ajoutée pour les produits vieillis trois ans ou plus et « entièrement composés d'un alcool distillé par le fabricant, exclusivement à partir de matières premières québécoises » (p. B.221). Voilà qui devrait rassurer des distilleries comme Cirka, Oshlag, Maison Sivo et Les Subversifs, par exemple, dont tous les produits (Cirka) ou une partie de ceux-ci correspondent à cette définition.