La justice européenne a ébranlé le secteur des jeux en ligne, en jugeant pour la première fois légitime la volonté d'un Etat d'interdire des opérateurs étrangers, au moment où la France s'apprête à ouvrir à la concurrence les paris sportifs et hippiques sur internet.

La Cour européenne de justice (CEJ) a jugé mardi «justifiée» l'interdiction faite par le Portugal à la société autrichienne Bwin de proposer des jeux de hasard sur internet dans ce pays.

Etabli à Gibraltar, Bwin propose des paris sportifs et des jeux sur internet et parraine aussi de grands clubs de football. Il est notamment un sponsor important du Milan AC et du Real Madrid.

Mais Bwin et la Ligue de football portugaise se sont vus infliger des amendes de respectivement 74.500 euros et 75.000 euros par la justice portugaise pour avoir proposé des paris en ligne sur internet dans ce pays et en avoir fait la publicité.

La législation portugaise donne en effet à la loterie nationale, la Santa Casa da Misericórdia de Lisboa, le droit exclusif d'organiser et d'exploiter ce secteur.

Mais Bwin et la Ligue de football portugaise contestaient cette décision, en s'interrogeant sur sa compatibilité avec le principe européen de libre circulation des services.

La justice européenne a donné raison à l'Etat portugais, en raison de la nécessité de garantir la sécurité des consommateurs.

«Eu égard aux particularités liées à l'offre des jeux de hasard par internet, une telle réglementation peut être justifiée par l'objectif de lutte contre la fraude et la criminalité», a jugé la Cour.

C'est la première fois que la justice européenne rend un tel jugement sur la conformité d'un monopole avec les principes européens de libre circulation pour le secteur des jeux en ligne.

Il était attendu par un grand nombre de pays européens, car il peut être considéré comme faisant jurisprudence sur le droit des Etats membres de l'UE à déterminer de quelle manière les services de jeux en ligne peuvent être fournis sur leur territoire.

Ce jugement «est une grande victoire pour les loteries nationales», a commenté l'association des loteries européennes.

Il «dit explicitement que les gouvernements peuvent interdire à des opérateurs commerciaux tels que Bwin de proposer des jeux en ligne à leurs citoyens, même si ces opérateurs sont basés et ont une licence dans un autre Etat membre de l'UE», a souligné le président de l'association, Friedrich Stickler, dans un communiqué.

Les opérateurs argumentaient au contraire que le fait d'avoir une licence dans un Etat européen devait être suffisant pour être autorisé dans les autres.

Ce jugement donne «une clarté juridique. Il faut une licence dans chaque Etat où l'on veut opérer», explique Philippe Vlaemminck, avocat conseil de l'association des loteries européennes.

Cette décision intervient au moment où certains certains Etats européens, comme la France, s'apprêtent à ouvrir à la concurrence leur secteur des jeux en ligne.

En France, où les paris hippiques et sportifs sur internet devront être ouverts la concurrence début 2010, le jugement de la Cour «pourrait avoir comme effet que certains demandent que l'ouverture proposée (...) soit un peu plus limitée», estime Philippe Vlaemminck.

L'association européenne des jeux et paris (EGBA) a au contraire déploré la décision de la CEJ.

«Je ne pense pas que l'on puisse saluer ce jugement», a estimé lors d'une conférence de presse Siegbert Alber, conseiller juridique pour l'EGBA.

Il a regretté que la décision de la CEJ «ne fasse pas la différence entre les opérateurs sérieux et les opérateurs peu scrupuleux».

«Nous avons besoin d'un contrôle. Nous sommes d'accord avec cela. Mais est-ce que l'on a besoin d'un monopole pour avoir un contrôle?», s'est-il interrogé.