Ce devait être une histoire de rédemption pour le ski cross masculin canadien.

Aux Jeux olympiques de Vancouver, Dave Duncan avait été forcé de déclarer forfait après s'être fracturé une clavicule lors de la première journée d'entraînement. Appelé en renfort, Brady Leman avait aggravé une fracture au tibia la veille de la compétition. Chris Del Bosco s'était rendu en finale, mais avait fait une chute en tentant un ultime dépassement pour passer de la troisième à la première place. Il avait été relégué au quatrième rang.

Quatre ans plus tard, les 3 skieurs, tous classés parmi les 10 premiers en Coupe du monde, pouvaient légitimement espérer grimper sur le podium à Sotchi. Équipés de skis d'enfer, ils ont d'ailleurs survolé les qualifications, se plaçant deuxième (Del Bosco), troisième (Leman) et sixième (Duncan). La possibilité que plus d'un Canadien gagne une médaille devenait réelle.

Le pantalon de l'uniforme canadien imite un jeans bleu. Le design a été pensé par Duncan à la mémoire de Nik Zoricic. À l'une de ses premières compétitions de ski cross, le Torontois s'était élancé en jeans, faute de posséder un pantalon adéquat pour le sport. Le 12 mars 2012, Zoricic s'est tué dans une chute lors d'une Coupe du monde en Suisse. Il a été victime d'un traumatisme crânien en frappant un filet de protection à la suite d'un saut avant la ligne d'arrivée. Il avait 29 ans.

Sa famille et plusieurs gens du milieu estiment que le saut final et la zone de l'impact représentaient un danger. La police suisse a plutôt jugé que la mort de Zoricic était un accident sportif. Dans la foulée, Canada Alpin a été forcé de prendre des mesures pour renforcer la sécurité dans tous ses programmes.

De son côté, Duncan s'est impliqué dans un comité d'étude sur la sécurité de la fédération internationale pour éviter qu'un autre accident de la sorte ne se reproduise. «Il n'y a pas une journée où je ne pense pas à lui. Il est toujours avec nous», a dit Duncan, qui était le compagnon de chambre de Zoricic en voyage.

Duncan venait d'être éliminé en huitièmes de finale après une chute collective survenue en haut de parcours. L'Ontarien de 31 ans s'est démené pour repartir. Trop tard. «C'était un rêve d'enfance d'atteindre les Jeux olympiques, et j'en suis incroyablement fier, a dit l'infortuné de Vancouver 2010. En même temps, j'espérais gagner en arrivant ici. Je n'étais pas le fondeur le plus rapide après cette chute... Ce sont des choses qui arrivent en ski cross.»

Chris Del Bosco est en lui-même une histoire de rédemption.

Ancien champion américain de ski alpin et de vélo de montagne à l'âge de 17 ans, il a perdu ses titres après un test positif à la marijuana et au GHB. Alcoolique et toxicomane, il s'est réveillé un jour en t-shirt dans un fossé, le cou brisé et en état d'hypothermie. Il est devenu sobre en 2006 après s'être fait arrêter une troisième fois en trois ans pour conduite avec facultés affaiblies.

Fils d'un hockeyeur canadien établi au Colorado, Del Bosco croyait sa carrière sportive terminée. En 2007, la femme de son cousin, une serveuse, a rencontré par hasard le chef de la direction de l'équipe canadienne de ski cross, qui soupait à son restaurant. Elle lui a parlé de Del Bosco et celui-ci a fini par rencontrer l'entraîneur de l'équipe canadienne, qui l'a recruté.

Après sa quatrième place à Vancouver, Del Bosco souhaitait récompenser ceux qui lui ont donné cette deuxième chance. Comme pour Duncan, un accrochage en huitièmes de finale a empêché le skieur de 31 ans de se rendre plus loin.

«J'ai tellement reçu après les changements que j'ai faits dans ma vie, a noté celui qui réside à Montréal depuis trois ans. J'aurais juste aimé pouvoir mettre la cerise sur le gâteau. Mais je fais ce que j'adore et je n'échangerais pas ça.»

Il restait Brady Leman, dominant depuis le début des rondes éliminatoires.

En finale, l'Albertain de 27 ans s'est retrouvé avec trois Français, dont le champion mondial Jean Frédéric Chapuis. Leman a connu un mauvais départ et s'est retrouvé derrière le trio tricolore. Il a tenté le tout pour le tout dans le dernier virage, mais ses spatules ont accroché les skis du troisième. Il est tombé, ce qui a laissé les trois Français filer vers ce tout premier podium entièrement tricolore dans l'histoire des JO d'hiver.

«Quand j'étais couché dans la neige, je ne pouvais pas croire que ça venait d'arriver», a dit Leman. Les Français, en pleine euphorie, non plus.

Ça devait être une histoire de rédemption. Ça a fini avec deux gaillards qui sont partis la tête basse. Et un autre, Leman, qui est tombé en sanglots dans les bras de sa blonde.