On trouvera bien peu d’amateurs de hockey qui parleront des Nordiques du début des années 1990 comme un âge d’or. Mais pour le collègue Robert Laflamme, ce l’était.

« J’ai connu l’âge d’or en arrivant. On voyageait avec l’équipe, on couchait dans les mêmes hôtels. On pouvait avoir des discussions avec Stéphane Fiset, avec Claude Lapointe sur le tarmac à l’aéroport, à côté de l’autobus en sortant de l’hôtel. Je racontais ça à mes étudiants à l’UQAM, je leur disais : ce n’est plus pantoute comme ça ! »

Robert Laflamme, « Bob Feu » ou « Bobby », est un collègue fort apprécié au sein de la confrérie journalistique. À 58 ans, celui qui écrit pour LNH.com depuis 2015 a mis le point final à une carrière de près de 40 ans, à l’occasion de la visite de l’Avalanche du Colorado, lundi soir au Centre Bell. Les anciens Nordiques, là où il a commencé sa carrière dans les grands médias.

En l’absence de Joe Sakic, Laflamme était essentiellement le trait d’union entre les deux époques de cette franchise. Il serait d’ailleurs le dernier journaliste de l’écrit toujours actif à avoir fait le « beat » des Nordiques.

Alors finir ça avec la visite de l’Avalanche, « c’était voulu », confirme notre homme. « Je savais que je finissais en janvier. Quand j’ai regardé le calendrier et que j’ai vu que l’Avalanche venait jouer à Montréal, c’était clair que je finissais ce jour-là. »

De Moncton à Montréal

Natif de la rive sud de Québec, fan des Islanders de New York « avant les quatre Coupes Stanley », Laflamme rêvait de couvrir le hockey comme le faisait le regretté Ghislain Luneau.

« Ti-cul, j’allais au collège privé, et je lisais Le Journal de Montréal, la section des sports était épaisse. Quand les pères me pognaient, ils me l’enlevaient, parce qu’il fallait que je lise Le Devoir ! Mais je voulais être journaliste sportif. »

Laflamme a emprunté le chemin classique vers le métier. Des études au programme info-comm de l’Université de Moncton, suivies de quelques années dans les médias régionaux de la banlieue de Québec. En parallèle, il remplaçait de temps à autre Mario Leclerc, son « mentor », dit-il, qui couvrait les Nordiques pour La Presse Canadienne (PC).

Le terme « mentor » fait sourire Leclerc, au bout du fil. « Il en a toujours mis un peu ! J’ai essayé de lui donner un coup de main, mais il était déjà bon », soutient Leclerc.

Fin 1989, Leclerc a quitté la couverture des Nordiques à la PC pour Le Journal de Montréal. « Ils ont organisé un concours pour me remplacer. Je leur ai dit : arrêtez de chercher, le gars de premier trio, on l’a. Il est prêt. Je les ai convaincus et ils ne l’ont jamais regretté. »

Leclerc rappelle que « sous des dehors timides, réservés, il posait de bonnes questions dans les scrums, il avait du guts. En plus, il avait une bonne plume. Ce n’était pas du Lamartine, mais ça sortait bien. Au Journal, on ajoutait du commentaire, mais quand tu écris pour une agence comme la PC, c’est les faits, les faits, les faits. Il fallait que ce soit straight. Il l’avait compris assez vite ».

Sur la couverture des Nordiques, Laflamme en voit de toutes les couleurs, à commencer par son tout premier match, le 23 janvier 1989. C’est le fameux « Toilet Bowl », une défaite de 5-0 contre les Whalers de Hartford lors de laquelle les partisans au Colisée lancent des rouleaux de papier de toilette à leur préféré, l’arbitre Kerry Fraser.

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La Presse, 24 janvier 1989, cahier des sports, page 5

« J’étais en soutien à Mario ce soir-là, ce n’était pas clair si j’allais écrire. Quand les gens se sont mis à lancer les rouleaux, Mario m’a regardé et m’a dit : “Je pense que tu vas écrire, finalement !” »

Ces années de misère demandaient évidemment de la créativité, à une époque où l’équipe gagnait essentiellement un match sur quatre. Une de ses perles, que nous n’avons malheureusement pas pu retrouver : « Les records sont faits pour être battus, les Nordiques aussi. »

Il était à Boston pour les 70 arrêts de Ron Tugnutt. « J’avais écrit que le tableau des tirs au Garden montait aussi vite que la dette du Canada, se souvient-il. Les journalistes de Boston se prenaient la tête à deux mains. On vivait quelque chose. »

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La Presse, 22 mars 1991, cahier des sports, page 3

Le repêchage de 1991, marqué par la sélection d’Eric Lindros, s’inscrit également dans ses souvenirs de cette époque rocambolesque. « Ce n’était pas une belle expérience. La veille du repêchage, il avait été vraiment condescendant envers Québec… »

Au départ des Nordiques en 1995, la PC l’a muté à Montréal, où il couvrira une panoplie de sports, de la boxe aux Alouettes, en passant par huit Jeux olympiques de suite, de Sydney en 2000 à Sotchi en 2014. En 2002, il a repris la couverture de la LNH, cette fois sur le Canadien.

En parallèle à ces couvertures, il a écrit le fascinant Les Stastny : le coup de génie de Gilles Léger, relatant l’arrivée des trois Tchécoslovaques à Québec. « C’est pas mal l’œuvre d’une vie. J’ai eu de bons employeurs, de bons patrons. Mais si je veux être égoïste, je dirais que le livre est au top de mes réalisations. »

Des coups de cœur

Ses moments les plus marquants en couverture ? Il n’hésite pas bien longtemps.

« Mes premiers grands jeux étaient le Commonwealth en 1998, avec Alexandre Despatie à 13 ans. J’étais le seul journaliste québécois sur place, avec Radio-Canada. J’étais dans les gradins et je disais : qu’est-ce qu’il est en train de faire là, le p’tit tabarouette ? Il est haut comme trois pommes et il bat tout le monde ! »

Le but gagnant de Sidney Crosby aux Jeux de Vancouver sort aussi assez vite. « On n’était pas sur la passerelle, on était dans les gradins, avec des fans en avant et sur le côté. Ça criait beaucoup, mais on est habitués à travailler dans le bruit ! Mais quand il a marqué… J’ai réussi à tout bloquer et à me dire : il faut sortir un texte. »

La victoire de Daniel Nestor et de Sébastien Lareau contre les « Woodies », aux Jeux de Sydney, l’a aussi marqué. « C’est comme le Canadien qui débarque au Spectrum dans les années 1970. Il n’y avait pas de mises en échec ni de cross-check dans la face, mais c’est intimidant pour les Canadiens ! »

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La Presse, 28 septembre 2000, page B3

Despatie revient parmi ses coups de cœur. Joe Sakic aussi, qu’il aurait voulu saluer une dernière fois lundi. Il a toutefois reçu, avant le match, un chandail des Nordiques autographié par Sakic comme cadeau de retraite. Pas vilain comme prix de consolation.

Autre coup de cœur : Crosby qui, quelques jours avant la finale de 2017, lui avait confié son intention d’aller à Rimouski. « J’étais le seul du Québec qui était arrivé à Pittsburgh, se souvient-il. Il me demande : “M. Tanguay [Maurice], il va comment ?” Puis, il m’a dit : “Si on gagne, je vais aller à Rimouski avec la Coupe”. Le gars n’avait pas peur de se jinxer ! Ça montrait que les Tanguay ont été très importants pour lui.

« J’ai brièvement connu Wayne Gretzky à mes débuts. Mais quand Crosby est arrivé, je me suis dit que c’était vraiment la passation du pouvoir, au niveau de la personnalité. »

La vraie retraite

Laflamme a enseigné pendant deux ans à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), mais ne compte pas s’y remettre et est parfaitement prêt à ranger son calepin. Il quitte une industrie qui l’inquiète un brin.

« J’ai voyagé beaucoup. La job, à l’époque, c’était d’aller sur place. C’est quand on se déplace qu’on ramasse les meilleures histoires. En ayant de moins en moins d’argent, les médias traditionnels coupent sur le personnel, mais aussi sur les déplacements, et font beaucoup de couverture depuis le bureau.

« Je garde espoir. Mais je n’aime pas la tangente que ça prend, avec tous les sites connexes, les sites à clics. Je me fais un devoir de ne pas cliquer. Les médias traditionnels auront toujours leur place et j’espère qu’ils vont réussir à la garder. Je ne pense pas que quitter le navire soit la bonne solution, mais que je suis mal placé pour dire ça, parce que j’ai fini ma carrière en écrivant pour la Ligue nationale ! »

L’attendent donc des virées en auto-caravane avec sa Sonia, et des randonnées à vélo qui remplaceront la course. Cet athlète légendaire voulait se rendre à 50 marathons, mais des problèmes de genou font en sorte qu’il est « pogné à 40 ».

Au nom de tous tes collègues, bonne retraite, Bob !