(Regina) Pour un après-midi en semaine, le Co-operators Centre est occupé en ce vendredi. Sur deux des patinoires du complexe sportif, des matchs de ringuette attirent des dizaines de spectateurs.

Les installations sont impressionnantes. Les six patinoires sont cordées, les unes à côté des autres, reliées par un large corridor qui doit bien faire l’équivalent de deux pâtés de maisons.

« Bonjour, pouvez-vous m’indiquer la patinoire SaskTel ? », demande-t-on à une spectatrice d’un match de ringuette.

— C’est la dernière au bout, dans le fond. »

C’est pas mal plus tranquille dans ce coin. Pourtant, un phénomène de 17 ans du nom de Connor Bedard, un joueur auquel rêvent 32 directeurs généraux de la Ligue nationale, s’entraîne avec ses coéquipiers des Pats de Regina.

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Connor Bedard

Il faut dire que les lieux ne pourraient pas non plus accueillir 300 personnes. Les spectateurs qui veulent être dans l’aréna en soi n’ont qu’un petit gradin de trois rangées où s’asseoir. Deux quidams dans la vingtaine y sont, de même qu’un homme à la barbe et à l’élocution brouillonnes qui, en apprenant la présence d’un reporter québécois, se met à discourir sur les aléas du hockey midget dans le Manitoba voisin. Comment la conversation s’est-elle rendue là ? Le mystère persiste, deux jours plus tard.

Ceux qui ne veulent pas s’exposer au froid de l’aréna peuvent s’installer au deuxième étage, derrière les vitres, à une extrémité de la patinoire. On y retrouve une demi-douzaine de spectateurs, dont Koen Senft et Ryan Ulmer, deux joueurs midget repêchés dans la Ligue junior de l’Ouest (WHL), qui espèrent atteindre ce circuit la saison prochaine.

Et puis, Connor Bedard, vous le trouvez comment ? « Son tir est incroyable. Il peut littéralement marquer de n’importe où sur la patinoire », lance un des deux ados, le ton admiratif.

L’entraînement des Pats achève. Un à un, les joueurs quittent la patinoire, enlèvent leurs patins et parcourent à pied, en équipement complet, le long corridor qui les mènera vers leur vestiaire au Brandt Centre, leur domicile permanent, adjacent au Co-operators Centre. Ce jour-là, leur patinoire est occupée par la scène qui accueillera Bryan Adams pour une aventure d’un soir.

Bedard est parmi les derniers à quitter la patinoire. Il amorce la longue marche en jasant avec Tye Spencer et Brayden Barnett, deux coéquipiers qui l’accompagnent, sans être arrêté par les passants, comme tout joueur de 17 ans.

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Connor Bedard (au centre) avec ses coéquipiers Brayden Barnett et Tye Spencer

Une intimité qu’il perdra dans les prochains mois.

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La Presse est l’unique média sur place. Bedard a donc tout son temps et nous accordera un bon quart d’heure. Le jeune homme est de bonne humeur. Il faut dire que le début de la conversation lui rappelle de bons souvenirs. On lui rapporte notre conversation de la veille avec Martin St-Louis. L’entraîneur-chef du Canadien nous disait avoir affronté quelques fois Bedard à titre d’entraîneur, dans des tournois de hockey mineur. « Il était déjà bon, on le watchait ! », s’est souvenu St-Louis.

« On s’est affrontés pendant environ trois ans, confirme Bedard. Une fois, après un match, je suis allé le voir pour lui demander une photo. On venait de battre son équipe en demi-finale, donc ça n’avait pas tellement l’air de lui tenter ! Mais il l’a fait quand même. »

PHOTO FOURNIE PAR CONNOR BEDARD

Martin St-Louis et Connor Bedard

L’anecdote est sympathique, mais si St-Louis savait déjà qui il affrontait, c’est parce que son talent est connu depuis longtemps. À 13 ans, il a été promu dans le club U18 de la West Vancouver Academy. Malgré l’énorme différence d’âge avec les plus vieux, il a amassé 84 points en 36 matchs.

John Paddock, entraîneur-chef et directeur général des Pats, a vu jouer Bedard « quatre ou cinq fois » à l’âge de 14 ans.

« Nos entraîneurs m’ont demandé ce qui faisait de lui un joueur spécial. Je leur disais : il a 14 ans et il tire déjà plus fort que n’importe qui dans notre équipe ! », relate Paddock.

La Ligue canadienne de hockey, celle qui chapeaute les trois ligues junior majeur au Canada, s’est elle aussi rendue à l’évidence et lui a accordé le statut exceptionnel. Ce statut permet à un joueur de 15 ans de passer la saison dans le junior majeur. Connor McDavid et John Tavares sont parmi les huit joueurs à avoir obtenu ce statut, et Bedard était le premier joueur de la WHL à y avoir droit.

Bedard était visiblement prêt. En 93 matchs dans la WHL, il totalise déjà 76 buts.

Connor Bedard dans la WHL

  • 2020-2021 : 12 buts, 16 aides, pour 28 points en 15 matchs
  • 2021-2022 : 51 buts, 49 aides, pour 100 points en 62 matchs
  • 2022-2023 : 13 buts, 18 aides, pour 31 points en 16 matchs

Un peu tout le monde a eu son « moment » Connor Bedard. Pour son coéquipier Stanlislav Svozil, c’était le 3 mai 2021, là où il a connu l’envers de la médaille. « Avant d’arriver ici, je le connaissais déjà, car j’avais joué contre lui au Mondial des moins de 18 ans. Il avait eu cinq points dans le match contre nous, donc je savais très bien qui il était ! », nous raconte le Tchèque.

Kaiden Guhle, lui, était dans le camp adverse quand Bedard a disputé son premier match dans la WHL, le 12 mars 2021. « On en avait entendu parler, on avait vu des clips, mais tant que tu ne l’affrontes pas, tu ne le sais pas », a rappelé le défenseur du Canadien. En deuxième période, Bedard a marqué son premier but. Quarante-huit secondes plus tard, il en ajoutait un deuxième.

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De tels exploits lui valent donc le titre de favori en vue du prochain repêchage, bien qu’à l’Université du Michigan, l’attaquant Adam Fantilli connaisse lui aussi tout un début de saison. Ce statut vient avec de l’attention. Les prochaines étapes de sa carrière, du Championnat du monde junior en décembre au camp d’évaluation de la LNH au printemps, attireront passablement plus d’attention qu’un entraînement du vendredi à Regina.

Quand tu t’entraînes avec ton équipe, tu t’amuses, tu n’y penses pas trop. Mais j’ai eu un aperçu de cette attention au Mondial junior. Je pense qu’il y avait 30 caméras dans les gradins pendant notre entraînement !

Connor Bedard

Déjà, les Pats font leur bout de chemin pour gérer cette attention.

« Localement, nous et ses agents gérons les demandes médiatiques qui passent par les canaux officiels, explique John Paddock. Les équipes de la LNH qui veulent lui parler en cours de saison doivent passer par la Centrale de recrutement. Et des partisans, il reçoit beaucoup de choses à signer, c’est juste fou ! Pour ça aussi, on filtre les demandes. Parfois, on reçoit une pile de 10 photos qu’il doit signer. On sait bien que les 10 photos ne sont pas seulement pour la personne qui les envoie… »

Même modération à la boutique souvenir, où on s’attendait à voir les murs tapissés d’objets aux couleurs du 98. Par contre, nous dit la dame à la caisse : « On ne peut rien garder bien longtemps, ses articles partent très rapidement ! »

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La boutique souvenir du Co-operators Centre, à Regina

À quoi ressemblera cette attention l’an prochain ? Tout dépendra du marché où il aboutira. Et c’est là qu’on revient à Montréal et à Martin St-Louis. Sur papier, le Tricolore a les ressources d’une équipe qui participera à la loterie du premier choix.

Bedard a une bonne idée de ce qui l’attend puisqu’il était bien assis au Centre Bell, en juillet, quand le CH a réclamé Juraj Slafkovsky au tout premier rang.

J’ai vu c’était quoi, la passion des partisans. La foule, c’était fou. Je savais que ce serait salle comble, mais l’énergie était folle pour un repêchage. C’était ma première expérience et c’était cool de vivre ça. Pour un soir, j’ai pu en profiter en tant que partisan comme un autre !

Connor Bedard

Parlant de partisans, les Canucks sont une autre possibilité intrigante, après un début de saison catastrophique. Intrigante parce que le jeune a grandi à North Vancouver, une ville qui, selon d’éminents géographes, serait située à proximité de Vancouver.

« La saison est encore longue. On ne sait pas ce qui arrivera. Mais je le vois sur mon téléphone, des gens m’identifient sur des publications qui parlent des Canucks », admet-il.

C’est sans oublier l’Arizona, où Bedard serait certainement à l’abri des regards à l’entraînement. Pendant les matchs aussi, ajouteraient les mauvaises langues.

Là, c’est le futur joueur de la LNH, déjà formaté pour éviter les controverses, qui s’exprime. « Je serais assez heureux d’être repêché, peu importe par quelle équipe. »

Peu importe quelle équipe ce sera, elle devrait être assez heureuse elle aussi.