On comprend encore mieux, vendredi matin, la logique derrière le choix de Juraj Slafkovsky au premier rang du repêchage en 2022, à la suite d’une vidéo publiée par le Canadien sur les coulisses de cet évènement présenté au Centre Bell en juillet.

Dans la vidéo, les créateurs de contenu du Canadien nous rappellent d’abord à quel point les avis sont partagés entre Slafkovsky, Shane Wright et Logan Cooley, avec un penchant pour Wright aux yeux de plusieurs membres des médias, comme pour rappeler que l’organisation avait fait fi de l’opinion populaire.

Après nous avoir présenté les images de l’interview du jeune homme avec les recruteurs, lors des essais à Buffalo quelques semaines avant le grand évènement, on nous plonge dans la salle de réunion des penseurs de l’équipe, où débattent une vingtaine de gestionnaires, Jeff Gorton et Kent Hughes en tête, avec leurs recruteurs, à trois ou quatre jours du repêchage.

Regardez la vidéo diffusée par le Canadien

On remarque à quel point le nouveau directeur du département des statistiques avancées, Christopher Boucher, a l’oreille du groupe : « Si repêcher Slafkovsky nous permet lors des rondes suivantes d’éviter de repêcher des joueurs uniquement pour leur gabarit imposant, alors c’est déjà un gain pour nous. »

Impossible de ne pas réaliser l’ascendant sur le groupe du co-directeur du recrutement amateur, Nick Bobrov, éternel allié de Jeff Gorton. On peut assister à un long monologue de sa part sur Slafkovsky, qui ne laisse aucun doute sur sa préférence.

« Ce qu’il a fait sur les grandes scènes cette année est unique, lance-t-il avec conviction. Sa personnalité fait en sorte qu’il veut prendre le taureau par les cornes. Je viens de parler aux responsables de l’équipe nationale slovaque. Il a commencé les Jeux olympiques sur le quatrième trio et les a terminés sur le premier parce que les autres ne livraient pas la marchandise. Une fois sur le premier trio, cette unité s’est mise à faire le travail. Le même phénomène s’est produit au Championnat du monde. C’est un trait sa personnalité, vouloir faire la différence, pas seulement du talent. »

Bobrov jure à ses pairs qu’il ne s’agit pas d’un feu de paille. « On l’a vu en séries avec le TPS Turku [en Finlande]. Il a brillé. Il a continué de s’améliorer, de mois en mois, de jour en jour, de présence en présence. Ce pays de cinq millions d’habitants suit ce jeune homme depuis maintenant trois ans. La pression sur ses épaules est énorme. Un pays entier le scrute. Il a superbement répondu depuis. Il répond bien à la pression, non seulement sur un ou deux tournois, mais depuis le temps où ce pays de cinq millions d’habitants voit en lui une éventuelle vedette. »

Certains partisans du Canadien s’inquiéteront de l’enthousiasme de ce même Bobrov envers Kaapo Kakko en 2019 alors qu’il occupait un poste semblable avec les Rangers. Kakko a constitué le deuxième choix au total, derrière Jack Hughes, devant Kirby Dach, Bowen Byram et Alex Turcotte, mais aussi Moritz Seider, Trevor Zegras, Dylan Cozens, Matt Boldy et Cole Caufield, entre autres.

Kakko, six buts en quinze matchs au Championnat du monde dans les mois précédant le repêchage, vient de connaitre une autre saison décevante à New York avec 18 points, dont sept buts, en 43 matchs, une production de 34 points sur une saison complète.

En comparaison, Caufield, repêché 13 rangs plus loin, a amassé 43 points, dont 23 buts, en 67 matchs, 53 points sur une année de 82 rencontres, et ce, malgré une première moitié de saison difficile.

Kakko, il est vrai, a produit de façon étonnante pour un jeune homme de 18 ans au Championnat du monde avec six buts en dix matchs, mais en revisionnant ses matchs, on réalise qu’il n’a pas dominé pour autant.

Ses deux premiers buts, lors du match d’ouverture contre le Canada, n’ont rien de pièces d’anthologie : le premier, un tir dévié sur sa jambière alors qu’il passe devant le filet (une bonne action en soi), le second dans un filet désert.

Il enchaîne avec un tour du chapeau contre la Slovaquie lors de la deuxième rencontre, puis… un but lors des huit dernières parties.

On remarque dans l’ensemble beaucoup de difficulté à gagner ses batailles pour la rondelle (normal pour un jeune de 18 ans), un manque d’engagement physique qui en découle et une tendance à jouer en périphérie. Lors de la dernière rencontre du tournoi, en finale, Kakko a joué 11 minutes à peine.

Par contre, Kakko avait obtenu 38 points, dont 22 buts, en 45 matchs en Liiga, ce qui a fort probablement pesé aussi dans la balance pour les Rangers.

Slafkovsky, lui, n’a pas été très productif en Liiga (10 points en 31 matchs), mais il a été transcendant au Championnat mondial, incluant dans les matchs contre le Canada et la Finlande, même s’il n’a pas marqué. Son entraîneur Craig Ramsay l’a utilisé plus de 20 minutes en quarts de finale, un sommet chez les attaquants slovaques. Il a été de loin le meilleur attaquant de son équipe lors des matchs contre le Canada et la Finlande, même s’il a été blanchi lors de ces deux rencontres. L’entraîneur finlandais envoyait systématiquement sa paire de défenseurs constituée de Miro Heiskanen et Esa Lindell contre lui, et le Canada faisait de même avec Thomas Chabot et Zach Whitecloud.

Quand un recruteur du Canadien demande à Slafkovsky lors de l’interview à Buffalo comment il perçoit le marché de Montréal, ce jeune géant de 6 pieds 4 pouces et 218 livres répond avec beaucoup de lucidité :

-C’est un endroit extraordinaire pour y jouer quand les choses vont bien pour toi, mais ça peut devenir très difficile si tu n’offres pas de bonnes performances.

-Et qu’est-ce que tu en penses ?

-Il faut juste s’assurer que je joue bien pour eux…

Slafkovsky a déjà commencé à s’imprégner de la culture montréalaise. Il a participé à un tournoi amical à trois contre trois il y a quelques jours.

Il faisait équipe avec son compatriote Filip Mesar, choisi en fin de première ronde. Les deux Slovaques s’escrimaient contre certains des jeunes leaders du Canadien, dont Nick Suzuki et Josh Anderson.

Quelques jours plus tôt, Slafkovsky, Mesar, Kaiden Guhle et Arber Xhekaj assistaient au match du CF Montréal au stade Saputo.

À compter du 15 septembre, Slafkovsky et ces jeunes hommes prendront part au tournoi des recrues, à Buffalo, pour y affronter les espoirs des Sabres, des Devils et des Sénateurs, prélude au vrai camp d’entraînement.

Tout le fruit du travail des recruteurs du Canadien s’étalera alors sous nos yeux. Pour le meilleur ou pour le pire !

La chronique régulière Rondelle libre sera de retour lundi, le 5 septembre.