La première demande que Josh Gorges a formulée aux patrons des Sabres de Buffalo l'été dernier, c'est un chandail. Pas une place de stationnement, pas une liste des meilleurs restos en ville, pas le nom d'un bon courtier immobilier.

Juste un chandail.

«Je voulais avoir le chandail de l'équipe pour pouvoir le porter à la maison... Je voulais m'habituer un peu», explique-t-il en souriant.

Gorges raconte tout ça devant le vestiaire des Sabres, à Buffalo. Ça fait un peu drôle de le voir comme ça, en bleu et jaune, alors qu'on l'a vu en bleu, blanc et rouge pendant toutes ces années.

Ça lui a fait drôle à lui aussi.

«En portant le chandail (des Sabres) chez moi, je voyais bien que c'était quelque chose de différent. Après avoir porté le même maillot pendant huit ans, c'est un changement qui est un peu radical. Je voulais juste m'habituer...»

Gorges rit un peu quand il repense à ça. Mais il rit moins quand il repense aux jours qui ont précédé la livraison express du nouveau chandail à la maison.

Parce que partir de Montréal, quitter cette équipe-là de manière aussi abrupte, ce n'était pas son idée. Lui, il se voyait continuer, tenter de mener l'équipe aux sommets. Et pourquoi pas? Il lui restait quatre ans de contrat, et il était parmi les vétérans les plus respectés du club.

Puis, il y a eu ce coup de fil.

«Je ne me souviens plus de la date exacte, mais c'était trois jours avant le 1er juillet... Mon agent m'a appelé pour me dire que le Canadien voulait m'échanger à Toronto. Ils avaient besoin de ma permission, parce que les Leafs étaient sur ma liste des clubs auxquels je ne voulais pas être échangé.

«Je suis le genre de gars... quand je commence quelque chose, je veux aller jusqu'au bout. Je m'étais engagé à gagner la Coupe Stanley à Montréal. C'était ça le but, le rêve. Et quand tu te fais dire que ce rêve-là n'est plus possible, c'est difficile. Je ne m'y attendais pas du tout.»

Les jours qui ont suivi ont été difficiles, confus. En partant, Josh Gorges ne voulait rien savoir du chandail bleu à la feuille d'érable. «Cela aurait été injuste pour les Leafs; je n'aurais pas pu être le même joueur avec eux, pas avec la rivalité que j'ai connue entre les deux équipes. C'est une rivalité qu'on ne peut pas oublier. Je ne voulais pas aller là-bas.»

Il n'a pas vraiment cherché à savoir pourquoi le Canadien, soudainement, ne voulait plus de lui. «Je n'ai pas parlé de ça avec Marc Bergevin... Je ne sais pas si ça m'aurait donné quelque chose. J'ai compris que c'était une décision d'affaires.»

***

À Buffalo, Josh Gorges s'amène dans le rôle du vétéran qui doit aider les jeunes. Ce n'est pas tout à fait nouveau. Ce qui est nouveau par contre, c'est l'environnement. Les détails. Ce numéro 4 qu'il va porter cette saison. «Ils m'ont appelé à propos du 26, Matt Moulson le voulait aussi... Je leur ai dit de le donner à Moulson. Je n'allais pas faire une histoire avec ça. Ici, je dois obtenir ma place, mon temps de glace. Je dois obtenir le respect des autres dans ce vestiaire.»

En attendant de disputer son premier match régulier avec les Sabres, Josh Gorges a déjà une date en tête: le 29 novembre. Ce soir-là, il ira au Centre Bell du côté des visiteurs, par le garage réservé aux autocars. Il connaît déjà l'horaire de la journée et il sait que ce ne sera pas un match comme les autres, même s'il tente bien fort de se convaincre du contraire.

C'est qu'il y a encore trop d'amis de l'autre côté, dans le camp tricolore. Il y a encore trop de souvenirs et trop de belles images qui se bousculent dans sa tête.

«Cette date-là, c'est la première chose que j'ai voulu vérifier ici en voyant le calendrier. Je vais tout faire pour que ce ne soit qu'un autre match, mais je ne pense pas que ça va être seulement un autre match...»

Et quand on lui demande de nommer une chose, un moment marquant, qu'il va retenir de ses huit années à Montréal, Gorges a du mal à répondre. Une chose, une seule? Ça lui paraît impossible.

Quand il y pense bien fort, ce qu'il retient, c'est un chandail. Encore un chandail.

«Mon souvenir le plus précieux du temps passé à Montréal, c'est quand j'ai mis le chandail du Canadien pour la première fois. C'était ici à Buffalo... J'ai réalisé que de mettre ce chandail-là, c'était différent. J'ai entrepris ma carrière à San Jose, mais c'est vraiment à Montréal que tout a commencé pour moi.»