Pousser une sportive moderne sur un circuit tient de la haute voltige. On atteint des angles si prononcés en virage que quelques centimètres à peine séparent les coudes du sol.

Les genoux frôlent continuellement le bitume, tandis que les freinages sont assez puissants pour vous faire passer au-dessus des guidons. Le tout en fonction d'une surface de contact pas plus grande que l'empreinte d'une souris d'ordinateur.

Si la toute dernière génération de la Kawasaki ZX-10R excelle à ce jeu, elle le rend aussi particulièrement corsé en raison de la puissance phénoménale qu'elle génère. Avec ses 186 chevaux (179 en version canadienne), il s'agit du modèle le plus puissant de sa classe.

Si ce genre de donnée paraît impressionnant sur papier, le fait est que sur le terrain, une telle puissance amène souvent plus de problèmes que d'avantages. L'unique mission des motos comme la ZX-10R est de boucler des tours de piste le plus rapidement possible. Or, plus la puissance produite est élevée, plus l'adhérence en sortie de virage devient précaire, plus chaque pièce de la partie cycle est torturée et plus le pilote risque d'être intimidé. Voilà autant de facteurs défavorables aux résultats chronométrés sur un tour de piste.

La nouvelle ZX-10R est l'une des premières sportives dont la puissance est volontairement et précisément dosée afin de permettre à la fois une accélération exceptionnelle et une accessibilité de pilotage relativement élevée. Kawasaki y est arrivé grâce à une solution assez simple, mais très efficace, surtout pour le pilote moyen. En sculptant la courbe dictant l'arrivée des chevaux, le constructeur d'Akashi a produit une monture qui, au lieu d'être simplement hyperpuissante à tous les régimes, demeure relativement polie et accessible à moyen régime pour ensuite exploser à haut régime. L'idée est de ne pas produire une quantité inutilement élevée de chevaux dans une situation délicate comme la sortie de virage, mais de lâcher toute la furie dont la mécanique est capable quand le contexte devient moins précaire. Comme lorsque la moto se redresse et accélère jusqu'au prochain virage.

Le concept va plus loin puisqu'il tient compte de chaque aspect du pilotage et tente de le rendre le plus accessible possible. Ainsi, les points de contact entre le pilote et la moto sont étudiés afin de ne pas créer d'inconfort lors des mouvements typiques de la conduite sur piste. Les freins, bien qu'extrêmement puissants, sont volontairement un peu spongieux lors de la phase initiale afin de ne pas générer de réactions brusques lors des ralentissements intenses en entrée de courbe, une situation d'autant plus facilitée par la présence d'un embrayage à limiteur de contre-couple qui empêche le blocage de la roue arrière en freinage.

Sur le circuit de Losail, au Qatar, où Kawasaki a présenté sa nouveauté à la presse mondiale, la ZX-10R s'est montrée brillante. Si une telle conclusion n'a rien de vraiment surprenant compte tenu du niveau exceptionnel de la classe tout entière, la nouvelle 10R a tout de même quelque chose d'assez particulier. Pour une sportive d'un tel calibre, l'accessibilité de son pilotage est presque déconcertante. En fait, dans certaines situations, comme en sortie de courbe où ces puissantes 1000 cc sont souvent très délicates à exploiter, la ZX-10R semble presque sous-motorisée. En réalité, elle n'est qu'amicale, ce qui permet d'ouvrir grand et tôt les gaz à la sortie d'un virage pour ensuite être furieusement catapulté vers le prochain. Quel que soit le stratagème (lire aides électroniques) utilisé par Kawasaki pour arriver à rendre un tel niveau de performances aussi accessible, la seule conclusion possible est que ça marche.

Comprenons-nous bien, la dernière ZX-10R n'est pas accessible à la façon d'une 250 de novice. Mais ces montures vous font souvent suer à grosses gouttes tellement elles vous intimident et vous stressent sur un tour de piste. Celle-là semble au contraire s'effacer pour vous laisser piloter. Je n'ai eu besoin que de quelques tours pour me sentir à l'aise à ses commandes, sur un circuit de classe mondiale que je n'avais jamais vu, sans parler du sévère décalage horaire...

Quelques tours de plus et je commençais déjà à gruger seconde après seconde sur mes chronos. Bien qu'un plateau me frustra à un certain moment, quelques ajustements aux suspensions et surtout, le conseil de simplement essayer de piloter de manière moins tendue me permirent de recommencer à abaisser mes temps. Ma dernière session en piste fut ma plus rapide à 2 min 14 sec, environ 7 secondes derrière le «journaliste» le plus rapide de l'événement, un coureur professionnel espagnol. Tout au long de l'expérience, rien n'a semblé extrême, rien n'a paru incontrôlé. Conclure de cette manière n'est pas qu'un immense compliment envers les ingénieurs responsables de la nouveauté, mais se veut aussi une indication claire de la direction que prendront ces phénoménales machines dans l'avenir.

Les frais de transport et d'hébergement pour ce reportage ont été payés par Kawasaki. Bertrand Gahel est l'auteur du Guide de la Moto.