(Montréal) Au baseball, les lanceurs ont toujours eu le loisir de refuser un lancer appelé par leur receveur. Avec la nouvelle technologie, le pouvoir est maintenant complètement entre leurs mains.

Depuis quelques saisons, afin de contrer les vols de signaux, les lancers sont appelés électroniquement entre le receveur et le lanceur. Un petit clavier relié à un émetteur permet aux deux joueurs de bien communiquer entre eux. On a recours aux signaux qu’en cas de pépin technique.

La nouveauté est que plusieurs lanceurs cette saison disposent du clavier afin d’appeler directement les lancers au lieu d’attendre les suggestions de leur receveur.

« Ça ne m’a pas surpris de voir ça, mais je suis content qu’ils aient donné (ce pouvoir) aux lanceurs, a déclaré Éric Gagné lorsque rejoint par La Presse Canadienne chez lui, en Arizona. Pour tuer les temps morts, il n’y a rien de mieux. Quand tu as un plan bien arrêté et que tu veux que le rythme du match coule mieux, personne n’est mieux placé que le lanceur pour faire cela. S’il faut que tu attendes les signaux du receveur, tu perds du temps. C’était à sens unique au départ, mais là, c’est maintenant un dialogue et je trouve ça super. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancien lanceur Éric Gagné

Même son de cloche du côté de Michel Laplante, qui a lancé jusqu’au niveau AAA dans les organisations des Braves d’Atlanta et des Expos de Montréal.

Je ne prends pas le temps de regarder beaucoup les matchs, mais dernièrement, je l’ai fait pour comprendre ça. C’est intéressant, car la plupart des gens pensent que c’est le receveur qui commande et que le lanceur ne décide pas, alors qu’au niveau professionnel, il prend toujours la décision finale, sauf peut-être ces quelques dernières années, où il y a eu des lanceurs qui ont simplement dit : “ Vous avez toutes les données, moi je vous suis là-dedans ”.

Éric Gagné

Si la technologie facilite les choses — et accélère grandement le déroulement des rencontres —, il ne faut pas penser que les stratégies pour empêcher le vol des signaux sont récentes.

« Quand j’ai joué, le lanceur avait un certain contrôle, en ajoutant ou enlevant des signaux en frottant son gant au-dessus ou en-dessous de sa ceinture », a expliqué Claude Raymond, qui a connu une solide carrière de 12 saisons avec quatre organisations des Ligues majeures, dont les Expos, entre 1959 et 1971.

« Si ton receveur te montrait un doigt, pour une rapide, tu pouvais’augmenter’ou’soustraire’à ce code en frottant ton gant sur toi. En haut de la ceinture, pour augmenter, en bas pour descendre. Sa rapide pouvait donc devenir une courbe si tu frottais ton gant sur ta chemise une fois, ou un changement de vitesse si tu frottais sur ta jambe, pour descendre de 1 à 3. »

Toujours le dernier mot

Que les lanceurs décident de leurs tirs n’est pas quand même pas une nouveauté. Mais le désir du Baseball majeur d’accélérer le rythme des rencontres a amené cette « passation de pouvoir » entre le receveur et le lanceur.

« Avec les lanceurs qui ont maintenant cinq ou six lancers différents, tu ne peux pas te permettre qu’il refuse deux ou trois fois les signaux, note Gagné, vainqueur du Cy-Young dans la Nationale avec les Dodgers de Los Angeles, en 2003. […] C’est vraiment intelligent. Tu ne changes pas trop le sport en faisant cela. Personne ne va s’en offusquer et ça accélère vraiment le rythme. »

Raymond est d’accord… et lance une petite flèche aux frappeurs, au passage !

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L'ancien lanceur Claude Raymond

Maintenant, ils n’ont plus le temps de faire ça : dès que la balle est remise au lanceur, le chrono descend, dit-il au sujet du nouveau chronomètre entre les lancers. Ça va plus vite. Tout le monde blâmait les lanceurs : on se rend compte que ce n’est pas tout à fait eux qui ralentissaient les parties. Je disais toujours que les frappeurs étaient plus à blâmer : c’étaient eux qui retardaient les matchs en sortant du rectangle à tout bout de champ !

Claude Raymond

Si les jeunes lanceurs vont continuer de se fier à leur receveur, les lanceurs plus expérimentés vont en profiter pour s’octroyer plus de contrôle, estime notre panel.

« La raison pour laquelle c’est le lanceur qui décide, c’est que c’est toujours mieux une mauvaise sélection avec détermination qu’une bonne sélection sans détermination, explique Laplante. La raison pour laquelle tu fais ton lancer, tu es supposé la comprendre. Si dans une situation X, ce serait mieux d’envoyer une rapide, mais que j’ai une prise de balle pour une courbe et que je la sens vraiment, mon lancer avec conviction (ma courbe) va avoir plus de mordant que mon lancer avec hésitation (la rapide).

« Comme le lanceur est maintenant l’instigateur, il n’y a pas de ces hésitations. Tu pèses sur le piton et tu décides ce que tu veux. Les lanceurs qui ont cette conviction-là en eux deviennent encore plus forts, car ils ont leur plan bien en tête. »

Des propos qui trouvent écho auprès de Gagné.

« Si comme lanceur tu as l’intention de lancer une courbe au prochain tir et que ton receveur te demande autre chose, ça te met un doute dans la tête. Si c’est le contraire, le receveur va comprendre que c’est une bonne idée ! »

Laplante admet toutefois que ça prend une certaine dose de confiance, qu’il n’a pas acquise avant d’avoir 26 ou 27 ans.

« Ça prend une bonne tête de cochon pour appeler son match dès que tu montes de niveau. Certains le font : des gars qui ont été premier choix toute leur vie par exemple. Le receveur s’adapte et le lanceur va apprendre les leçons qu’il aura à tirer.

« Maintenant, où ça chamboule tout, c’est quand tu montes d’un niveau à l’autre, au AA, au AAA ou dans les Majeures. Toi, tu n’as jamais affronté ces équipes et ton receveur les connaît, parce que ça fait quelques années qu’il est là. Dans ce cas-là, tu vas davantage suivre ton receveur. »

Ce qui peut mener à certaines frustrations.

« Parfois tu le regrettes tellement ! Tu revois tes 108 lancers dans l’autobus ou dans l’avion et tu te dis : “ Merde ! Ce n’est pas ça que je voulais lancer et je me suis fait frapper ! ” », admet Laplante, qui aurait adoré se retrouver en contrôle du clavier.

Gagné croit aussi que cette nouvelle formule sera formatrice, un bénéfice non négligeable à ses yeux.

« Ça va aussi aider l’apprentissage des jeunes receveurs qui connaissent moins leurs lanceurs. Ils vont apprendre comment ils lancent. La communication entre eux va s’améliorer plus rapidement. »

Le Baseball majeur pensait-il accomplir autant avec ce clavier ? Jusqu’ici, c’est un circuit…