Est-ce que cela fait vraiment juste un mois que les Jeux olympiques sont finis? Après mon récent séjour au Nunavik, il me semble que cela fait beaucoup plus longtemps.

J'ai atteint deux objectifs lors des Jeux. L'un était de réussir la course de ma vie. L'autre était de rencontrer l'ancien joueur de la LNH Joé Juneau, adjoint à la chef de mission Nathalie Lambert. Cette rencontre m'a permis de repartir de Vancouver beaucoup plus satisfaite que j'aurais pu l'espérer, car notre amitié naissante m'a conduite à l'expérience d'une vie.

Il y a quelques années, j'ai lu un article à propos du programme de hockey que Joé dirige au Nunavik. Juste avant les Jeux, j'ai aussi vu un reportage télé sur ce sujet. Je sentais qu'il y avait un lien entre les jeunes Inuits et moi. Dans leurs yeux, je voyais la fougue que j'observe quand je regarde des patineurs de vitesse glisser avec puissance sur la glace. Ils affichaient la même combinaison de beauté et d'endurance. Ils me rappelaient comment je me sens lors d'une compétition. Ils avaient l'air de guerriers.

Je me disais que grâce à Joé, je pourrais peut-être un jour rendre visite à ces jeunes et rencontrer ceux qui travaillent si fort pour leur donner le sport comme exutoire. Je voulais voir de mes propres yeux le pouvoir du sport et être témoin de son impact sur ces enfants. Peut-être que je pourrais aider en partageant avec eux mon histoire. Plusieurs de ces jeunes athlètes éprouvent des difficultés à la maison et dans leur vie. Je voulais qu'ils sachent que le sport m'a tirée des griffes d'une jeunesse difficile. Je voyais en eux le même potentiel que d'autres ont vu autrefois en moi. Je voulais les encourager à ne jamais, jamais abandonner.

J'ai passé une semaine dans le village de Kangiqsualujjuaq. L'avion contenait une douzaine de passagers. Après l'atterrissage, j'ai marché vers le petit terminal et j'ai tout de suite compris que même si je n'avais jamais mis les pieds dans ce village, ma visite aurait des airs du plus extraordinaire des retours à la maison.

Des rangées de visages d'enfants, tous souriants, tous Inuits, s'alignaient dans les fenêtres du bâtiment. Des têtes de bébés émergeaient des capuchons bordés de fourrure des mamans. Des mains se sont tendues vers moi; et chaque poignée de main était accompagnée d'un regard aussi intense que sincère. J'ai tout de suite senti un lien avec la chaleur de leurs coeurs.

Peu après, je me suis retrouvée à l'aréna avec Joé. J'ai emprunté des patins de hockey et un bâton, et j'ai pris ma place dans le coin de la patinoire avec des enfants de tous les âges. À chaque coup de sifflet, l'un d'entre nous s'élançait entre les cônes, maniait la rondelle et lançait au filet. J'ai essayé de dissimuler le fait que je n'avais pas joué au hockey depuis environ 25 ans. Il était assez évident que j'étais faite pour un autre type de patins. Mais ça n'avait pas d'importance tellement nous avions du plaisir. Cela m'a montré une fois de plus que le sport fait tomber les barrières. Je l'ai observé aux quatre coins de la planète, et ce n'est pas différent dans le Nord.

Une médaille à partager

Le lendemain, nous avons visité l'école. Je me suis adressée à trois groupes d'élèves, des plus jeunes aux plus vieux. J'ai pu partager avec eux mes 20 ans d'expérience dans le sport. Ils ont ri quand un élève a été assez brave pour essayer ma combinaison de patinage. Ils étaient contents de pouvoir examiner un patin de vitesse et essayer mes lunettes de course. J'ai aussi fait circuler ma médaille de bronze. Ils la tenaient différemment des autres jeunes. Ils aimaient en sentir la texture. Plusieurs d'entre eux frottaient le disque comme s'ils voulaient le polir avec leurs doigts.

J'ai senti qu'il fallait que je partage avec ces jeunes des éléments de mon passé et de mon présent auxquels je m'étais contentée de faire allusion jusque-là: d'où je viens et les moments difficiles que j'ai traversés quand j'avais leur âge. L'histoire de ma famille immédiate n'est pas facile et elle devient plus complexe avec chaque année qui passe. Je préfère oublier ces histoires plutôt que de les partager, même avec mes amis, alors imaginez avec des inconnus! Et pourtant, je sentais que c'était la seule façon de passer mon message à tous ces grands yeux qui me regardaient, de leur dire que leur vie est précieuse et que oui, ils peuvent réaliser de belles choses même s'ils sont isolés du sud du pays, ou s'il leur semble impossible de faire jeu égal avec les jeunes privilégiés des régions plus peuplées. Je n'ai jamais établi une connexion plus forte avec un auditoire que je l'ai fait avec ces jeunes.

Les fillettes les plus jeunes passaient leurs doigts dans mes cheveux roux et les plus vieux sont venus me serrer la main, se faire prendre en photo et me donner l'accolade. J'ai toujours cru que les médailles sont faites pour être partagées. Cette médaille de bronze a une plus grande signification pour moi maintenant qu'elle est passée entre toutes ces mains au Nunavik.

Ce soir-là, je suis retournée à la patinoire pour une partie simulée. Pendant quelques heures, nous nous sommes passé la rondelle, ratant notre coup, lançant au but et marquant même parfois. Lors d'une présence sur la glace particulièrement intense, j'ai appuyé mon bâton en travers de mes genoux pour reprendre mon souffle, et j'ai aperçu un garçon deux fois plus petit que moi qui faisait la même chose. Il m'a souri et m'a dit: t'es prête?

Je n'ai pu m'empêcher de penser que ces enfants incarnaient l'esprit olympique, du moins tel que je le conçois. Leur attitude exprimait un désir de concourir à tout prix et d'aller au bout de leurs forces. Sauf que leurs forces semblaient inépuisables.

Après deux heures de jeu, le moment était venu de quitter la patinoire. C'est du moins ce que je croyais. Je m'approchais du banc quand un autre petit garçon s'est approché avec un grand sourire: «Clara, tu veux jouer?» Il a esquissé un air malicieux, a patiné autour de moi avec la rondelle et est reparti à toute vitesse. Comment aurais-je pu dire non? Pendant 40 minutes, nous nous sommes pourchassés sur la patinoire, faisant des allers et retours avec la rondelle. Plusieurs joueurs sont restés jusqu'à ce que la Zamboni nous chasse finalement.

Une leçon de vie

Pendant mon séjour, nous avons eu le temps de passer une nuit dans un camp inuit traditionnel. Le plancher de la tente de toile était recouvert de branches d'épinette sur lesquelles des peaux de caribous avaient été disposées. Un poêle à bois nous gardait au chaud. Pour souper, nous avons mangé de la perdrix des neiges et de l'omble de l'Arctique. Un festin de délices locaux dans le meilleur décor imaginable.

Moins de 24 heures plus tard, nous sommes retournés au village pour le début du tournoi de hockey. Des joueurs d'une douzaine de villages sont arrivés ce jour-là. L'enthousiasme était palpable. L'aréna était rempli de gens de la place, de tous les âges. Des bébés aux aînés, tout le monde était gonflé à bloc à l'aube de ces trois jours de hockey.

On a expliqué à la foule que chaque joueur avait obtenu le privilège d'être là en raison de son assiduité, de ses efforts et de son comportement à l'école. Les joueurs n'avaient pas été choisis seulement en fonction de leurs habiletés au hockey. Derrière leurs visières, leur fierté était évidente.

Le premier soir du tournoi, en soupant avec la famille de Nancy et de Mark, la directrice adjointe et le directeur de l'école, j'ai été témoin de l'importance du programme de hockey. Un jeune joueur est passé à la maison vers 20h pour remettre un devoir qu'il n'avait pas terminé cette semaine-là. C'était la seule chose qui l'empêchait de participer au tournoi. Après avoir vu son équipe jouer sans lui plus tôt dans la journée, il était retourné à la maison et avait fait son travail afin d'obtenir le droit de jouer dans le match de 22h45. Je n'en croyais pas mes yeux. C'est là que j'ai mesuré la valeur du programme. Ça va bien au-delà de ces jeunes qui jouent au hockey. C'est une leçon de vie pour les jeunes du Nord.

Le lendemain soir, à l'aréna, un jeune garçon que j'ai surnommé «Numéro 81» - il avait dessiné fièrement son numéro sur sa joue - s'est assis à côté de moi. Il m'a regardée pendant un arrêt de jeu et m'a demandé si j'avais pleuré quand j'ai gagné ma médaille de bronze. Je lui ai dit que non, mais que j'avais été très contente. Il a réfléchi, puis il m'a dit: «J'aimerais patiner avec de longues lames un jour, moi aussi.» Il a continué à réfléchir, puis il a ajouté: «Je vais participer à un tournoi la semaine prochaine, mais en fait, je veux patiner comme toi.»

Le retour

J'ai fini par devoir retourner au Sud et dans ce qui est pour moi le monde réel. Un monde qui ne me semblait plus si réel, subitement. J'étais triste de devoir quitter cet endroit si particulier, qui m'avait tant donné.

Dans mes bagages, j'ai placé les cadeaux que j'avais reçus au fil de la semaine. Des bottes traditionnelles, ou kamiks, fabriquées par Christina, une aînée du village; des sculptures inuits et des affiches des enfants; un collier symbolisant la force que je ne voulais plus retirer de mon cou; des mitaines en peau de caribou; et bien d'autres choses encore. Et c'est sans parler des cadeaux intangibles - les leçons tirées de la gentillesse et du grand coeur des gens que j'ai rencontrés dans le Nord. Ils m'ont permis d'entrer dans leur monde et de partager avec leurs enfants. Ils m'ont fait sentir qu'aussi longtemps que je vivrai, je garderai le souvenir de ce coin extraordinaire de la Terre.

Je sais qu'un jour, que j'espère proche, j'irai revoir ce territoire et ce peuple qui ne ressemblent à rien de ce que j'avais connu jusque-là. Je vais y retourner, car je m'y sens comme à la maison.