Les Grands Prix cyclistes World Tour de Québec (vendredi) et de Montréal (dimanche) n'ont peut-être pas attiré les Vincenzo Nibali, Alberto Contador, Chris Froome et autres grands champions de courses par étapes. Le peloton de 152 coureurs s'annonce néanmoins comme le plus fort jamais assemblé depuis les débuts en 2010. Parmi les grands spécialistes de classiques annoncés figure l'Australien Simon Gerrans, l'un des favoris. Le gagnant du Grand Prix de Québec 2012 s'est entretenu avec La Presse avant son départ pour le Canada.

Au téléphone, Simon Gerrans s'excusait d'avoir oublié le nom de la côte où il s'était détaché dans le Vieux-Québec en 2012. Mais il conservait un souvenir très clair de sa victoire au troisième Grand Prix cycliste de Québec, dans le maillot vert et jaune de champion national.

«La façon dont j'ai pu gagner en attaquant dans la dernière montée avec (Greg) Van Avermaet, a-t-il exposé. Puis, de résister au retour du peloton qui chassait dans le final. J'étais vraiment heureux de cette victoire.»

Gerrans le dit lui-même: «Je ne remporte pas un nombre énorme de courses chaque année.» Mais quand l'occasion se présente, il ne la rate pas souvent. Surtout quand ça compte. Surnommé le «tireur d'élite», il est le seul Australien à avoir gagné des étapes dans chacun des trois grands tours, dont deux au Tour de France, où il a porté le maillot jaune pendant deux jours, l'an dernier. Il a aussi levé les bras dans deux des cinq «monuments» du cyclisme: Milan-San Remo (2012) et Liège-Bastogne-Liège, dite la «Doyenne», où il s'est imposé lors de la 100e présentation ce printemps.

Où le Grand Prix de Québec se range-t-il dans un tel palmarès? «Sans aucun doute tout là-haut», répond le leader de l'équipe Orica-GreenEDGE, joint la semaine dernière à sa résidence de Monaco. «À l'évidence, ce n'est pas un "monument" à proprement parler si on le compare à Liège-Bastogne-Liège ou Milan-San Remo. Mais c'était vraiment une victoire qui se distinguait pour moi parce que c'était vers la fin d'une excellente saison. En quelque sorte, ça a cimenté le fait que je courais bien durant la saison entière. Je n'étais pas seulement bon au début ou pour le Tour de France; j'avais vraiment une bonne saison constante. J'étais donc très content d'atteindre une bonne forme, tant à Québec qu'à Montréal (NDLR 4e).»

Encouragé par sa nouvelle émergence après un dernier Tour gâché par une chute, l'athlète de Melbourne a bien l'intention d'atteindre encore la cible.

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Contrairement à la plupart de ses compatriotes, Gerrans n'est pas issu de la piste. Son passage au vélo sur route, à l'âge relativement tardif de 17 ans, est plutôt un accident. Littéralement. Il faisait du motocross et s'est blessé à un genou. Sur la recommandation d'une connaissance de la famille, il s'est mis au vélo pour sa convalescence. Cette personne n'était nulle autre que Phil Anderson, premier cycliste australien porteur du maillot jaune en 1981, qui est devenu un mentor.

«À mes premières saisons, je croyais que c'était un grand désavantage de commencer sur le tard et de me mesurer à des gars beaucoup plus expérimentés et forts que moi, souligne Gerrans. Mais je crois que ça me permettra d'être meilleur plus vieux et que ça ajoutera des années à ma carrière. J'ai 34 ans et je connais probablement l'une de mes meilleures saisons à vie.»

Recruté au Victorian Institute of Sports, il ne s'est pas démarqué par ses habiletés naturelles, mais plutôt par sa détermination. Ces qualités lui ont servi au début de la vingtaine lorsqu'il est venu s'installer en Italie, puis en France, avec l'objectif de devenir professionnel.

«On doit apprendre une nouvelle langue, une nouvelle culture, mentionne celui qui maîtrise très bien le français. Quand tu es pratiquement un adolescent, c'est un grand engagement pour pouvoir atteindre ton rêve. Mais c'est ce que je visais.»

Premier au classement des amateurs en France en 2004, il a réalisé son objectif l'année suivante en passant chez AG2R Prévoyance, avec qui il a obtenu ses premiers grands succès, dont une victoire au Tour Down Under en 2006.

«Je n'ai pas le plus gros moteur et je ne suis pas le plus talentueux», assure celui qui s'est également aligné pour le Crédit Agricole, Cervélo et Sky avant d'aboutir tout naturellement chez l'australienne Orica en 2012. «Mais parce que je travaille si fort à l'entraînement et que je suis très sérieux dans mon travail, c'est ce qui a fait la différence à long terme.»

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Après sa victoire à Liège-Bastogne-Liège (il a aussi fini troisième de l'Amstel Gold Race), Gerrans est arrivé sur le Tour en forme comme jamais. Mais il a été fauché par Mark Cavendish à la fin de la première étape. Touché aux côtes, il a poursuivi sa route malgré des difficultés respiratoires. Il a trouvé une façon de terminer cinquième à deux reprises avant d'abandonner dans les Pyrénées.

«Amèrement déçu», il a «remis les compteurs à zéro» en effectuant un stage en altitude de trois semaines à Livigno le mois dernier. À sa grande surprise, il en a profité dès la reprise en prenant le troisième rang de la Vattenfall Cyclassics de Hambourg, une course WorldTour généralement dominée par les purs sprinters.

Sans être dans une «journée fantastique» au récent Grand Prix Ouest-France de Plouay, il se blâmait pour un mauvais calcul tactique qui lui a fait rater l'échappée gagnante. «Ça n'arrive pas souvent que je ne la joue pas de la bonne façon dans les derniers kilomètres comme ça, déplore le sixième mondial. C'est pourquoi c'était si frustrant.»

Entouré par des coéquipiers manifestement en forme et motivés, dont son bon ami sud-africain Daryl Impey, qui vient de remporter le Tour de l'Alberta (1), Gerrans n'a pas l'intention de répéter la même erreur. «Je viens clairement au Canada pour des résultats», dit le redoutable puncheur, qui sera probablement le fer de lance de la formation australienne aux Mondiaux en Espagne, dans un peu moins de trois semaines.

Au fait, la côte, elle s'appelle la côte de la Montagne. «Côte de la Montagne, donc...», a répété Gerrans, qui en a pris bonne note.

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(1) Premier cycliste africain à endosser le maillot jaune en 2013, grâce à un geste altruiste de son coéquipier Simon Gerrans, Impey n'a pu prendre le départ cette année en raison d'un contrôle positif au probénicide, un diurétique qui peut être utilisé comme produit masquant. Il y a deux semaines, les autorités antidopage sud-africaines l'ont complètement blanchi après qu'il eut réussi à prouver qu'il avait été victime d'une contamination du produit à la suite d'une manipulation par le pharmacien.