François Parisien a demandé à ce que l'on rappelle dans trois quarts d'heure. À la table d'Argos-Shimano, on s'apprêtait à sabler le champagne. Deux bouteilles pour célébrer la victoire du cycliste québécois à la cinquième étape du Tour de Catalogne, en Espagne, vendredi soir.

Une victoire bienvenue pour l'équipe néerlandaise, nouvellement intégrée au circuit WorldTour, le cénacle du cyclisme mondial. Une victoire majeure d'un point de vue canadien et québécois. Une victoire en forme de tournant pour le principal intéressé, qui, à 30 ans, fait ses premiers pas à ce niveau.

«Ça change la suite de ma carrière, c'est sûr et certain», a convenu Parisien, qui se préparait à se mettre au lit lors du deuxième appel. «Même s'il m'arrivait quelque chose et que j'arrêtais le vélo là, mon statut est rehaussé à jamais. Le nom "François Parisien" n'est plus le même.»

Le ton, calme, masquait mal les émotions fortes vécues plus tôt. La ligne d'arrivée franchie à Lleida les deux bras dans les airs, la joie des coéquipiers, les fleurs sur le podium, les entrevues. Mais aussi l'appel à la copine. «Je suis parti à brailler tout de suite...»

Né en 1911, le Tour de Catalogne, qui dure une semaine, est la troisième plus ancienne course par étapes après les Tours de France (1903) et d'Italie (1909). Plutôt montagneux, il attire généralement de bons grimpeurs qui amorcent leur préparation pour les Grands Tours. Cette année, le Britannique Bradley Wiggins, gagnant du Tour de France, et Ryder Hesjedal sont du départ. D'ailleurs, sauf erreur, le gagnant du Giro était jusque-là le seul cycliste canadien à s'être imposé lors d'une épreuve sur route labellisée WorldTour.

Lui-même surpris par sa pointe de vitesse à la première étape (18e, 5e du peloton), Parisien avait annoncé ses ambitions pour cette cinquième étape au profil plutôt plat. L'absence des véritables spécialistes du sprint jouait en sa faveur. Après deux jours en haute montagne, où il a levé le pied sur ordre formel de son directeur sportif, il a surpris tout le monde sur cette arrivée sinueuse où le peloton était groupé.

«Mon directeur m'a vraiment forcé à rester tranquille, à conserver mon énergie pour cette étape-là, a-t-il raconté. Quand je me suis réveillé, j'étais vraiment pompé, dans ma bulle de sprinter. Ça a marché.»

Positionné premier au dernier virage à 300 mètres de la ligne, Parisien a pris la mesure des Français Samuel Dumoulin (AG2R), un sprinter de poche qui a gagné une étape au Tour de France, et Stéphane Poulhiès (Cofidis).

Reconnu pour son style offensif et ses qualités de grimpeur, le cycliste de Bromont ne s'était jamais distingué dans un final du genre. «Je n'avais jamais couru à ce niveau-là, tout est à découvrir, a-t-il réagi. C'est un nouvel apprentissage.»

Parcours difficile

Champion canadien en 2005, Parisien a passé toute sa carrière dans des formations de deuxième division, dont les cinq dernières sous la gouverne de Steve Bauer. «J'ai vraiment eu un chemin difficile. Avec beaucoup de hauts, mais énormément de bas aussi.»

Jamais autant que la saison dernière, où un genou douloureux l'a mis à l'arrêt pendant quelques mois, période au cours de laquelle il a vécu une dépression. Il a rebondi en septembre avec une 10e place émotive au Grand Prix de Québec. Un mois plus tard, SpiderTech, son équipe, stoppait ses activités de façon inattendue.

Parisien pensait bien devoir refaire sa niche dans une petite équipe nord-américaine. Sortant de nulle part, l'appel d'Argos-Shimano est arrivé comme une bouée de sauvetage. «Depuis le début, ils me traitent comme aucune équipe ne l'a fait, a-t-il souligné. Ils me soutiennent et ont une confiance totale en moi. C'est vraiment impressionnant.»

Cette victoire en Espagne ne fera que conforter son statut. Selon toute vraisemblance, Parisien participera aux grandes classiques ardennaises en avril, dont Liège-Bastogne-Liège. Il espère ensuite une sélection pour le Giro. Et pourquoi pas le Tour de France? «Si je marche comme un jet, c'est peut-être envisageable», s'est-il mis à rêver.