La coureuse canadienne Hilary Stellingwerff a souvent connu la victoire sur la piste. Elle ne pensait toutefois pas remporter un jour une victoire pour les droits des femmes dans le sport. L'athlète olympique ne pensait pas non plus faire invalider un jour un règlement d'Athlétisme Canada qui serait jugé «discriminatoire» par un tribunal du sport.

C'est ce que la mère de famille vient pourtant de faire, à l'issue «d'un processus très émotif qui a duré quatre mois». Sa victoire est un peu celle de toutes ces femmes, encore rares mais de plus en plus nombreuses, qui veulent avoir un enfant et continuer à pratiquer un sport de haut niveau.

Dans une décision récente qui vient tout juste d'être rendue publique, le Centre de règlement des différends sportifs du Canada (CRDSC) a dénoncé une politique d'Athlétisme Canada qui apparentait la grossesse à une blessure ou à un problème médical.

Pour bien comprendre l'enjeu, il faut résumer l'histoire d'Hilary Stellingwerff, coureuse de 34 ans de la Colombie-Britannique.

En 2012, Stellingwerff a représenté le pays aux Jeux olympiques de Londres. Elle a été éliminée en demi-finale au 1500 m. Environ un an après les Jeux, la coureuse est tombée enceinte.

Puisqu'elle voulait conserver son financement de Sport Canada, elle a demandé un «brevet médical» à sa fédération. Ce brevet permet à un athlète de garder son financement même s'il ne fait plus les compétitions normalement nécessaires pour conserver son classement dans l'équipe nationale.

Le hic, c'est qu'Athlétisme Canada n'a qu'un type de brevet: le brevet médical, qui inclut les blessures, la maladie et la grossesse. 

Selon la politique d'Athlétisme Canada, un athlète ne peut demander qu'un seul brevet médical dans toute sa carrière.

Hilary Stellingwerff a accouché de son fils Theo le 29 juin 2014. Elle est revenue à l'entraînement dans les mois suivants. Le 19 juin 2015, elle s'est blessée sérieusement. On lui a diagnostiqué une fracture de stress.

«J'ai reçu un financement pendant 10 ans sans jamais subir de blessure. Puis je suis revenue d'une grossesse et j'ai foncé à mille à l'heure pour retrouver la forme, explique Hilary Stellingwerff en entrevue avec La Presse. Mais je me suis blessée. J'ai fait une demande pour un brevet médical, et c'est là qu'on me l'a refusé.»

En octobre dernier, Athlétisme Canada a refusé de lui donner un brevet médical sous prétexte qu'elle l'avait déjà reçu pour sa grossesse. La coureuse jugeait cette politique discriminatoire. Pourquoi les athlètes masculins ont-ils droit à un brevet pour une blessure dans leur carrière, alors que les athlètes féminines qui ont eu un enfant n'y ont pas droit?

Elle a donc saisi le tribunal sportif de son cas.

Une décision claire et nette

Dans sa décision en date du 31 décembre dernier, mais rendue publique dans les derniers jours, l'arbitre Carol Roberts a tranché en faveur de la coureuse.

«La politique d'Athlétisme Canada qui traite la grossesse comme une blessure ou une maladie et empêche une athlète enceinte d'obtenir un brevet médical après sa grossesse est discriminatoire», écrit l'arbitre.

«Les athlètes féminines qui subissent une blessure n'ont pas le droit d'obtenir un brevet médical lorsqu'elles ont été enceintes auparavant. Les athlètes féminines enceintes sont donc défavorisées par rapport aux athlètes masculins, en raison uniquement de leur grossesse», écrit aussi l'arbitre du CRDSC.

Hilary Stellingwerff se réjouit de la décision. «Je pense que c'est un problème important. Je suis contente de voir qu'on l'a pris au sérieux, même s'il n'affecte que quelques femmes. J'espère que d'autres sports vont s'en inspirer», dit-elle.

Malheureusement, Stellingwerff a quand même perdu son financement. Athlétisme Canada a accepté de recevoir sa demande comme le demandait le tribunal du sport. Mais après étude, elle a refusé de lui donner un brevet médical, sous prétexte qu'ils étaient déjà tous accordés.

«J'ai l'impression que j'ai gagné la bataille, mais pas la guerre.»

Elle se réjouit tout de même de la décision. Elle a entendu dire que la fédération allait changer sa politique discriminatoire envers les athlètes mères.

Un porte-parole d'Athlétisme Canada a soutenu à La Presse hier que personne n'était en mesure de commenter ce dossier. Il n'est donc pas possible de savoir si l'organisation entend changer ses pratiques.

Direction Rio

Hilary Stellingwerff n'abandonne pas. Elle espère maintenant que son fils Theo, âgé de près de 2 ans, pourra la voir en compétition aux Jeux olympiques de Rio.

La coureuse, qui ne reçoit plus de financement, assume ses dépenses pour se rendre à des compétitions. Elle veut se qualifier lors des essais olympiques canadiens, en juillet.

«Je suis à une seconde du standard olympique, qui est de 4 min 7 s. Je me sens encore au sommet, même si dans le sport, on ne regarde que les jeunes qui sont en train de monter. Mais je pense qu'on peut courir super vite même dans la trentaine.»

Elle assure qu'elle reste en bons termes avec Athlétisme Canada. Selon elle, plusieurs gestionnaires de la fédération pensaient que le règlement devrait être changé.

«Je pensais que ça valait la peine d'aller devant un arbitre. On doit tous être des professionnels, et je ne pense pas que ça devrait me mettre en mauvais termes avec la Fédération. Ç'a été un processus très émotif qui a duré quatre mois. Mais je suis contente d'être allée de l'avant et d'avoir fait valoir mes droits.»