Coiffeuses, comptables, massothérapeutes, artisans, etc., le Québec compte quelque 558 000 travailleurs autonomes. Plusieurs d'entre eux ont fait de leur domicile leur lieu de travail, et d'autres y songent sérieusement. Or, ne travaille pas à la maison qui veut. Certaines municipalités interdisent en effet l'utilisation de résidences à des fins en partie commerciales.

De plus en plus de gens travaillent à la maison, mais toutes les résidences ne peuvent être, ne serait-ce qu'en partie, transformées en lieu de travail. Loin de là. Les obstacles se font même parfois pour le moins décourageants...

Pas de crochet dans un jumelé

Véronique Houde, mère à la maison, habite dans un jumelé à Laval. En 2013, elle décide de faire de son passe-temps, le crochet, un métier. Comme elle souhaite respecter les normes, elle enregistre La Capitaine Crochète au registraire des entreprises. Quelque temps plus tard, en discutant avec d'autres entrepreneurs, elle apprend qu'elle doit aussi demander un permis à la Ville. «Je pensais que ce ne serait qu'une formalité puisque j'étais déjà enregistrée.» Surprise, on l'informe qu'elle ne peut pas avoir de permis sous prétexte qu'elle habite un jumelé et que le règlement ne lui permet pas d'exercer cette activité dans ce type d'habitation. «Je fais du crochet, je ne fais pas de bruit. Je ne dérange personne et je vends mes créations principalement sur l'internet», raconte la jeune femme.

Après maintes pressions, la Ville a finalement modifié son règlement, mais pour l'artisane, le problème est resté entier. Elle n'entre pas dans la case qu'a délimitée la municipalité. «On me demande le pourcentage de ma maison qui sert à mon activité. On veut un plan. Le problème, c'est que je tricote sur ma table de cuisine, sur mon sofa. Je me promène. J'ai trois enfants et ma maison n'est pas suffisamment grande pour accorder un espace exclusif à mon entreprise», soutient l'entrepreneure. Résultat: elle n'a toujours pas obtenu de permis. «Je veux être en règle, mais ce n'est pas adapté à ma réalité.»

Difficile de concilier vie privée et travail

Coiffeuse depuis 30 ans, Nadine Dufour a possédé deux salons avant d'acheter un triplex en 2000 dans le but de consacrer un étage à son salon. «Toutes les fois où je suis allée à la Ville... ce ne sont pas de beaux souvenirs. On entre toujours dans un système bureaucratique. Ce sont de longues démarches, sans parler de la paperasse. La règle d'or: s'armer de patience.»

De la patience, il lui en a fallu beaucoup puisque même si elle détenait un droit acquis qui lui permettait d'occuper un étage entier d'une maison, elle a dû attendre neuf mois avant d'obtenir l'autorisation de la Ville de Montréal. «Le droit avait été perdu parce que les anciens propriétaires n'avaient pas payé leurs taxes. Cela a été extrêmement compliqué. Tout ce temps, le vendeur m'a attendue. Aujourd'hui, ce serait impensable.»

Trois ans plus tard, Nadine a vendu son immeuble. «J'ai adoré travaillé juste en dessous de chez moi. J'étais mère de famille monoparentale et cela a grandement amélioré ma qualité de vie familiale. Toutefois, après un certain temps, j'ai fini par étouffer», raconte la coiffeuse.

Avoir l'impression de ne plus avoir de vie privée, les clients qui sonnent même quand vous êtes fermé, l'envie de voir autre chose ont eu raison de ce mode de vie. «C'est à bien y penser parce que le fait de travailler chez soi fait en sorte que l'on est plus isolé ou que l'on voit toujours le même monde. On ne sort plus. C'est aussi tentant de partir une brassée de lavage entre deux clients. Finalement, on n'arrête jamais.»

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Véronique Houde ne fait pas beaucoup de revenus avec son entreprise La Capitaine Crochète, mais elle trouvait quand même important de le faire en toute légalité.

Avoir l'accord de tous les copropriétaires

Lorsqu'elle a emménagé dans sa nouvelle demeure, Julie Guimond pensait avec bonheur pouvoir y exercer en toute liberté son métier de massothérapeute. Elle a rapidement déchanté quand la Ville l'a informée que, contrairement à ce qu'elle croyait, elle ne résidait pas dans un jumelé, mais dans une unité de condo. Une différence qui changeait toutes les règles. «Je me suis fait avoir parce que le promoteur m'avait dit que c'était des jumelés et en apparence, c'était pareil», raconte la professionnelle.

La massothérapeute a tout de même entamé des démarches auprès de la Ville pour obtenir son permis. Elle croyait que les exigences n'étaient pas trop contraignantes et qu'elle répondait aux critères demandés. Un détail l'a cependant empêchée de se procurer le document. Elle devait détenir une lettre du syndicat de copropriété qui permet cet usage. Six ans ont passé avant qu'on lui remette le papier en question. «Il y avait d'autres problèmes à régler avant le mien. J'étais toujours en bas de la pile. J'ai finalement réussi à l'obtenir il y a un mois à peine.»

Toute cette période a été stressante pour elle puisqu'un autre règlement exige qu'il n'y ait qu'une seule personne qui travaille à domicile par bloc de condo. «Si mon voisin avait été comptable et qu'il avait obtenu l'autorisation avant moi, j'aurais été mal prise.»

Un coup de main des courtiers

Courtier immobilier et porte-parole de la Chambre immobilière du Grand Montréal (CIGM), Marc Lacasse voit souvent dans sa pratique des gens qui cherchent une maison et souhaitent y avoir un bureau professionnel. La première règle à respecter est bien sûr d'en informer son courtier immobilier. «Un bon courtier connaît la réglementation et il sait à quel endroit faire les recherches. Cela permet de faire du travail en amont et de filtrer les rues.»

Un courtier immobilier ou hypothécaire a l'obligation de démontrer l'exactitude des informations qu'il fournit au moyen d'une documentation pertinente. «Ce principe de vérification des renseignements doit être respecté, car le courtier et son agence sont responsables des informations qu'ils diffusent», stipule l'Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ). Bien que cette loi soit claire, le futur acquéreur a quand même une responsabilité. Il doit de son côté s'assurer auprès des autorités municipales qu'il respecte les règlements, car ceux-ci peuvent changer rapidement.

Les demandes les plus difficiles? «Les garderies sont un cas à part. C'est plus compliqué en raison de l'espace à occuper, des places de stationnement et du bruit. Ce n'est pas vrai qu'une garderie peut s'installer où elle veut, surtout si les voisins s'y opposent», met en garde Marc Lacasse.

Photo Robert Skinner, La Presse

Julie Guimond présente la pièce où elle compte exercer ses activités de massothérapie.

Des règlements et des villesLes règles d'aménagement pour l'obtention d'un permis municipal varient énormément. Voici quelques exemples.

Affaires municipales et Occupation du territoireAu ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire, on confirme que chacune des 1134 municipalités du Québec est responsable de déterminer quelles activités elle autorise sur son territoire, et à quel endroit. Elles ont aussi le pouvoir de décider du nombre d'employés qui peuvent y travailler, des affiches extérieures, de la superficie du local occupé et du nombre de clients que peut recevoir à la fois un citoyen. Pour délivrer un permis, il se peut aussi que l'on exige que l'on se conforme à des règles de sécurité (gicleur, etc.) ou spécifiques à une activité (normes architecturales ou aménagement relié à un usage). Il revient aussi à l'évaluateur d'une municipalité de déterminer si oui ou non le rôle d'évaluation sera modifié pour un usage mixte.

MontréalMontréal est un cas particulier en ce qui concerne l'autorisation d'une activité professionnelle dans une habitation privée. Il n'y a pas de règle générale pour l'ensemble de la ville. Chaque arrondissement a le pouvoir de dire ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Il détermine aussi les conditions exigées. Par exemple, il pourrait être demandé que l'espace occupé pour l'usage commercial soit muni d'une entrée indépendante de l'entrée principale du bâtiment. C'est donc dire que, pour la même activité, on peut vous dire non dans un quartier et oui dans un autre. Toute personne désirant exercer un usage autre que résidentiel dans son logement doit avant tout vérifier auprès de son arrondissement si ce dernier est autorisé, et les conditions à respecter. Un certificat d'occupation pourrait être exigé, mais pas obligatoirement.

BouchervilleSur son territoire, la Ville de Boucherville est assez ouverte quant aux types d'activités qu'elle autorise dans les résidences privées. Les habituels bureaux de services professionnels et d'affaires (finances, assurances, affaires immobilières, bureaux administratifs, etc.), les salons de coiffure et d'esthétique y sont autorisés, mais aussi les services de santé, les services de théâtre ou de spectacles, ainsi que la transformation et la fabrication de produits alimentaires de façon artisanale, mais sans vente au détail. Cette municipalité n'autorise que deux employés qui n'habitent pas sur place et un seul client à la fois peut être servi. La superficie utilisée par l'usage commercial ne doit pas excéder 25 % de la superficie du logement. Aucune vente ou location ne peut être faite sur place. Pour le service de garde, un seul autre employé est autorisé de même qu'un maximum de six enfants.

LavalLa réglementation d'urbanisme de la Ville de Laval permet l'occupation partielle d'un logement à des fins commerciales aux artistes et artisans dans tous les types d'habitation unifamiliale. Les établissements de soins personnels, les garderies et la location de chambres sont aussi acceptés, mais uniquement dans les habitations unifamiliales isolées. La superficie maximale acceptée est de 25 % du logement, sans toutefois dépasser 300 pi2. L'activité doit être faite par la personne qui habite le logement et un seul employé ne demeurant pas à cette adresse peut y travailler. La vente au détail de produits provenant de l'extérieur de l'habitation n'est pas permise et aucun étalage de produits n'est autorisé. L'usage doit être exercé à l'intérieur du bâtiment exclusivement.

JolietteÀ Joliette, c'est notamment l'usage qui détermine si un permis pourra être délivré. Le zonage dans le centre-ville aux abords de la place Bourget ne permet pas à un professionnel de transformer un local qui se trouve au rez-de-chaussée en bureau. Ces espaces sont réservés aux restaurants pour y installer des terrasses et aux commerces de vente au détail. Dans une maison unifamiliale, la Ville permet un seul usage additionnel par bâtiment principal pourvu que celui-ci soit exercé par l'occupant. Pas plus de trois personnes résidant ailleurs peuvent y travailler. Pour autoriser une activité, celle-ci doit répondre à différents critères comme les suivants : elle ne doit pas être source de fumée, de poussière, d'odeurs, de chaleur, de vapeur, de gaz, d'éclats de lumière, de vibrations ou encore de bruits perceptibles à l'extérieur du bâtiment. Les garderies en milieu familial sont autorisées pourvu que la personne détienne un permis délivré par le ministère de la Santé et des Services sociaux.

LévisLe règlement de Lévis est clair sur ce qui est permis et ce qui ne l'est pas. La Ville dit oui aux usages administratifs, immobiliers, financiers ou d'assurances, aux services personnels ou professionnels, mais exclut les lunetteries et les soins vétérinaires. Elle consent aux services d'affaires ou techniques, mais interdit plusieurs types de commerces de la liste, comme la formation à plus de trois personnes simultanément. Aucun problème pour la fabrication alimentaire, que ce soit la boulangerie, la pâtisserie ou la préparation de chocolat. La superficie maximale acceptée est de 30 % de la superficie de plancher du logement, sans toutefois excéder les 30 m2. Un plan à l'échelle de l'espace commercial doit accompagner la demande de permis. S'il y a des travaux à réaliser pour aménager le commerce à l'intérieur du bâtiment, un autre permis de construction sera requis. Pour les garderies, elles doivent respecter un maximum de six enfants ou de neuf enfants s'il y a un employé supplémentaire.

Photo archives La Presse

Montréal est un cas particulier en ce qui concerne l'autorisation d'une activité professionnelle dans une habitation privée. Il n'y a pas de règle générale pour l'ensemble de la ville.

Et si les assurances disent non?Vous détenez un permis vous autorisant à exercer des activités professionnelles dans votre maison, mais tout n'est peut-être pas gagné. Car rien ne garantit que votre assureur sera du même avis.

«Chaque assureur choisit le type d'activité qu'il accepte de couvrir. Il faut donc prendre le temps de communiquer avec plusieurs d'entre eux, ainsi qu'avec des courtiers d'assurance, pour en trouver un qui acceptera de vous assurer», souligne Joëlle Calce-Lafrenière, directrice des communications à la Chambre de l'assurance de dommages. Tour d'horizon.

Pourquoi certains métiers sont-ils plus facilement couverts que d'autres?

En gros, tout est une question d'évaluation des risques. Le chiffre d'affaires, le nombre d'employés, la proportion de l'habitation utilisée pour les activités professionnelles peuvent avoir une influence. «Le risque ne sera pas le même si vous êtes coiffeur ou si vous avez une garderie», note Annie Morin, responsable des affaires publiques au Bureau d'assurance du Canada.

Et si un travailleur omettait de déclarer son activité professionnelle?

Plusieurs contrats d'assurance habitation ou automobile comportent des limitations et des exclusions relatives aux activités professionnelles. En cas de sinistre, même si la cause n'est pas nécessairement liée à l'activité professionnelle (par exemple: une chandelle oubliée, un robinet qui fuit et qui détruit votre salle de bains, etc.), l'assurance pourrait ne pas couvrir les dommages ou pourrait payer seulement une indemnisation partielle en proportion des primes qui auraient dû être payées si l'activité professionnelle avait été déclarée.

«L'assuré est tenu par la loi de déclarer tous les renseignements qui entourent le ou les biens à assurer ainsi que son profil et celui des personnes habitant sous son toit et qui pourraient influencer la décision de l'assureur ou la prime établie. Il est donc important de déclarer ses activités professionnelles à son agent ou son courtier en assurance de dommages pour être protégé adéquatement», explique Joëlle Calce-Lafrenière.

Il est toutefois important de se souvenir qu'une assurance maison n'est pas une assurance professionnelle. «Cela ne couvre pas les fautes involontaires ni les erreurs et les omissions», souligne Annie Morin.

À quels types de protections doit-on penser?

Les protections requises dépendent de l'activité professionnelle. Globalement, comme l'explique Joëlle Calce-Lafrenière, elles sont de trois ordres. La protection pour les biens professionnels représente le coût pour remplacer ou réparer le matériel professionnel (matériel informatique professionnel ou machines à coudre). La responsabilité civile est quant à elle une protection en cas de poursuite. «Par exemple, si l'un de vos clients rate une marche dans votre escalier et se casse une jambe. Il peut vous tenir responsable et vous poursuivre», explique Mme Calce-Lafrenière. Finalement, il y a la couverture des pertes d'exploitation. «Si un sinistre survient et vous empêche de travailler pendant un certain temps, vous pourriez être indemnisé grâce à cette protection.»

Étant donné que les besoins de protections d'assurance varient selon le type d'activités, mais aussi d'une personne à l'autre, il est impossible de chiffrer la somme que peut représenter l'ajout d'une activité professionnelle à un contrat d'assurance.

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