Le prix des propriétés résidentielles a augmenté de 121% dans le Grand Montréal entre 1986 et 2016, selon la firme JLR. En réaction à ce phénomène, les jeunes acheteurs adaptent leur stratégie pour ne pas se ruiner. Au programme: nouveaux critères de recherche, éloignement du noyau urbain et aide financière parentale.

Cent visites pour une maison

Pour dénicher sa première maison, mieux vaut être prêt à y mettre argent... et temps.

En 2015, Cynthia Mariani a visité plus de 100 propriétés avant de trouver une maison pour sa famille. Au terme de l'exercice, elle se dit renversée par le mauvais état des propriétés visitées et les prix exigés.

Au départ, elle cherchait une maison le plus près possible de Montréal, avec quatre chambres, un garage et idéalement une piscine. Le tout pour environ 230 000 $. Les visites ont débuté à Laval, Saint-Hubert, Longueuil et Saint-Lambert. Sans succès. Peu après, c'était au tour de Terrebonne, Mascouche, Blainville, Saint-Eustache, Sainte-Thérèse, Boisbriand et Repentigny. De ville en ville, de maison en maison, un constat s'est imposé. « La majorité des maisons coûtaient trop cher pour ce qu'elles étaient, explique la jeune femme de 31 ans. On disait que c'était un marché à l'avantage des acheteurs, mais il fallait faire des compromis énormes. »

Il faut dire que ses critères de comparaison influençaient ses décisions. « Trois ans avant mon achat, mes parents avaient vendu une maison impeccable de trois étages à Saint-Eustache, dans un beau secteur, sans travaux à faire, avec un garage et un terrain de plus de 5000 pi2, pour environ 260 000 $. Donc, je croyais que je pourrais trouver l'équivalent avec un étage en moins pour 230 000 $. »

Malheureusement, la réalité était tout autre. « Les maisons étaient sales ou nécessitaient énormément de travaux. Avec le temps, on a laissé tomber le garage et la piscine. On voulait seulement une maison... propre, dans nos prix, peu importe où. » Mme Mariani a finalement trouvé à Saint-Constant.

Les prix augmentent vraiment

Mélissa Lampron, courtier chez REMAX, affirme qu'on pouvait acheter une propriété unifamiliale avec certains atouts à Repentigny pour environ 210 000 $, il y a une décennie. « Aujourd'hui, en bas de 250 000 $, c'est très difficile de trouver un produit qui convient aux acheteurs qui désirent du clés en main. »

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

C'est une maison avec quatre chambres, un garage et une piscine, située pas trop de loin de Montréal que Cynthia Mariani souhaitait dénicher pour environ 230 000 $. Des critères qu'elle a dû revoir à la baisse afin de mettre la main sur une propriété.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

C'est finalement à Saint-Constant que la jeune femme a trouvé sa première maison.

Toujours plus loin

En 2012, quand Amélie Arel-Dubeau et son conjoint ont voulu quitter leur copropriété dans le quartier Rosemont au profit d'une maison unifamiliale, ils se sont aperçus qu'ils devraient s'éloigner de l'île. Et pas qu'un peu.

Prévoyant débourser 250 000 $ pour une maison avec un terrain et trois chambres, afin d'accueillir leur premier enfant et ceux à venir, Amélie Arel-Dubeau et son conjoint ont vite compris qu'ils ne pourraient pas demeurer dans l'île. « Les prix des propriétés dans les quartiers centraux étaient trop élevés, affirme Amélie. Il aurait fallu aller très à l'est ou très à l'ouest, et on n'était pas prêts à ça. »

Ils ont alors cherché sur la Rive-Sud, à proximité de Montréal, mais sans succès. « On avait de la difficulté à trouver quelque chose qui avait de l'allure, alors on a accepté d'aller vraiment plus loin. » Direction : Saint-Amable. « On est passés du quartier urbain à la campagne profonde. Il y avait un champ devant la maison, une forêt derrière, et on marchait 1 km pour accéder à l'arrêt d'autobus. C'est ce qui rentrait dans nos prix, et on n'avait pas le goût de vivre les uns sur les autres dans une banlieue plate. »

Pour de l'espace, ils en ont eu. Leur première maison possédait 1800 pi2 et un terrain de 16 000 pi2, pour la somme de 224 000 $.

Toutefois, au bout de trois ans, la campagne leur a moins convenu. « Nos voisins étaient loin et on voulait un sentiment de communauté, comme dans notre ancien quartier. » 

Une vie qu'ils ont retrouvée à Otterburn Park, au printemps 2016.

Les banlieues s'étendent

Statistique Canada ajoute une municipalité à la banlieue montréalaise lorsque la moitié de sa population se déplace quotidiennement vers le noyau urbain central. C'est ainsi que Saint-Jérôme est devenu une banlieue de Montréal en 1996. Tout comme Saint-Jean-sur-Richelieu et Saint-Lin-Laurentides en 2016. Quelques autres s'ajouteront sans doute dans l'avenir. « Des villes comme Joliette, Saint-Sauveur, Sainte-Agathe, Sainte-Adèle et Granby ne deviendront pas des banlieues demain matin, mais ce sont des marchés en croissance, à une heure de Montréal », illustre Paul Cardinal, directeur, analyse de marché, à la Fédération des chambres immobilières du Québec.

Les parents à la rescousse

Laura Dagenais n'aurait jamais acheté sa première maison à 23 ans sans le soutien financier de ses parents. 

En 2010, les parents de Laura Dagenais ont décidé d'investir avec leur fille et son mari dans l'achat d'un duplex à Sainte-Julie.

À l'époque, Laura terminait ses études et son conjoint, alors âgé de 26 ans, venait tout juste d'obtenir un emploi. « On n'était pas dans une situation pour devenir propriétaires, dit-elle. On envisageait de vivre en appartement pendant quelques années parce que les maisons étaient beaucoup trop chères. »

Avez-vous assez de sous ?

Plus les prix augmentent, plus il est difficile pour les jeunes acheteurs de se qualifier auprès des institutions financières. Avant d'entreprendre des recherches de propriétés, il importe donc d'obtenir un certificat de préautorisation, selon Louis-François Éthier, directeur de produits, solutions crédit hypothécaire, à la Banque Nationale. « C'est très utile, surtout dans un marché comme celui de Montréal, alors que vous êtes en compétition avec d'autres acheteurs. Le certificat démontre votre solidité aux vendeurs. »

Cela dit, son amoureux est tombé sur un duplex fort intéressant et ses parents ont proposé de les épauler. « Ils ont toujours dit qu'ils voulaient nous aider à avoir notre nid. Dans le temps, je n'étais même pas considérée par la banque pour le prêt hypothécaire. J'étais encore aux études quand on a signé l'offre d'achat. Une chance que mes parents étaient là ! »

Quelques années plus tard, le quatuor a vendu le duplex. Les parents de Laura Dagenais ont récupéré leur mise de fonds et fait une part des profits. En parallèle, leur fille et son conjoint ont pu s'offrir une maison à McMasterville. « Sans l'aide de mes parents pour acheter le duplex et la part des profits de la vente qui a suivi, on n'aurait jamais été capables d'amasser 20 000 $ en cinq ans, avec deux jeunes enfants. »

L'héritage en avance

Les parents participent de plus en plus à la mise de fonds ou à l'achat de la première propriété de leurs enfants, selon M. Éthier. « Les parents qui ont accumulé des actifs au cours de leur vie, grâce à l'épargne ou à la croissance de la valeur de leur propriété, choisissent souvent de ne pas attendre leur décès pour léguer de l'argent. Ils préfèrent donner quand leurs enfants en ont le plus besoin. »

Les stratégies de la courtière

Mélissa Lampron, courtière immobilière chez RE/MAX et enseignante en courtage, parle des moyens que les courtiers peuvent adopter pour donner un coup de main à de jeunes acheteurs en quête d'une première propriété.

Changer de secteur

« Plusieurs personnes élevées à Montréal, qui auraient fortement souhaité acquérir une propriété sur l'île, doivent changer le secteur désiré, en réaction aux prix élevés. Ils se tournent vers des secteurs plus abordables pour acheter une propriété plus spacieuse. »

Réviser ses critères

« Ceux qui cherchent d'abord une propriété unifamiliale détachée réalisent souvent en cours de route qu'ils vont devoir envisager d'acheter un jumelé ou une maison en rangée pour éviter de trop s'éloigner de l'île. »

Repousser l'achat

« Je vois beaucoup de couples de jeunes acheteurs qui attendent deux ou trois ans de plus que prévu, afin d'éviter les compromis dans leurs critères de recherche. »

Être créatif

« Les jeunes acheteurs veulent tout et maintenant, sans rénovations à faire. Ils auraient intérêt à accepter une pièce qui n'est pas à leur goût et à prendre un prêt rénovation à même l'hypothèque initiale, au besoin. Le clés en main n'est pas la seule option. Il faut être créatif. »

Comprendre la hausse des prix

Les facteurs influant sur le marché immobilier sont nombreux. Parmi eux, on remarque la croissance économique du Canada depuis 10 ans. « Dans une période où le taux de chômage est à un creux historique, jumelé aux faibles taux hypothécaires depuis plusieurs années, la demande pour les propriétés a grandi et elle tire les prix vers le haut », illustre Louis-François Éthier, directeur de produits, solutions crédit hypothécaire, à la Banque Nationale. Si on compare les prix du début de 2018 avec ceux du début de 2017, on observe une hausse de 7 % à Montréal. « Inévitablement, c'est plus difficile pour les premiers acheteurs d'accumuler la mise de fonds minimum de 5 %, dit-il. Lorsqu'on veut acheter une propriété de 250 000 $, c'est quand même 12 500 $ à accumuler, en plus de tous les frais [notaire, droits de mutation immobilière, déménagement, travaux à prévoir, etc.]. »

De bons salaires pour les jeunes

La situation économique des jeunes acheteurs n'est pas nécessairement plus difficile aujourd'hui, selon Paul Cardinal, directeur, analyse de marché, à la Fédération des chambres immobilières du Québec. « On dit souvent que plusieurs jeunes commencent à travailler plus tard dans leur vie, puisqu'ils étudient plus longtemps, mais ils démarrent généralement avec de meilleurs revenus. » Il cite une étude de la FCIQ établissant que parmi les jeunes acheteurs prévoyant acheter une propriété au cours des cinq prochaines années, près de 40 % d'entre eux ont un diplôme universitaire. Bien que les emplois stables soient moins fréquents qu'avant et que les travailleurs autonomes soient plus nombreux, le marché de l'emploi va très bien, souligne-t-il. « En 2016 et en 2017, parmi les 126 000 emplois créés au Québec, presque 44 000 ont été obtenus par des gens de 25 à 29 ans, un âge où plusieurs sont à l'aube d'acheter une première propriété. »