L'intendant François Bigot aurait mené «joyeuse vie» dans le secteur qui porte aujourd'hui le nom de son ancien château. Il y aurait tenu captive la petite-fille d'un chef abénaquis dont il était amoureux. Une rivale jalouse aurait alors employé La Corriveau pour empoisonner la malheureuse. Les sons qu'on entend à Château-Bigot sont-ils les lamentations de la pauvre victime?

L'intendant François Bigot aurait mené «joyeuse vie» dans le secteur qui porte aujourd'hui le nom de son ancien château. Il y aurait tenu captive la petite-fille d'un chef abénaquis dont il était amoureux. Une rivale jalouse aurait alors employé La Corriveau pour empoisonner la malheureuse. Les sons qu'on entend à Château-Bigot sont-ils les lamentations de la pauvre victime?

À l'entrée du secteur, la rivière des Commissaires se transforme en petite baie explorée par les canards.

Le château Bigot - appelé Beaumanoir sous le régime français - a été construit au début du XVIIIe siècle. Il s'agissait alors du pavillon d'été de l'intendant Michel Bégon. En 1748, il serait devenu le lieu de «rendez-vous» de François Bigot, jusqu'à ce que celui-ci soit emprisonné à la Bastille en 1759. Il change ensuite plusieurs fois de mains, pour être finalement abandonné au milieu du XIXe siècle.

On le croit hanté. Apparemment, des bruits venus tout droit de l'enfer envahissent le silence de pierre qui devrait y régner.

Rapidement, son toit et certains de ses murs s'effondrent, comme si la maison tentait elle-même d'éliminer les fantômes qui l'assaillent.

En 1913, le dernier mur toujours debout subit les foudres de la population. Par mesure de sécurité, dit-on. Le refuge devient dépotoir.

Dans les années 40 et 50, Albert Potvin, propriétaire d'une partie du secteur, bâtit des chalets à l'ombre des grands arbres de Château-Bigot. En 1960, toutefois, ce territoire est zoné résidentiel, selon les désirs de la municipalité de Charlesbourg-Est. L'ère des chalets s'achève ; celle des maisons unifamiliales commence. «La ville est venue nous rejoindre, dit Mme Potvin, veuve d'Albert Potvin. Mais on ne s'attendait pas à ce que ça arrive si vite.»

En 1979, des fouilles archéologiques permettent l'étude des fondations du manoir. À côté de celles-ci, M. Potvin fait construire une maison avec les pierres des ruines.

Aujourd'hui, Château-Bigot est devenue une banlieue verte et vivante. Rien de disproportionné. Pas de vastes propriétés. Pas de garages quadruples. Juste des jardins soignés, des gens accueillants et des chemins boisés, aux titres nobles. Les rues du Baron, du Comte, les avenues le Duc, Bourg-la-Reine et compagnie rappellent le passé aristocrate du secteur.

«C'est un quartier familial, explique Jacques Verreault, Châteaubigoteux depuis 24 ans. Les gens fraternisent beaucoup. C'est réellement un quartier adorable.»

Et qui est près de la nature. Voilà ce qui plaît aux résidants rencontrés par Le Soleil au hasard d'une promenade ponctuée d'inquiétantes plaintes venues de nulle part.

«Quand ils ont construit, ils ont gardé les arbres indigènes. C'est assez rare. D'habitude, quand un quartier est bâti, on commence par raser tous les arbres», explique André, qui habite Château-Bigot depuis 16 ans.

Cette verdure appelle aux longues randonnées. «Ça marche beaucoup par ici. J'arrive justement de ma marche», dit Lucienne Potvin, qui aura 81 ans dans quelques jours.

Ces promeneurs sont attachés à leur univers. Il y a plusieurs jeunes familles qui ont récemment choisi ce secteur, mais une bonne partie de la population de Château-Bigot se compose de «vétérans» qui y vivent depuis 15, 20 ou 25 ans. «Il y a plus de gens fidèles que d'infidèles», constate André. Mais sur quatre rues sélectionnées au hasard, il s'est quand même vendu 20 propriétés depuis cinq ans, selon la Chambre immobilière de Québec.

Forêt paisible

Autour du quartier, un réseau de petits sentiers permet d'admirer les forêts du nord de Québec. Un bon endroit pour observer les oiseaux.

Yvon et Yolande approuvent. «À la fin de la journée, on entend tous les oiseaux. Et (on aime) le silence. On se ressource, ici», disent ces résidants du quartier voisin, Orsainville, qui se promènent souvent du côté de Château-Bigot.

Même s'il est en pleine nature, le coin n'est pas perdu en plein nulle part. Le circuit 36 du Réseau de transport de la Capitale y circule près de 20 fois par jour et mène directement au centre-ville de Québec. En voiture, une vingtaine de minutes suffisent à se rendre au même endroit.

Personne n'a parlé au Soleil des obsédants gémissements qui galvanisent l'air ambiant. Parce qu'il n'y en a aucun, vous l'aurez deviné.

Tuer une légende

Les légendes ont la couenne dure. Voyons voir les dégâts que la vérité peut leur causer.

François Bigot n'aurait jamais mis les pieds dans le manoir qui a porté son nom. Les objets découverts lors des fouilles de 1979-1980 n'ont donné aucun signe de décadence. C'était plutôt un endroit de villégiature, de chasse et de pêche.

En fait, la légende a été amplifiée, voire créée, par William Kirby. Dans Le Chien d'or (The Golden Dog), un roman publié en 1877, il a échafaudé une histoire autour du Beaumanoir. La petite-fille abénakis, La Corriveau, l'empoisonnement... Tout ça émane de l'imagination de l'auteur. «On ne se doute pas de l'importance de ce roman-là, explique l'historien Jean-Marie Lebel. Il y a 20 ans, dans la vieille librairie Garneau du Vieux-Québec, le livre était toujours en vitrine.»

Bref, contrairement à ce qu'a laissé croire cet article, Château-Bigot n'est pas hanté. Il n'y a ni gémissement, ni plainte d'une jeune femme empoisonnée. Le seul soupir perceptible est celui du vent dans les arbres. «La parution d'une fausseté en histoire, ça peut prendre des générations avant de l'effacer», estime M. Lebel. Mais il en va des légendes comme des châteaux: leur destin est parfois de s'élever pour mieux s'effondrer.