Partout en Europe, on peut retrouver des «jardins anglais». Mais ces parcs sont essentiellement constitués d'espèces américaines.

Cette particularité botanique est liée à l'origine de la passion britannique et même mondiale pour le jardinage, selon une historienne anglaise d'origine allemande. Au coeur de l'histoire se trouve un couple de marchands qui correspondaient à travers l'Atlantique.

«L'engouement britannique pour le jardinage est très particulier pour moi qui suis allemande», explique Andrea Wulf, auteure des livres The Brother Gardeners et Founding Gardeners. «Quand je suis arrivée à Londres au milieu des années quatre-vingt-dix, j'ai été surprise de voir des gens de mon âge parler de jardinage et de plantes avec passion. Normalement, chez moi, ce sont les retraités qui tiennent ce genre de discours. Ça m'a intriguée et j'ai décidé de comprendre l'origine de cette mode. C'était pour moi une manière de mieux comprendre l'Angleterre, un pays qui m'a tellement séduite que j'ai décidé d'y faire ma vie.»

Démocratisation du jardinage

Rapidement, Mme Wulf est tombée sur l'histoire de John Bartram et de Peter Collinson. «Collinson était un marchand de textiles de Londres de la première moitié du XVIIIe siècle, explique l'historienne en entrevue téléphonique. Il était passionné de jardinage et avait beaucoup d'amis qui l'étaient aussi. Il voulait avoir plus de variété dans ses jardins. L'Angleterre n'a que quatre espèces de conifères indigènes, par exemple. Il s'est dit que l'Amérique devait avoir plusieurs espèces d'arbres qui conviendraient au climat anglais. Par l'intermédiaire de Thomas Jefferson, qui était alors consul à Paris, il a été mis en contact avec John Bartram, un marchand de Philadelphie qui avait une passion pour le naturalisme. Bartram s'est mis à envoyer des graines de différentes espèces à Collinson. Le lien commercial s'est approfondi et des milliers d'espèces américaines ont été introduites en Europe grâce à Bartram et Collinson.»

Au départ, planter des espèces américaines était une manière de démontrer sa richesse. «On montrait qu'on avait assez d'argent pour acheter des graines à l'étranger, qu'on avait des contacts partout dans le monde. Mais rapidement, posséder des espèces américaines est devenu très ordinaire. Le jardinage s'est démocratisé. Au début du XVIIe siècle, un magnolia coûtait deux fois le salaire moyen en Angleterre. À la fin du siècle, n'importe qui pouvait en acheter un. Alors les riches se sont lancés dans une course pour trouver celui qui aurait l'espèce la plus rare.»

Pourquoi l'Angleterre a-t-elle été le lieu de naissance du jardinage de masse? «Le climat y est très propice. Il pleut énormément et il ne fait jamais très froid. On peut planter pratiquement n'importe quoi n'importe où, pourvu que ce soit une espèce d'une zone tempérée, et elle va prospérer quels que soient les soins qu'on y apporte. De plus, la révolution scientifique a été en Angleterre beaucoup plus pratique qu'en Allemagne, où on se concentrait sur l'abstrait, le raisonnement mathématique. En Angleterre, on cherchait des applications pratiques des nouvelles connaissances.»

Ses recherches l'ont menée à écrire Founding Gardeners, sur l'obsession des quatre premiers présidents américains pour le jardinage. Tous ont notamment eu des rapports avec John Bartram. «Ils ont utilisé la nature d'une manière politique», dit Mme Wulf, dont le dernier livre est une histoire de l'exploration de Vénus. «Par exemple, en 1776, alors que New York était sur le point d'être attaquée par une importante force britannique, George Washington a passé la veille de la bataille à écrire à son intendant plutôt qu'à réviser sa stratégie. Il lui a demandé d'arracher de son domaine de Mount Vernon toute plante qui n'était pas américaine. C'était une sorte de déclaration botanique d'indépendance.»

La vision botanique de chacun de ces présidents avait des conséquences politiques importantes. «Jefferson, par exemple, voulait une république agrarienne dont l'indépendance serait garantie par son autosuffisance agricole. Et en 1818, James Madison a donné un discours à une société agricole de Virginie qui est en quelque sorte le coup d'envoi de l'environnementalisme moderne. Il y déplorait la destruction par les Américains de leur environnement et prônait un retour à la nature. Son discours a connu une diffusion importante parce que tous les grands quotidiens l'ont reproduit. Madison est en quelque sorte le père oublié du mouvement environnemental.»