Mes relations tumultueuses avec «Tiger Eyes» durent depuis plusieurs années. Ce vinaigrier au magnifique feuillage jaune ne devait pas être envahissant comme le sont ses parents (le vinaigrier lacinié) ou son cousin, le vinaigrier commun (Rhus typhina).

Au bout de trois ans, en 2006, il avait commencé secrètement sa conquête du territoire et j'ai trouvé les premiers drageons à 3 m du tronc. J'ai donc suivi les conseils des experts en le mettant en cage. Une barrière en aluminium de 35 cm de hauteur fut donc installée autour de l'amas de racines, lui laissant quand même un espace vital suffisant, du moins à mon point de vue, soit un cercle de 1,5 m de diamètre. À quelques reprises, il a tenté de sauter la clôture, notamment quand la terre recouvrait partiellement le rebord de la paroi d'aluminium. Un coup de sécateur de temps à autre suffisait pour diminuer ses ambitions.

Mais cette fois, vraisemblablement à la suite de la relâche de ma surveillance, il a réussi à s'évader. Si vous regardez bien la photo ci-contre, vous constaterez que la racine a simplement passé par-dessus la barrière et s'est ramifiée au premier contact avec la liberté. Une évasion spectaculaire. Mais je l'aime tellement que j'ai accepté le côté extravagant de sa personnalité plutôt que de m'en défaire.

Cet épisode de la vie de jardinier m'a cependant fait réaliser une fois de plus que de nombreuses plantes deviennent envahissantes au jardin avec les années, un trait de caractère qui reste souvent méconnu chez plusieurs d'entre elles. Des espèces que je croyais beaucoup plus casanières.

Je ne parle pas du muguet, du lamier, du myosotis, de l'aegopode, de la plupart des violettes, de l'anémone japonaise (A. robustissima), de la jolie et maléfique anémone du Canada, des tradescantias (ou éphémères), que je considère aujourd'hui comme une véritable peste tant cette plante est envahissante, ou encore de l'onoclée sensible, belle fougère vert tendre, ou de la fougère à l'autruche, celle que l'on mange, les fameuses têtes de violon. Je m'attarde principalement sur des espèces plus tranquilles, connues avant tout pour leur charme.

Voici donc quelques nouvelles venues dans le box des accusés. Peut-être avez-vous eu à les confronter bien avant moi. Il n'en reste pas moins que dans mon jardin, elles étaient plutôt discrètes jusqu'ici. À moins évidemment que mon seuil de tolérance n'ait connu une baisse considérable depuis un an ou deux. Ce qui ne signifie pas qu'il faille éviter de les planter, mais plutôt de les surveiller et surtout, ne pas se surprendre si elles prennent une expansion non prévue.

Évidemment, le point de vue sur l'envahissement peut varier d'une personne à l'autre ou d'un jardin à l'autre. Pour certains, la présence d'une plante, comme les jolies violettes par exemple, ne dérangera jamais même si elles poussent un peu partout sur la propriété.

Photo: Pierre Gingras, La Presse

La racine de mon vinaigrier «Tiger Eyes» est passée par-dessus la barrière d'aluminium qui devrait en principe empêcher toute évasion.

Les alliums



Plusieurs alliums sont envahissants. La ciboulette à fleur d'ail, souvent prisée en cuisine ou encore le cultivar «Hair» à la tête extravagante, sont de ceux-là.

Mais pas l'Allium giganteum et ses cultivars. J'avoue que je suis un peu responsable de la situation. Les têtes d'allium sont fort jolies à maturité et je les garde souvent dans la platebande bien après que le feuillage ait disparu.

Erreur!

Les graines s'ajoutent à la division naturelle des bulbes. Si bien qu'après des années, les touffes deviennent gigantesques et prennent la place des autres plantes. J'en ai éliminé plusieurs ce printemps, notamment parce qu'elles empêchaient d'autres plantes de faire leur chemin vers la lumière, notamment les pavots.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Fleurs d'Allium giganteum

Les coeurs- saignants



Le Dicentra spectabilis, le grand coeur-saignant, celui des jardins anciens, est aussi de ceux qui progressent lentement mais sûrement dans la platebande. Au bout de quelques années, surtout si vous avez eu la mauvaise idée de le transplanter (les bouts de racines finissent toujours par former un nouveau plant), vous réalisez que vos platebandes sont parsemées de plusieurs touffes aux coeurs attendrissants.

Mais il y a une limite à l'amour. Méfiez-vous aussi de Dicentra cucularia vendu parfois au rayon des plantes indigènes. Ces petites fleurs blanches sont magnifiques. Mais au jardin, il fleurit souvent difficilement et devient vite un cauchemar.

L'ancolie du Canada



Plante délicate, sa fleur orangée ou rougeâtre est mignonne comme tout. L'ancolie du Canada est une de mes plantes indigènes préférées et elle a sa place au jardin depuis des années. Mais elle se multiplie à vue d'oeil par ses semences et on en trouve maintenant partout.

Photo: Pierre McCann, archives La Presse

Joli, le Dicentra cucularia occupe vite le territoire.

Campanule agglomérée

Campanula glomerata commence à fleurir en juin et donne de jolis bouquets de fleurs blanches, rosâtres ou bleues comme dans le cas du cultivar «Superba», probablement le plus populaire.

La campanule agglomérée ou en bouquets, selon ses appellations en français, pousse rapidement, très rapidement, pour atteindre un buisson de 60-70 cm et ensuite se lancer à la conquête du jardin.

Elle avance à chaque saison et n'était-ce de mon intervention radicale régulière, elle aurait envahi toute la platebande où je l'ai jadis installée. Campanula lactiflora se comporte de façon similaire.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Campanula lactiflora «Loddon Anna»

Petits sedums



Plusieurs petits sedums sont très envahissants. C'est le cas des variétés de Sedum acre à fleurs jaunes. C'est aussi le cas de Sedum rupestre «Angelina» fort joli, de couleur jaunâtre, introduit au Québec il y a cinq ou six ans. Je l'ai planté dans mon jardin alpin et depuis c'est la fête. Il doit être contrôlé sinon, il prendra toute la place.

Mais il est sage si on le compare avec le Sedum hispanicum, une espèce vert tendre, miniature. Un cauchemar végétal. Il se répand à la vitesse de l'éclair et pousse partout, partout, partout. Je ne sais plus qu'en faire. Je l'arrache mais il revient.

Déjà, l'espèce d'origine européenne est considérée comme échappée de culture en Ontario et au Québec. Il n'est pas dit que je ne gagnerai pas la guerre.

Photo: François Roy, La Presse

Sedum «Angelina», dans la paroi de mon jardin alpin.

Astrantia major



Ses fleurs inusitées sont très jolies. Plusieurs cultivars vendus ces dernières années donnent des inflorescences dans les tons de rouge assez foncé et ils sont en fleurs une grande partie de l'été.

Connu chez nous habituellement sous son appellation scientifique d'Astrantia major, la grande astrance, l'astrance radiaire, ou encore la grande radiaire, selon le nom qu'on lui donne en français, conserve ses fleurs séchées sur le plant fort longtemps.

Le hic, c'est qu'on ne veut pas le couper. La conséquence: les semences produisent de nombreux plants.

Photo: Pierre McCann, archives La Presse

La fleur d'Astrantia major est très particulière.