Je n'en croyais pas mes yeux. Dans la courbe qui donne accès à la route 132 Est, après le pont Jacques-Cartier, entre la voie d'accès et l'immeuble Iberville, elles étaient une trentaine à se moquer de la neige. Une petite colonie de fleurs jaune vif, des tanaisies pétantes de santé... un 6 décembre.

La rencontre a duré quelques secondes, comme toutes les autres qui ont suivi. Évidemment, ce n'est pas l'endroit où s'attarder en voiture.

 

En dépit des nombreuses nuits sous le point de congélation de la fin novembre et du début décembre, elles avaient encore la tête bien droite après la première tempête, comme si elles voulaient fêter Noël avec nous. Il aura fallu le passage de la souffleuse pour les faire disparaître, du moins jusqu'au printemps.

Des tanaisies en fleurs en décembre, je n'avais jamais vu un tel phénomène. La botaniste Gisèle Lamoureux, directrice du groupe Fleurbec et auteure des célèbres guides d'identification du même nom, non plus. Impossible de savoir s'il s'agissait d'une floraison tardive ou d'une deuxième production de fleurs.

Il faut dire que la tanaisie vulgaire, Tanacetum vulgare de son nom scientifique, a la couenne dure. L'origine de son nom signifierait «immortalité» en raison de ses fleurs qui mettent beaucoup de temps à flétrir, nous dit justement Plantes sauvages des villes et des champs (éd. Fleurbec). Elle aurait même servi à embaumer les morts.

Originaire d'Europe, signalée pour la première fois sur le continent en 1748, elle s'est échappée de culture depuis 150 ans au Québec. Les plants qui poussent chez moi depuis des années ont été prélevés sur le bord d'une route de mon patelin. De la grande famille des chrysanthèmes, la tanaisie vulgaire est parfois vendue en pépinière, mais c'est le cultivar «Crispum» qui est le plus populaire au jardin, en raison de son feuillage plus dense et plus délicat, fort joli.

Herbe à dinde, herbe à la puce

D'une hauteur d'environ 1 m, ses feuilles découpées rappelant les fougères sont vertes, très foncées, et ses fleurs forment de nombreux boutons jaune vif. Son feuillage émet une odeur particulière parfois forte mais pas désagréable, qui rappelle celle de l'achillée millefeuille, notre herbe à dinde.

Cette odeur est d'ailleurs attribuable à une huile volatile qui a fait de la tanaisie une plante médicinale populaire. C'est d'ailleurs à ce titre qu'elle fut introduite en Amérique. En France, nous dit Fleurbec, elle porte le nom d'herbe à la puce parce qu'elle permet de chasser les puces du plumage des poules. Il semble que l'on pourrait obtenir le même résultat sur un chien, si on laisse l'animal dormir sur un tapis de tanaisie séchée. Jadis, on employait l'essence de la plante à toutes les sauces, si on peut dire, non sans provoquer quelques morts ici et là.

Quant à son action répulsive contre les mouches ou les maringouins, elle relève plutôt du mythe. Je me souviens qu'en 2003, lors du Rendez-vous horticole du Jardin botanique, un groupe vendait des plants de tanaisies vulgaires comme répulsifs à moustiques, une façon rentable, semble-t-il, de profiter de la psychose du virus du Nil et de la naïveté des gens.

Au jardin, la tanaisie s'accommode d'un sol ordinaire et d'une position ensoleillée ou mi-ombragée. Son feuillage est décoratif et odorant au toucher. La floraison survient habituellement en fin d'été et se prolonge durant plusieurs semaines. Elle est considérée comme envahissante mais, si je me fie à mon expérience, ses ambitions territoriales sont limitées et se contrôlent facilement. Certains conseillent de raser le plant après la floraison afin de lui permettre de fleurir de nouveau au cours de l'automne. Il n'est pas impossible que ce soit justement ce qui est arrivé à mes tanaisies le long de l'autoroute.