Seriez-vous prêt à débourser des centaines de dollars pour une vivace en pot? Que diriez-vous de payer 300$ pour un plan de pivoines; 250$ pour deux tiges d'hémérocalles ou 60$ pour une fougère? Au même titre que les voitures, les oeuvres d'art ou bien le vin, les plantes ornementales ont elles aussi leurs aficionados qui n'hésitent pas à allonger les dollars pour mettre la main sur des spécimens sortant de l'ordinaire. Petite visite dans l'univers québécois des vivaces onéreuses.

Contrairement au vin, qui prend habituellement de la valeur avec l'âge, les vivaces les plus chères sont, la plupart du temps, des nouveautés que des horticulteurs avertis veulent avoir dans leur jardin avant tout le monde. Bref, l'exclusivité a un prix. D'ailleurs, et cela est assez ironique, ces hostas, hémérocalles, fougères et autres pivoines qui ont été payés au prix fort se retrouvent bien souvent, quelques années plus tard, dans les centres de jardinage et les grandes surfaces à un coût beaucoup plus accessible.

 

«Même s'il existe déjà au minimum entre 40 000 et 60 000 variétés d'hémérocalles, le prix d'une nouvelle variété est établi en fonction de la rareté», explique Jean-Claude Vigor, professeur retraité de l'ITA de Saint-Hyacinthe et l'une des sommités en matière d'horticulture au Québec.

Ce sont les producteurs d'hybrides, ajoute M. Vigor, qui s'amusent à créer des nouveautés. Sur le continent, les plus importants d'entre eux se trouvent en Virginie, en Floride, voire en Louisiane. Moyennant de 600$ à 800$, les producteurs d'hybrides peuvent même vous créer une vivace exclusive portant votre nom. Au jardin Daniel A.-Séguin de Saint-Hyacinthe, il existe une hémérocalle nommée en l'honneur de l'ex-lieutenante-gouverneure du Québec Lise Thibault. Jean-Claude Vigor s'en amuse, car, dans la foulée, on lui en a également créé une. Elle pousse dans son jardin en Montérégie.

Au Québec, Serge Fafard, de l'entreprise Les Jardins Osiris, à Saint-Thomas-de-Joliette dans Lanaudière, est l'un de nos plus prolifiques hybrideurs. «C'est une maladie», plaisante le principal intéressé qui vient de mettre en terre - à titre expérimental - 3000 hybrides d'hémérocalles. Le taux de réussite dépasse rarement 1%, dit-il. Sa vivace la plus chère: une pivoine Itho (originaire du Japon) vendue 300$.

Ce n'est pas d'hier que des végétaux se vendent à des prix qui en laissent certains pantois. Selon Jean-Claude Vigor, le premier krach économique mondial a été causé par la surenchère des... bulbes de tulipes hollandaises. Des variétés valaient jusqu'à 100 000$ le bulbe, dit-il.

Chez Hémérocalles Jardin Lac-Brome, André Pagé possède plus de 3000 variétés de la famille des Hemerocallis. Actuellement, il en possède quelques variétés à 150$ la tige. C'est évidemment la rareté qui détermine ce prix, rappelle-t-il. «Mais les frais de transport (des États-Unis), les frais de douanes et les taxes font en sorte que mon prix d'achat a triplé quand la plante arrive ici», explique M. Pagé, dont les jardins du chemin du Mont Echo, près de Knowlton, sont ouverts au public.

Ce sont les coups de coeur qui motiveraient l'achat de vivaces onéreuses, selon une dame de Granby qui veut conserver l'anonymat pour ne pas, dit-elle, attirer les voleurs. D'ailleurs, ajoute celle qui possède quelques végétaux à 175$ (pivoines et hémérocalles), les horticulteurs se vantent rarement d'avoir des plantes qui valent cher dans leur jardin. «Je l'ai dit à mes filles pour être sûre qu'elles les amènent chez elles quand je ne serai plus là», explique-t-elle.

Adamo Sénécal, de Fougères Boréales à Sainte-Sophie, vend plus de 63 espèces de fougères. La plus chère de sa collection: la driopteris polylepsis, une fougère hybride importée de Corée du Sud qui vaut 60$. Mais à bien y penser, ce n'est pas si onéreux, dit-il, car ce type de fougère vit facilement 50 ans. Il en est de même pour la plupart des vivaces. Un investissement à long terme, quoi.