Voilà des années que je passais devant lui, chaque jour ou presque, parce qu'il pousse le long d'une rue menant chez le boulanger. Et chaque fois, je me posais la même question: est-il artificiel?

Voilà des années que je passais devant lui, chaque jour ou presque, parce qu'il pousse le long d'une rue menant chez le boulanger. Et chaque fois, je me posais la même question: est-il artificiel?

Vous savez, ces arbres de Noël synthétiques qui possèdent des aiguilles tout le long des branches et même sur le tronc! Et durant toute cette décennie, j'avais l'impression qu'il ne grandissait pas, restant figé à 1,5 m, tout en conservant son allure étrange et son vert tendre l'année durant.

J'hésitais à cogner à la porte des propriétaires. Peut-être avais-je peur d'avouer mon ignorance. Mais cet automne, alors que je travaillais dans le coin en compagnie d'un photographe, j'ai arrêté brusquement la voiture devant le conifère en «pseudo-plastique». À ma requête, mon collègue est allé tâter la chose pour que je puisse en avoir le coeur net. Réponse: «C'est un vrai arbre!» J'étais estomaqué. Je n'avais jamais rien vu de pareil. Au cours de la semaine qui a suivi ma bouleversante découverte, j'ai contacté les proprios et obtenu le nom du végétal: Pinus aristata.

Cette espèce fait figure à part dans le monde des conifères. L'arbre pousse lentement, très lentement. Dans ses montages du Colorado, du Nouveau-Mexique, de l'Arizona et dans certaines régions montagneuses de la Californie et du Nevada où il vit en paix depuis des millions d'années en raison de l'altitude - on parle d'environ 3000 m -,il atteint parfois une hauteur de 15 m. Cela semble beaucoup mais cette croissance a souvent exigé plus de... 1500 ans. Appelé parfois pin de Bristlecone, une traduction littérale de l'anglais, Pinus aristata compte plusieurs individus millénaires, au moins quatre spécimens de plus de 2000 ans et l'aîné du groupe devrait fêter cette année son 2450e anniversaire de naissance.

Presque identique, du moins pour le profane, son petit cousin, Pinus longaeva, vit à quelques centaines de kilomètres plus loin, dans le même environnement, mais sans jamais avoir établi de relations familiales au cours des millénaires. Sa longévité est encore plus grande. Un spécimen a été authentifié il y a quelques années comme ayant... 4731 ans. Il s'agit selon toute vraisemblance de l'être vivant le plus vieux sur terre.

Une forme très irrégulière

L'incroyable longévité de ces pins est attribuable aux conditions austères de la montagne. Si les insectes prédateurs et les maladies fongiques sont plutôt rares dans ce milieu, les arbres doivent supporter des températures extrêmes, en plus d'être balayés régulièrement par des tempêtes de neige, de grêle et de sable, ce qui explique ses formes souvent tordues et son tronc généralement dénudé sur une grande surface. En milieu naturel, les aiguilles de Pinus aristata persistent aux branches durant une période variant de 10 à 17 ans, ce qui est extrêmement long chez un conifère. Cette caractéristique diminue d'autant la matière organique renouvelable sur le sol, ce qui rend le milieu encore plus pauvre.

Ses feuilles (les aiguilles des conifères sont l'équivalent des feuilles) mesurent de 2 à 5 cm. Elles sont perpendiculaires à la branche et poussent tout autour.

Pinus aristata est vendu en pépinière depuis de nombreuses années mais reste très peu connu. Le grossiste Québec Multiplants en produit et Jean-Pierre Devoyault, proprio des jardins de Jean-Pierre, à Sainte-Christine, près d'Acton Vale, tient l'espèce de même que deux hybrides dont une variété naine, et une autre à croissance rapide. Plusieurs centres de jardin s'approvisionnent aussi en Ontario. On peut en voir quelques magnifiques exemplaires au jardin de crevasses du Jardin botanique de Montréal.

Ce pin est souvent d'une forme irrégulière, ce qui ajoute à son charme. Par ailleurs, ses aiguilles produisent souvent une goutte de résine blanche qui se solidifie, une caractéristique unique chez les pins, un aspect que certains confondent parfois, à tort, à une infestation de pucerons comme c'est souvent le cas chez le pin mugo.

Aux États-Unis, l'espèce est populaire parmi les amateurs de bonsaï qui en ont fait un symbole de longévité.

Pinus aristata exige un sol très bien drainé, une position ensoleillée ou légèrement ombragée. Évidemment, sa croissance est très lente et les conditions climatiques différentes de son milieu d'origine abrègent beaucoup son existence dans notre environnement urbain. Mieux vaut en aviser vos héritiers.

 

Photo Alain Roberge, La Presse

Voici le <i>Pinus aristata</i> qui pousse dans mon patelin. J'ai cru durant des années qu'il s'agissait d'un conifère artificiel.