Quel amateur de jardinage ne s'est pas retrouvé un jour ou l'autre avec des épines de rosiers dans les doigts? «Fleur d'épine, fleur de rose», dit la chanson.

Quel amateur de jardinage ne s'est pas retrouvé un jour ou l'autre avec des épines de rosiers dans les doigts? «Fleur d'épine, fleur de rose», dit la chanson.

Voilà d'ailleurs quelques années que ma tendre moitié me demande d'enlever nos «Flower Carpet» d'une platebande. Ces rosiers rampants exigent l'élimination régulière des fleurs fanées si on veut obtenir une floraison abondante tout l'été. Vous l'avez compris, c'est elle qui fait le travail. Et à chaque fois, à la fin de l'opération, on a l'impression qu'elle s'est battue avec un gros matou.

 Je suis donc à la recherche de rosiers sans épines. La grande foire horticole de Saint-Hyacinthe, qui a lieu cette semaine, devrait me permettre de savoir où m'en procurer au printemps prochain. (Les détaillants font leurs commandes en novembre et décembre.) Car ces plantes sont peu connues, explique Claire Laberge, l'horticultrice responsable de la roseraie du Jardin botanique de Montréal. Cette grande passionnée des roses a justement effectué pour les lecteurs de La Presse une sélection de rosiers sans épines, des plants qui sont tous rustiques chez nous sans protection hivernale, du moins dans la grande région métropolitaine - des rosiers très beaux, souvent créés dans les années 1800. Dans le vocabulaire horticole, on parle de rosiers inermes, un terme d'origine latine signifiant sans arme ou sans défense.

Voici donc cette liste:

 «Chloris»: lancé en 1835; rosier ancien, pétales multiples, fleur rose très pâle, 2 m.

 «Mme Legras de St-Germain»: lancé en 1846; fleur blanche, 2,5 m.

 «Zéphirine Drouin»: lancé en 1868; rosier ancien, fleur rose foncé, remontant, de 1 à 2 m.

 «Marie Pavié»: lancé en 1888; rosier polyantha (grappes de petites roses), couleur crème, boutons roses, 1,2 m.

 «Paul Neyron»: lancé en 1869; fleur rose, semblable à l'hybride de thé, deux floraisons (remontant), 1,5 m.

«Kathleen Harrop»: lancé en 1919; rosier ancien, fleur rose pâle très belle, 1,2 m.

 «Thérèse Bugnet»: lancé en 1950; créé au Canada, couleur rose, très parfumé, 1,5 m. Quelques épines sur le vieux bois.

 Incidemment, cette rose a été créée par Georges Bugnet (elle porte le nom de sa femme), écrivain (il a écrit une dizaine d'oeuvres), journaliste et horticulteur français qui s'est établi en Alberta en 1905. Il est mort en 1981 à l'âge vénérable de 102 ans.

 «Martin Frobisher»: lancé en 1968; premier rosier de la série Explorateurs d'Agriculture Canada, fleur rose pâle, très parfumée, 1,5 à 2 m. Très rustique (zone 2). Fleurit tout l'été. Quelques épines sur le vieux bois.

 «Golden Border»: lancé en 1996; rosier de la firme française Meilland, type anglais, fleur jaune, 1 à 1,5 m, quelques épines sur le vieux bois, vendu en Europe sous le nom de «Comtesse du Barry». Fleurit tout l'été. Convient bien aux haies.

 «Outta The Blue»: lancé en 2002; fleur rose avec teintes bleuâtres, très parfumée, arbustif, 1,5 m.

 «Rosa blanda»: espèce nordique (Baie-James, nord de l'Europe) aux tiges rouges et aux fleurs roses, simples. De 1,5 à 2 m. Aussi connu sous le nom de rosier de la baie d'Hudson ou, en Europe, sous l'appellation de rosier alpina. Figurait dans le jardin de l'impératrice Joséphine.

La reine dans tous ses états

 Malgré sa beauté et ses parfums, la reine éprouve des difficultés à retenir ses admirateurs. Trop capricieuse? Trop fragile? Trop frileuse?

 Chose certaine, les ventes de rosiers exigeant une protection hivernale sont en chute libre au Québec, indiquent plusieurs pépiniéristes et grossistes en horticulture. Au cours des cinq dernières années, la baisse a souvent dépassé les 50% et s'est même accentuée depuis deux ou trois ans.

 Représentante au service des ventes en gros de la Pépinière Abbotsford, à Saint-Paul-d'Abbotsford, important producteur de rosiers au Québec, Lynn Sweeney, souligne aussi que les paysagistes ont délaissé la plantation d'hybrides de thé et autres rosiers peu rustiques chez leurs clients, notamment chez les entreprises qui ont des contrats d'entretien. «Cela leur permet aussi de réduire leur charge de travail», fait-elle valoir.

Plusieurs raisons expliquent la désaffection des amateurs de jardinage envers les hybrides de thé, les floribunda, les grandiflora et certains rosiers anglais. Non seulement faut-il les protéger en hiver, mais en dépit de cette protection, on déplore toujours un certain taux de mortalité parmi les plants. Sans oublier que certains propriétaires apprécient de moins en moins les cônes en polystyrène, peu esthétiques, sur leur terrain.

 Mais c'est la loi sur les pesticides qui semble avoir porté le plus grand coup, estime Mme Sweeney. Terminé l'usage d'insecticides et de fongicides chimiques notamment pour lutter contre la tache noire qui affecte la beauté du rosier, en plus de causer la chute d'un grand nombre de feuilles. Quant aux produits biologiques, leur impact est beaucoup moins rapide et ils exigent une gestion plus écologique et plus complexe des plantations.

 Même son de cloche chez plusieurs détaillants importants comme la Pépinière Jasmin, à Saint-Laurent, un centre de jardin qui offre de 300 à 400 variétés de rosiers. «Nos avons réduit nos inventaires considérablement, de presque qu'un tiers, dit l'un des propriétaires, Pierre Jasmin. Les hybrides de thé figurent d'ailleurs de moins en moins sur les plans des architectes paysagistes que les clients nous présentent. Plus encore, ces rosiers hivernent mal et les pertes sont souvent importantes durant la froide saison pour les centres de jardin.»

 Les amateurs de jardinage recherchent aussi, de plus en plus, des plantes sans entretien, si bien qu'ils ne veulent plus se plier aux exigences des rosiers non rustiques. Cette tendance à la baisse se manifeste également aux États-Unis pour les mêmes raisons. Bien que l'usage des pesticides soit beaucoup moins réglementé chez l'Oncle Sam, le public est aujourd'hui beaucoup plus sensibilisé à leurs effets nocifs.

 La compétition

 Un autre facteur important explique aussi le déclin de la reine des fleurs: la compétition.

 Le nombre de nouvelles plantes sur le marché augmente sans cesse. Or, les cultivars récents exigent beaucoup moins d'entretien que les variétés traditionnelles et sont souvent moins sujets aux maladies ou aux attaques d'insectes. Plus encore, ils rivalisent de beauté avec la rose. L'exemple de l'hortensia «Endless Summer» est intéressant à cet égard. Introduit en 2004 au Québec, cette plante aux fleurs bleues de grande dimension s'est vendue à environ 30 000 exemplaires depuis, un engouement qui s'est fait en bonne partie au détriment des hybrides de thé et autres rosiers, estiment plusieurs pépiniéristes.

 Par ailleurs, la génération des baby-boomers, qui représente le plus important groupe d'amateurs de jardinage, s'installe de plus en plus en condominium, explique pour sa part François Lapointe, de la Pépinière Lapointe, à Mascouche, un des plus importants détaillants au Québec. «Évidemment, en condo, ils cultivent des plantes en pots où, la plupart du temps, les rosiers n'ont plus leur place. D'ailleurs, les jardiniers optent davantage pour des arrangements déjà préparés, des gros lantanas, des lauriers ou des coléus de grande taille dont ils se débarrassent en fin d'été. D'autres vont préférer des hortensias. Mais la règle est simple: il veulent des plantes qui exigent peu d'entretien.»

 Rappelons enfin que les rosiers rustiques, eux, ont toujours la cote auprès des consommateurs mais qu'ils représentent moins de la moitié des ventes de rosiers au Québec. Car même si son règne est perturbé, la reine des fleurs demeure toujours l'hybride de thé dans le monde.

 

Photo Jardin botanique de Montréal

La rose «Thérèse Bugnet» a été créée en Alberta.