Ravis d'avoir cédé leur place, les enfants avancent à petits pas, les bras chargés de minicitrouilles et de petites courges décoratives. Comme si elle venait de trouver un trésor, une fillette pousse un cri admiratif devant un potiron Giraumon, orange et blanc, dont la forme ressemble au turban d'Aladin et qu'on appelle aussi bonnet turc.

Ravis d'avoir cédé leur place, les enfants avancent à petits pas, les bras chargés de minicitrouilles et de petites courges décoratives. Comme si elle venait de trouver un trésor, une fillette pousse un cri admiratif devant un potiron Giraumon, orange et blanc, dont la forme ressemble au turban d'Aladin et qu'on appelle aussi bonnet turc.

«Le plus merveilleux avec les courges, c'est qu'elles se conservent longtemps. On peut étirer le plaisir plusieurs mois après l'Halloween», dit Fabiola, mère de deux jeunes enfants. Ses beaux-parents, qui en ont cultivé durant plusieurs années, l'ont initiée. Chaque automne, elles fait ses «provisions de vitamines».

Les familles entassent les paniers et les sacs pleins à ras bord de légumes-fruits dans les véhicules. Ouvert depuis 1999, le Centre d'interprétation de la courge à Saint-Joseph-du-Lac, près d'Oka, est devenu un lieu très populaire qui accueille des milliers de visiteurs, dont des groupes du milieu scolaire et du troisième âge, du mois d'août à la fin d'octobre.

Cet attrait nouveau pour la courge cause même des problèmes de stationnement durant les week-ends. «Ça déborde! Nous sommes, en quelque sorte, victimes de notre succès. Jamais je n'aurais pensé que nous pourrions attirer autant de visiteurs aussi rapidement. Mais on ne veut pas agrandir pour devenir un mégacentre», explique Sylvie d'Amours, copropriétaire avec son mari, André Lauzon, producteur maraîcher depuis des années.

En suivant la route des pommes dans la région des Basses-Laurentides, les gens s'arrêtent aussi pour ramasser des courges, ce qui ajoute à la diversité des produits et au plaisir de l'autocueillette. «Je suis contente d'avoir créé un nouvel atout touristique», affirme Mme d'Amours. Le centre a déjà remporté un prix de tourisme dans la catégorie innovation. On y trouve une variété incroyable de courges, dont plusieurs ne sont pas vendues dans les supermarchés.

100 000 courges et 25 000 citrouilles

Avant de faire leur choix, des gens écoutent attentivement les conseils culinaires d'une animatrice. «Cette courge est bien belle, mais je ne sais pas comment l'apprêter», dit une dame en montrant un fruit en forme d'arachide de couleur ocre. Une butternut à la chair ferme, mais tendre avec un goût musqué qui regorge de bêta-carotène. Idéale pour les purées de bébé.

Légume-fruit

Du point de vue botanique, la courge est un fruit qui sert à reproduire la plante par ses graines. En cuisine, on la considère davantage comme un légume parce qu'elle sert souvent à la préparation de mets salés, un peu à l'exemple de la tomate. D'où le nom de légume-fruit. Ce qui n'est pas le cas de la citrouille utilisée dans les desserts.

En se lançant dans cette culture, Sylvie d'Amours et André Lauzon sont devenus des promoteurs de la courge québécoise. «On voulait se démarquer, offrir un produit différent pour éveiller la curiosité des consommateurs qui désirent de plus en plus essayer de nouveaux mets.

Le timing était bon, mais il fallait trouver la façon de susciter la demande et d'assurer la mise en marché», explique-t-elle.

Après avoir essayé péniblement de se tailler une place dans les supermarchés où les courges, à l'exception de la citrouille, proviennent principalement de l'importation (le Mexique surtout), le couple a décidé de s'orienter vers l'agrotourisme et la vente dans des fruiteries bien choisies. Ses produits se retrouvent également sur un étal du marché Jean-Talon grâce à une entente avec un producteur qui accepte de les vendre.

«On a abandonné les grandes chaînes d'alimentation parce qu'elles n'étaient pas intéressées à tester de nouvelles variétés et encore moins à promouvoir notre produit précise André Lauzon. Il aurait fallu que j'organise moi-même des dégustations, que je distribue des fiches de recettes, en plus de m'occuper de l'approvisionnement.»

Parce que c'est «une tâche impossible pour un petit producteur», M. Lauzon a choisi de faire connaître son produit en attirant les gens dans son champ.

Centre d'interprétation

Tout un défi! À part la citrouille durant l'Halloween, les Québécois ne sont pas de grands consommateurs de courges. Les agriculteurs, qui en cultivent des quantités importantes, les vendent principalement sur le marché de l'exportation aux États-Unis (y compris un grand nombre de citrouilles) où la demande est plus forte.

Avec la collaboration de Norseco qui leur fournit des graines, ils ont essayé plusieurs variétés. «Le plus difficile, ce n'est pas d'en cultiver, mais d'en vendre. Encore méconnue au Québec, la courge est plus populaire chez les anglophones. Il faut dire que l'Halloween est une tradition irlandaise», mentionne Mme D'Amours.

Pour mieux la faire connaître, elle a eu l'idée d'ouvrir un centre d'interprétation.

«En organisant des journées d'animation pour les élèves, je me disais que c'était une façon d'attirer progressivement les parents. Ils sont venus nombreux dès la deuxième année. Mes feuillets de recettes se sont envolés. Il faudrait maintenant que j'écrive un livre. Les gens veulent savoir comment cuisiner la courge. Moi, je les aime toutes et j'ai un plat pour chacune. De l'entrée au dessert.»

Des frites à la fondue

Sa recette de «frites», qu'elle surnomme des doigts de vieilles filles et qu'elle fait goûter au cours de dégustations, connaît beaucoup de succès auprès des amateurs et même de certains producteurs qui se la sont appropriée. Elle utilise la Hubbard bleue de Nouvelle-Angleterre. Une courge gris bleuté, légèrement bosselée et côtelée, dont le goût de la chair de couleur orange peut se rapprocher de celui d'une patate sucrée. «Coupée en morceaux que l'on cuit comme des frites dans l'huile, cette courge est un régal! Elle est devenue une des favorites du centre. Au début de septembre cette année, il n'en restait déjà plus.»

Avec la courge Giraumon, Sylvie d'Amours prépare aussi un genre de «fondue» que toute la famille adore. Après avoir découpé le chapeau et enlevé la chair au centre, elle remplit la cavité avec une farce composée de morceaux de pain rassis, de fromage, de crème 35 %, d'ail et de bacon cuit. Elle met le tout au four environ une heure. Une fois prête, la courge est placée au centre de la table comme une fondue dans laquelle chacun pique sa fourchette. «C'est très bon et convivial», dit-elle.

Mme D'Amours a été étonnée de recevoir plusieurs demandes après qu'Anne Desjardins, chef réputé du restaurant l'Eau à la bouche de Sainte-Adèle, eut présenté des cailles sur un nid de courge batagold à l'émission de Maman Dion. «Les gens voulaient s'en procurer. Pour que ce soit plus facile à retenir, on a transformé son nom en oranghetti, inspiré par sa couleur et son utilisation», souligne Mme d'Amours. En plus de sa chair vitaminée, la courge se conserve de quatre à six mois (selon les variétés) dans un endroit sec à la température ambiante.

«Pour moi, elle éveille tous les sens en raison de ses formes inusitées, de ses couleurs variées et de son goût unique. Si on est créatif, on peut la sécher et la transformer en gourde, récipient et autres objets.» Chez certaines peuplades, les plus grosses servaient même à protéger le pénis.

Le Centre d'interprétation est devenu une référence. Un représentant du ministère de l'Agriculture de la Rive-Sud a même consulté Mme D'Amours avant de rédiger un dépliant d'information à l'intention des agriculteurs de sa région. «Nous ne sommes pas les plus gros producteurs mais certainement les plus avancés dans le domaine et les plus passionnés. On a éveillé les consommateurs», dit son mari qui aime être à l'avant-garde.

Il a délaissé le chou vert, «pas assez stimulant», pour entreprendre la production du chou rouge, sa principale source de revenu, qui est transformé en colorant alimentaire. Il est le seul au Québec à cultiver le légume à cette fin.

Sylvie D'Amours, elle, espère que les courges deviendront aussi populaires que les choux et autres légumes traditionnels.