«Il faut que le produit soit disponible. Il ne l'a jamais été», lance Fernand Miron, champignonniste d'Abitibi. Biologiste de formation, M. Miron s'est fixé ni plus ni moins comme objectif de changer la mentalité des Québécois en matière de champignons comestibles. Il se donne cinq ans pour y parvenir.

«Il faut que le produit soit disponible. Il ne l'a jamais été», lance Fernand Miron, champignonniste d'Abitibi. Biologiste de formation, M. Miron s'est fixé ni plus ni moins comme objectif de changer la mentalité des Québécois en matière de champignons comestibles. Il se donne cinq ans pour y parvenir.

Il existe bien un nombre croissant de clubs de mycologues amateurs qui sont à l'oeuvre quand la saison (trop courte) le permet. Mais le climat québécois étant ce qu'il est, il fallait trouver une façon de cultiver à l'année des variétés de champignons autres que l'éternel champignon de Paris, qui règne en roi et maître dans la Belle Province et que d'aucuns qualifient de «moins goûteux». «Il fallait créer une demande», explique Fernand Miron.

Pour arriver à ses fins, l'Abitibien a appris une technique importée de Chine lui permettant de cultiver 365 jours par année des variétés de champignons plus savoureuses et plus intéressantes à cuisiner, comme le pleurote. Plus besoin d'attendre la saison estivale ou de compter sur les importations pour manger des champignons des forêts à longueur d'année.

L'odeur caractéristique du pleurote rappelle l'anis. On reconnaît ce champignon, au pied court, à son chapeau en forme d'entonnoir, sous lequel se trouvent des lamelles blanches ou grises. La couleur du pleurote dépend de la variété (perlé, gris, érigé) et de la culture.

À l'achat, le pleurote doit être entier et dépourvu de filaments blancs, signe évident qu'il a perdu de sa fraîcheur. Plus le pleurote est jeune, plus il est tendre et moins il perd de son aspect charnu à la cuisson. Outre le pleurote, Fernand Miron produit également des flammulines jaunes et des naméko.

Méthode chinoise

«Dans les années 70 au Québec, il n'y avait que du fromage Kraft orange. Regardez aujourd'hui les fromages de qualité qui se font ici. Avec le champignon, ça va être la même chose», prophétise M. Miron, qui a fondé Les Champignons laurentiens, à Berry, au nord d'Amos.

La méthode de culture chinoise qu'utilise Fernand Miron est relativement simple. Mais au début, la présence de spécialistes chinois en sol abitibien a été nécéssaire pour «superviser» le tout. Aujourd'hui, le biologiste prépare soigneusement des sacs plastique remplis d'un mélange biologique composé d'éléments minéraux. Ces sacs contiennent le mycélium, c'est-à-dire la substance qui va bourgeonner et produire des champignons. Le pommier qui donne des pommes, si l'on veut. Il suffit de percer le sac, entreposé dans une pièce fraîche, humide et ventilée, pour que les champignons poussent.

Outre son atelier de culture chez lui en Abitibi, Fernand Miron distribue maintenant ses variétés de champignons chez différents agriculteurs partout au Québec. Un atelier existe à Québec et dessert toute la région de la Vieille Capitale. Un autre a ouvert ses portes à Saint-Ignace-de-Stanbridge, dans les Cantons-de-l'Est et vise les marchés montréalais, de la Rive-Sud et des Cantons-de-l'Est. Un quatrième atelier ouvrira à l'été dans la région de Granby. L'objectif est de sept ateliers capables de desservir la province d'ici quelques années.

Les champignons comme le pleurote peuvent être apprêtés de bien des façons. Grillé, cuit, sauté, le pleurote est aussi utilisé en terrine, en salade, en sauce, dans des gratins, des feuilletés, etc. Qui n'a jamais entendu parler d'une crème de pleurotes?

Normand Laprise, chef et copropriétaire du restaurant Toqué! à Montréal, connaît les champignons de Fernand Miron. «C'est un très bon produit et c'est cultivé ici, donc c'est très frais», dit-il. M. Laprise affectionne particulièrement le pleurote érigé et les boutons de naméko, de petits champignons en forme de grappe.

«On les cuit légèrement et ils sont très tendres, très savoureux. Sinon, on peut les incorporer tels quels dans un potage», dit Normand Laprise, persuadé lui aussi que les nouveaux produits québécois gagnent à être connus. «Les Québécois sont très curieux depuis une quinzaine d'années, dit le chef. Il faut leur faire connaître les produits, ça passe par là.»

Se faire connaître

Carmen Loiselle, propriétaire de Champignons des frontières, à Saint-Ignace-de-Stanbridge, rêvait depuis longtemps de faire un type de culture complémentaire à l'entreprise porcine qu'elle et son mari dirigent. «Je me suis réveillée en plein milieu de la nuit et je me suis dit: ça va être des champignons», raconte-t-elle. Depuis maintenant deux ans, elle collabore avec Fernand Miron et récolte tous les 10 jours des champignons frais qu'elle distribue illico.

Ce type de culture donne des résultats étonnants. L'objectif est maintenant de faire connaître ces champignons «haut de gamme» partout au Québec. Ce qui n'est pas une mince affaire, croit Carmen Loiselle, qui fait presque tout au sein de son entreprise, de la culture à la distribution. «Pour garder un prix qui accote celui des champignonnières industrielles, je dois avoir le moins d'intermédiaires possible.»

La champignonniste de Saint-Ignace-de-Standbridge produit environ 100 kg de champignons par semaine. Une bien petite quantité parmi les milliers de tonnes de champignons blancs produits au Québec annuellement par une dizaine de producteurs, selon le MAPAQ. Néanmoins, Mme Loiselle croit en son produit et s'efforce de satisfaire ses clients.

Fernand Miron et ses collaborateurs régionaux courtisent les restaurateurs, qui représentent le haut de la pyramide culinaire. Outre Normand Laprise à Montréal, Daniel Vézina, chef et copropriétaire du Laurie Raphaël, à Québec, serait un habitué des pleurotes des Champignons laurentiens. Il y aussi Jean-Marc Faucheux, du restaurant Faucheux, à Granby, «l'une des meilleures tables des Cantons-de-l'Est», selon Michel Phaneuf. Carmen Loiselle rend visite à M. Faucheux chaque semaine depuis deux ans avec des pleurotes bien frais.

«Quand elle est venue cogner à ma porte, j'étais heureux, lance M. Faucheux avec son accent du Midi. Avant, je n'étais même pas capable d'en trouver.» Bien sûr, il y avait le champignons de Paris, mais ce dernier offre une moins belle présentation qu'un pleurote «grillé avec de l'huile d'olive et du jus de citron», illustre avec enthousiasme Jean-Marc Faucheux.

Pour ce qui est du goût du pleurote, le chef français qualifie celui-ci de «plus raffiné, plus subtil». Selon lui, les Québécois sont mûrs pour du changement côté champignon. «Les gens aiment vraiment ça. On n'en a jamais retrouvé sur le bord de l'assiette», dit Jean-Marc Faucheux, maître d'oeuvre d'un gratin de crevettes et de pétoncles aux pleurotes.