(Clermont) Elle est plus vieille que la Nouvelle-France. La catalogne, cette couverture composée de bandelettes, a orné des lits ou fait office de tapis de génération en génération. Une des rares artisanes qui portent toujours cette tradition a tissé récemment sa dernière grande catalogne. La Presse l’a rencontrée.

Anne-Marie Hamel ne cache pas sa tristesse. Elle s’apprête à vivre un petit deuil. Après avoir produit une centaine de grandes catalognes depuis des dizaines d’années, elle tisse aujourd’hui sa dernière.

« La catalogne, ça fait plein de fils, de poussières, et ça entre dans mes poumons. Depuis trois ans, je souffre d’asthme. Je suis en train d’éliminer les facteurs de risque », dit la femme de 67 ans, rencontrée chez elle à Clermont, dans Charlevoix.

« Je vais avoir le cœur brisé, mais ce n’est pas bon pour ma santé. »

La tisserande va continuer à tisser. Mais elle ne fera plus ces grandes catalognes qui couvrent les lits et que les amateurs de patrimoine s’arrachent.

PHOTO GABRIEL BÉLAND, LA PRESSE

« La catalogne, ça fait plein de fils, de poussières, et ça entre dans mes poumons. Depuis trois ans, je souffre d’asthme », dit Anne-Marie Hamel.

Elle va laisser son grand métier à tisser à un homme plus jeune. Elle espère qu’il va poursuivre cette technique ancestrale qui, sans être en perdition, est loin d’être aussi populaire qu’avant.

« Si tu t’en vas vers l’Estrie, c’est plus l’influence anglaise, c’est plus de la courtepointe. Mais dans les régions de l’Est, ça tisse encore », assure Anne-Marie Hamel.

Ça n’a jamais arrêté, la catalogne, dans Charlevoix, au Bas-Saint-Laurent, en Gaspésie, au Saguenay…

Anne-Marie Hamel, tisserande

La catalogne est composée de bandelettes tissées ensemble. La technique a probablement été « importée par des mercenaires français, guerroyant sous la bannière des rois d’Espagne », écrivait l’ethnologue Robert-Lionel Séguin en 1961, d’où son nom.

  • Catalogne conçue par Anne-Marie Hamel

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    Catalogne conçue par Anne-Marie Hamel

  • Les catalognes sont faites avec des bandelettes la plupart du temps taillées dans de vieux tissus réutilisés.

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    Les catalognes sont faites avec des bandelettes la plupart du temps taillées dans de vieux tissus réutilisés.

  • Mme Hamel a trouvé un homme qui souhaitait reprendre le grand métier nécessaire à la confection des grandes catalognes.

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    Mme Hamel a trouvé un homme qui souhaitait reprendre le grand métier nécessaire à la confection des grandes catalognes.

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Puis, les colons français ont apporté la technique ici. La première mention de la catalogne remonte à 1634, dans les Relations des Jésuites. Au moment de sa mort en 1673, la cofondatrice de Montréal, Jeanne Mance, possédait une « grande Couverte blanche de Catalougne ».

« C’est une production artisanale qui, dans les années 1920 et les années 1930, a permis à des agriculteurs de survivre », indique en entrevue Michel Laurent, ancien conservateur des textiles au Musée de la civilisation. « Avec le développement des routes touristiques, il y avait des kiosques sur le bord des chemins et les gens vendaient leurs produits, dont des catalognes. »

La catalogne, faite avec des bandelettes de retailles, permettait aussi de réutiliser les vieux vêtements. « Rien ne se perdait. C’était l’utilisation maximale des fibres », note M. Laurent.

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Malgré les modes qui passent, la catalogne continue d’avoir une place à part dans le cœur des Québécois.

« En une demi-heure, c’était parti »

Anne-Marie Hamel n’est pas née dans une famille rurale. Elle a grandi à Montréal puis a déménagé dans Charlevoix, en 1975, « dans les années hippies ». « Je me suis inscrite dans un cercle de fermières et j’ai appris à tisser », dit-elle.

Elle est devenue depuis une des tisserandes les plus en vue du Québec. Puis, elle a commencé à faire ses grandes catalognes, ces pièces qui étaient traditionnellement utilisées sur les lits.

Le jour de notre passage, elle tisse sa dernière. Sur le grand métier à tisser, vu la taille de la pièce, elle doit être aidée de son amie Huguette Dufour.

Je trouve que c’est enveloppant, une catalogne. Depuis que je suis au monde que je vois des catalognes sur les lits. Ma mère faisait ça. C’est rassurant, une catalogne.

Huguette Dufour

Elle n’est pas la seule à le penser. Malgré les modes qui passent, la catalogne continue d’avoir une place à part dans le cœur des Québécois. « Quand j’arrivais avec des catalognes au marché, en une demi-heure c’était parti », raconte Mme Hamel, qui partage ses fins de semaine entre le marché de Baie-Saint-Paul et celui de La Malbaie.

Parfois les clients touchent et soupirent. « Ça leur rappelle des souvenirs. » Certains se lamentent. « Une fois j’ai vu une femme de la Gaspésie qui m’a dit : “Je n’en trouve plus chez nous.” »

Pour une seule catalogne de taille grand lit, elle estime qu’il fallait 20 heures de taillage, puis 6 heures de tissage à deux. « Une catalogne, on ne peut pas vendre ça ben plus que 350 $. Ça ne fait pas cher de l’heure », dit-elle.

« Un jour, une femme est arrivée au marché, elle m’a demandé le prix. Dans ce temps-là, je les vendais 300 $. Elle m’a donné 100 $ et m’a dit : “Mon mari va venir, tu lui diras que c’est 200 $, OK ?” », raconte Mme Hamel en riant.

Un patrimoine qui se perd

Anne-Marie Hamel s’inquiète de l’avenir du tissage. Elle pratique aussi le boutonné de Charlevoix, une technique menacée de disparaître. Elle entend continuer longtemps. Avec le soutien du gouvernement du Québec, elle a même commencé à donner des cours pour transmettre cette technique.

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Coussin fait en boutonné de Charlevoix. Anne-Marie Hamel a notamment tissé 5000 serviettes et une centaine de coussins en catalogne pour l’hôtel Le Germain Charlevoix.

« C’est un trésor patrimonial qui est en train de disparaître, note Michel Laurent. Mme Hamel est une des dernières de la région de Charlevoix à faire du boutonné pour la vente. »

L’homme s’inquiète moins pour l’avenir de la bonne vieille catalogne. On en trouve encore à la revente, et plusieurs cercles de fermières en font toujours.

Mais certains cercles de fermières ferment, se désole Anne-Marie Hamel. « Il n’y a plus beaucoup de femmes qui font des catalognes, note la tisserande. Il n’y a pas beaucoup de jeunes qui tissent. »

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Anne-Marie Hamel bien fière de sa dernière création

Sa dernière grande catalogne est pleine de couleurs. Anne-Marie Hamel n’ira pas la vendre au marché, celle-là. Elle l’a réservée précieusement pour sa petite-fille qui vient de naître. Qui sait si, quand elle sera grande, les catalognes seront toujours tissées au Québec ?