Au début de la semaine dernière, l'auteur-compositeur-interprète, poète et romancier Leonard Cohen est revenu chanter dans sa ville natale pour la première fois depuis 15 ans. Pendant trois soirs, lundi, mardi et mercredi, à la salle Wilfrid-Pelletier, l'artiste de 73 ans a charmé et fasciné les 9000 spectateurs qui s'étaient arraché les billets pour ces concerts-événements parmi les plus beaux donnés à Montréal de mémoire d'homme: trois heures de chansons qui faisaient le tour de la carrière d'un artiste célébré de par le monde. La Presse et Radio-Canada veulent souligner la richesse de l'oeuvre et la singularité du parcours de ce fils de Montréal en le nommant Personnalité de la semaine.

Ce retour dans la ville qui l'a vu naître le 21 septembre 1934 a fourni à Leonard Cohen l'occasion de partager des souvenirs avec un public aussi respectueux qu'enthousiaste. Avant de chanter Take This Waltz le premier soir, un poème de Federico Garcia Lorca qu'il a traduit et mis en musique, il a rappelé comment, il y a 50 ans, il était tombé par hasard sur un livre de l'écrivain espagnol qui allait le marquer à jamais, chez un bouquiniste de la rue Mansfield. Mercredi, il dédiait cette même chanson à son mentor et ami Irving Layton. "Nous nous étions juré qu'ils ne nous auraient pas; ils l'ont eu", a-t-il dit de ce "grand poète montréalais", décédé en 2006. Le même soir, quand le public s'est levé d'un trait pour l'applaudir, Cohen a fait l'éloge de sa ville natale avant de conclure: "Cette ovation, elle est pour Montréal."

Pour Leonard Cohen, le métier de chanteur populaire aura été une vocation tardive, presque accidentelle. Il aime bien dire, avec toute l'autodérision dont il est capable, qu'il est très ironique que l'écrivain prometteur qu'il était à sa sortie de l'Université McGill ait finalement trouvé son gagne-pain dans la chanson avec sa "voix d'or". Depuis son premier album paru en 1967, alors qu'il avait déjà 33 ans, il a vendu des millions de disques et ses chansons ont été reprises par les plus grands - l'exceptionnel site web finlandais leonardcohenfiles.com recense plus de 1500 versions de ses chansons à ce jour.

Au fil de ses pérégrinations - Londres, Hydra, New York, Nashville, Los Angeles, l'Inde... -, il a toujours gardé un pied-à-terre à Montréal où, a-t-il dit au public de Wilfrid-Pelletier, il vivrait aujourd'hui n'eut été "d'ennuis financiers empoisonnants". Dans une entrevue à La Presse, le mois dernier, il mentionnait qu'il avait décidé de s'installer en permanence à Montréal il y a cinq ans quand sa fille Lorca lui a suggéré de rentrer à Los Angeles parce que son agente avait dilapidé sa fortune. Il ajoutait: "Montréal est une ville créative, où il se passe encore des choses." Une ville où, ajoutait-il, il revoit surtout ses vieux amis rue Saint-Dominique, mais dans laquelle ses enfants Adam et Lorca mordent à belles dents, eux qui parlent couramment le français. Une ville, enfin, qu'il a saluée une dernière fois mercredi soir en empruntant ces mots de la chanson À la claire fontaine: "Il y a longtemps que je t'aime, jamais je ne t'oublierai."

S'il est touché quand on reconnaît ses mérites, Cohen fuit la plupart du temps les hommages qu'on lui rend fréquemment. Quand Lou Reed l'a intronisé au Temple de la renommée du rock and roll, à New York en mars dernier, Cohen a dit à la blague, pastichant la prédiction du journaliste Jon Landau au sujet de son futur protégé Bruce Springsteen: "J'ai vu l'avenir du rock and roll... et ce n'est pas Leonard Cohen." Le mois dernier, il nous disait: "Ceux qui détiennent le véritable pouvoir dans l'industrie ne me considèrent pas comme un joueur important. Ça change un peu aujourd'hui, mais je m'y suis résigné depuis longtemps. Le soir de la cérémonie, je me demandais vraiment ce que je faisais là. On aurait dit la fin d'une époque, il s'y passait quelque chose de complètement déconnecté du monde et de la musique. J'avais vraiment l'impression qu'en bas, les bolcheviques étaient en train de fusiller le tsar... Mais, bien sûr, je suis reconnaissant qu'on se souvienne de moi."

Quand, jeudi soir, une douzaine d'artistes lui ont rendu hommage devant une foule monstre massée rue Sainte-Catherine, Leonard Cohen était déjà reparti en Angleterre où il doit chanter ce soir à Glastonbury, le plus gros festival rock du Royaume-Uni. C'est donc à son fils Adam qu'on a remis la statuette du Montreal Jazz Festival Spirit Award, soulignant la qualité et l'innovation de son oeuvre ainsi que son influence déterminante sur l'ensemble de la musique populaire internationale.

Une influence qui ne se dément surtout pas en 2008 alors que pour la première fois de sa carrière, à 73 ans, Leonard Cohen effectue une tournée de spectacles digne d'une véritable rock star.