Il y a des questions qui peuvent paraître naïves, mais qui trottent longtemps dans la tête avant d’être résolues. Parmi celles-ci : pour combien de temps encore va-t-on continuer à célébrer « les premiers Noirs à être… », « les premiers Autochtones à être… », « les premières femmes à être… » ? Et de quoi est-ce réellement le symptôme ?

Nous sommes nombreux à nous poser ces questions. Arrivé récemment au Canada par le chemin Roxham1, j’observe ma société d’accueil et je me demande si nous utilisons le vocabulaire adéquat pour favoriser l’inclusion. Voici ce que l’actualité nous rapporte comme exemples sur ces enjeux de vocabulaire.

Greg Fergus a été élu président de la Chambre des communes le 3 octobre. Le même jour, Wab Kinew a gagné les élections pour devenir premier ministre du Manitoba.

S’il est vrai qu’ils sont en effet les premiers de leurs « catégories » à accéder à leur poste, cela souligne plutôt un réel déficit d’inclusion et même une question légitime sur notre définition de l’inclusion.

De plus, l’effervescence et l’importance accordées uniquement à leurs « catégories » induisent combien une certaine conscience collective se refuse toujours à admettre ces catégories dans la normalité.

Jusqu’à quand aurons-nous encore besoin de classer les êtres humains dans des catégories et pour quelles raisons ? Les conflits tout au long de l’histoire, jusqu’à ceux qui font l’actualité, ne nous ont-ils pas assez dissuadés de faire cette division ? Ne peut-on juste pas être citoyens sans que le rappel des caractéristiques physiques et culturelles vienne séparer les uns des autres, considérés comme « normaux » ?

PHOTO DAVID LIPNOWSKI, LA PRESSE CANADIENNE

Wab Kinew, premier ministre désigné du Manitoba

Je me souviens que la création du Canada s’est faite sur une terre non cédée par les Autochtones. Après de longs siècles, c’est seulement maintenant qu’un Autochtone devient premier ministre d’une province. Toutefois, l’élection d’un Canadien qui est autochtone ne devrait pas normalement étonner. C’est en soi l’aveu d’un défaut de normalité. Surtout pour une province, le Manitoba, qui compte 18 % d’Autochtones. Par ailleurs, un citoyen né sur le sol canadien, ayant droit de vote et droit d’être élu, fait les gros titres des médias, non en raison de son brillant parcours, mais pour la couleur de sa peau. « Une date historique », a commenté le premier ministre Justin Trudeau.

La règle

Il est vrai que, quand on prend les listes des premiers ministres du Canada et des présidents de la Chambre des communes, aucun Noir et aucun Autochtone avant Greg Fergus et Wab Kinew n’y figurent. Mais en vérité, la mention de cette anomalie renforce la distinction et maintient la différence. Si on observe bien, les discriminations ne reculent pas plus, malgré « les premiers Noirs à être…» et « les premiers Autochtones à être… ».

Au contraire, ces personnes sont brandies comme prétextes d’avancement de l’inclusion. Un camouflage, puisque les personnes noires et autochtones ont toujours quatre à cinq fois plus de chances d’être interpellées par la police2.

Célébrer ces positions indique surtout que ce sont des exceptions à une règle établie, celle qui ne permet pas à tout le monde d’être président de la Chambre des communes ou premier ministre du Manitoba, à la seule condition de satisfaire aux exigences des élections. Si leur aspect physique ou leur distinction culturelle en font une attraction médiatique ou un fait exceptionnel dont on doit s’enorgueillir, on ne fait alors qu’accentuer l’idée de l’impossibilité pour certains d’accéder à ces positions. L’inclusion véritable requiert le bannissement total des catégories.

Ensemble

Il ne s’agit pas d’atténuer la particularité historique des accomplissements de Greg Fergus et de Wab Kinew, il s’agit d’inviter à considérer cela comme normal tout simplement. Afin que ces millions de gens qui leur ressemblent ne ressentent plus tant l’exclusivité et l’exceptionnalité de ces réalisations. Ce que demande et exige l’idée d’inclusion, c’est la suppression des différences pour ensemble être la normalité. Nous pouvons le faire et ainsi faire société ensemble parce que l’humanité est diversité et nos sociétés doivent cesser de diviser de cette façon parfois si nonchalante.

De grâce, laissez-nous entrer dans la normalité, s’il vous plaît ! Merci.

1. Lisez « Le chemin de toutes les histoires » 2. Lisez « Profilage racial par la police – La situation est-elle pire à Montréal qu’à Toronto ? »

Lovejoyce Amavi vient de publier à compte d’auteur le livre L’art de conjuguer à l’inclusif parfait : pour un vocabulaire adéquat de l’intégration et de l’inclusion