Fun Facts est un petit jeu, plutôt mal nommé, qui consiste à répondre à une série de questions qui se veulent révélatrices. Combien d’années de votre vie donneriez-vous pour devenir milliardaire ? Combien avez-vous de tatouages ? Sur une échelle de 0 à 100, à quel point croyez-vous : être créatif, aimer votre coiffure, être sensible au jugement des autres, etc. ?

Les participants inscrivent leurs réponses sur des petites fléchettes colorées qu’ils doivent ensuite essayer de placer en ordre croissant sans voir celles des autres, histoire d’évaluer à quel point ils se connaissent bien mutuellement. (Par exemple, les gens qui me connaissent savent que je n’ai pas de tatouage, et se doutent que je dois scorer assez bas merci pour ce qui est de la coiffure.)

Ça donne lieu à de sympathiques discussions et même à quelques surprises. À la question « Quelle année historique aimeriez-vous pouvoir (re)visiter ? », un des grands enfants, 21 ans, a répondu 2016.

On s’étonne des perceptions qu’ont les autres de nous et d’eux-mêmes, et on peut aussi, pourquoi pas, se prendre à réfléchir au moral des troupes, et à la délicate question de l’optimisme. L’est-on encore ? Peut-on l’être encore ?

Un des petits cartons nous demandait, justement : « De 0 à 100, combien diriez-vous que “c’était mieux avant” ? » Ma tante de 70 ans a rapidement griffonné quelque chose sur sa fléchette avant de la placer très loin devant elle, impliquant par là qu’il était selon elle peu probable, voire impossible, qu’un de nous ait mis un chiffre aussi élevé que le sien. Comme de fait, elle a révélé un 100, qu’est tout de suite venu confirmer un « ben là » évocateur : on n’était pas ici dans le ressenti, mais dans l’évidence.

On a rigolé un peu (ha ha ! on sait ben, les boomers, tous pareils, après eux le déluge), mais les réponses des plus jeunes ne la contredisaient pas tant que ça. À part mon 40 qui tenait surtout de la nostalgie, seule ma fille de 12 ans y était allée d’un enthousiaste 20, « juste à cause du réchauffement climatique ». Les grands enfants, eux, tous au début de la vingtaine, oscillaient entre 50 et 80. « J’ai pas mis 100 à cause des progrès de la médecine » ; « C’est sûr que c’était mieux avant, y avait pas Instagram ». Instagram, gloire et décadence de la jeunesse.

Que reprochent-ils tous à ce présent qu’ils habitent ? On connaît les récriminations des plus vieux, ce sont celles qu’avaient leurs parents à eux il y a de cela 30 ans : les jeunes sont paresseux, y ont pu de valeurs, on reconnaît pu le monde dans lequel on a grandi… Des doléances vers lesquelles nous voguons tous, ne nous en déplaise. Il n’est pas loin, le vieux grincheux qui sommeille en nous, il se réveillera, comme ceux de nos parents, dès qu’il se sentira largué. Dieu que c’est insultant de se sentir largué.

Mais notre partie de Fun Facts, cet exercice hautement scientifique, nous révélait des jeunes tout aussi déconfits face à l’inexorabilité du progrès. Ils sont anxieux, on le sait, et ils le savent – ils se le font dire presque quotidiennement par les médias, qui s’entêtent à dépeindre une génération fragile et quasiment dysfonctionnelle, paralysée par l’écoanxiété et abrutie par les réseaux sociaux. La réalité est évidemment beaucoup plus nuancée que cela, mais il reste que sans être irrémédiablement pessimistes, ils ont un sacré malaise avec l’optimisme. Et j’ai l’impression que ce n’est pas tant leur disposition collective qu’un effet d’entraînement. L’optimisme, on va se le dire, est rendu « cringe ».

Même mesuré, même timide, l’optimisme est généralement accueilli avec méfiance, quand ce n’est pas carrément avec défiance.

Il est perçu comme une sorte de trahison, une indifférence crasse face aux souffrances du monde et à l’état de la planète, à moins qu’il ne s’agisse d’aveuglement volontaire. Comment tu peux insinuer que ça va bien aller alors que la maison brûle ? Tu lis pas les nouvelles ? T’es cave ou t’es insensible ? Pourtant, dans les faits, le monde se porte mieux, globalement, qu’il y a 100 ans. Il ne se porte pas bien, mais il se porte mieux. Assez, me semble-t-il, pour écrire 40 sur sa petite fléchette mauve.

Mais le pessimisme a une force d’attraction qui ne se dément pas, un chic indéniable : personne n’a envie d’être la madame qui manque de lucidité ou d’empathie. Alors on le cultive, collectivement, et on s’assure qu’il prenne racine chez ceux qui nous suivront. De 0 à 100, à quel point vous pensez que ça fait des enfants forts ?

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue