C’est décembre et il fait nuit à 16 h. Je marche dans les rues de mon quartier. Les décorations scintillent. Y en a-t-il plus cette année ? Je crois : l’automne fut si triste et brutal, les guirlandes lumineuses sont un geste de résistance individuelle qui donne du pep à la maisonnée, à la rue, au voisinage. Les gens se sont forcés cette année. Des érables sont emmaillotés de lumières, les figures gonflables côtoient les balcons illuminés. C’est un joyeux pied de nez à la morosité.

Les gens se forcent vraiment. Ils ont sorti leur empathie. Klaxonnent, touchés et solidaires, devant les grévistes. Vendredi, François Legault a appelé ces derniers à rentrer au travail, « pour nos enfants ». Elles, ces professionnelles de l’éducation, qui se désâment quotidiennement.

Ce qui, à longueur d’année, est dommageable pour les enfants, c’est plutôt la charge dont on accable le secteur public, la saignée des meilleurs éléments vers le privé, profs comme élèves. C’est le délabrement banalisé de l’école depuis 25 ans, qui est aujourd’hui l’ombre de ce qu’elle devait être, c’est-à-dire un vecteur d’égalité dans notre société. Le système est tout croche, et c’est le personnel des écoles qui fait office de broche. Il lui donne temps, âme et sens.

Donc, il fait noir, les lumières de Noël clignotent.

Sans illusions, mais avec élan, solidarité, nous donnerons du mieux qu’on pourra à la Guignolée, jeudi. Déjà, dans le quartier, les guignoleux sont passés. On se fendra d’un 20 $ de plus si on en a de lousses, en sachant que cette année, des travailleuses qui se décarcassent pour « nos enfants » y auront recours⁠1.

Ça me gruge. Nous habitons une société riche, en paix. Comment se fait-il que nous n’y arrivions pas ? Je ne parle pas que d’argent, mais surtout de sens.

J’ai été très touchée récemment par le courriel de Louis-Jacques, un lecteur. « On s’en va où ? Qu’est-ce que ça va prendre pour que le vent tourne ? » Il me parle de l’état décâlissé de la société, constate un inconfort, une insatisfaction. Alain Souchon chantait : « Foule sentimentale/qui a soif d’idéal ». Louis-Jacques écrit : « Je pense que nous avons le devoir citoyen de rendre la société meilleure. Il est triste de voir qu’elle est devenue de plus en plus centrée sur son nombril, et que les plus haut placés montrent l’exemple que c’est bien de penser à sa petite personne… »

Il faut réinvestir la société. Sortir de nos chambres d’écho, être attentifs aux autres. Prenons notre part de responsabilité sur nos épaules. Ça ne remplace pas les institutions, mais ça met du liant dans nos vies. Mieux : du sens !

Et où le trouver, ce sens ? Partout autour de nous. La semaine dernière, des parents, des grands-parents l’ont trouvé, parfois juste pour le bien de leurs enfants, mais souvent pour signifier qu’il faut que la lutte pour la reconnaissance du travail des enseignantes se fasse.

Et si nous continuions, comme citoyens, à aider les profs ? Eux en enseignant, nous en éduquant. Ce n’est qu’un exemple de sens à retrouver.

Je marche dans les rues décorées, c’est un revigorant moral quotidien. J’ai envie de modèles de résilience sociale inspirants. Nous en avons, et devrions les entendre plus souvent. Je pense à Guy Rocher, le sociologue de 99 ans, un des pères de l’éducation du Québec moderne, que j’ai eu le bonheur d’interviewer à plusieurs reprises, à Aline Desjardins, animatrice et journaliste, 89 ans, pionnière qui a défriché les voies du féminisme avec son émission Femmes d’aujourd’hui.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Malgré ces airs de Noël dans nos rues, nous sommes anxieux... écrit Marie-France Bazzo.

Tous les deux, exceptionnels, fiers et beaux, réfléchissent encore avec pertinence au Québec actuel. Ils sont préoccupés par la marche des choses, mais nous disent aussi que nous avons beaucoup accompli. Ils continuent à questionner la société, à s’indigner, à formuler des pistes. Ils sont surtout profondément concernés par leur prochain. Attentifs à nous.

Car malgré ces airs de Noël dans nos rues, nous sommes anxieux. « Qu’est-ce que ça va prendre pour que le vent tourne ? » 

Ces derniers jours, Aline et Guy m’ont insufflé du courage. Écoutons nos vieux sages. Klaxonnons pour ces grévistes qui ont réellement l’avenir de nos enfants à cœur. Sourions à des inconnus, prenons des nouvelles de nos proches, donnons à la Guignolée. Le sens viendra de NOUS. Cessons d’attendre un mémo tombé du ciel. Le sens ne s’exprime que très rarement dans un programme gouvernemental. Illuminons nos portes et nos âmes. Ça fera le bonheur d’un passant. Ce sera un début. Car une foule peut se transformer en communauté…

1. Lisez l’article « Mes ados ont faim. Et moi aussi. » de Caroline Touzin Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue