Technicienne en éducation spécialisée dans une école secondaire de Sherbrooke, Pascale Castonguay parle de ses élèves autistes comme de ses « amours ».

C’est le travail le plus gratifiant qu’elle a eu de sa vie.

Mais, car il y a un mais, en travaillant 30 heures par semaine, au salaire de 24 $ de l’heure, 200 jours par an, la mère de famille monoparentale de deux ados n’arrive pas.

L’employée de l’État fréquente une banque alimentaire pour survivre.

Et elle est loin d’être la seule.

Un employé de soutien scolaire sur huit (12 %) a eu recours aux banques alimentaires dans la dernière année, affirme la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN), sur la base d’un sondage interne.

« C’est très dur pour l’ego, mais je n’ai pas le choix, mes ados ont faim. Et moi aussi », raconte Pascale Castonguay, 51 ans, qui accepte de témoigner à visage découvert dans l’espoir de conscientiser le gouvernement Legault à la précarité de nombreux employés de soutien scolaire.

Le personnel de soutien scolaire englobe les techniciennes en travail social et en éducation spécialisée, les éducatrices en service de garde, les surveillantes d’élèves, le personnel de bureau qui travaille dans les écoles (notamment au secrétariat), les concierges ainsi que les cuisinières dans les cafétérias, entre autres.

Le pire, raconte Mme Castonguay, c’est qu’elle a amélioré son sort par rapport à l’an dernier alors qu’elle faisait un remplacement dans une école primaire – toujours auprès d’enfants autistes – à temps partiel, soit 24 heures par semaine.

« J’aurais tellement voulu travailler plus d’heures. Les besoins sont là », explique celle qui a travaillé six ans dans une école d’une réserve autochtone avant de déménager à Sherbrooke. Or, comme son ancienneté n’a pas été reconnue, elle n’a pas eu accès à un poste d’aide de classe ou à un autre poste à temps plein qui aurait pu améliorer son sort.

Emplois précaires

Au Québec, le salaire annuel brut moyen d’un employé de soutien scolaire est de 26 484 $, selon les calculs de la FPSS-CSQ basés sur les dernières données disponibles du Conseil du trésor.

Cela s’explique par le fait que 60 % des membres sont « précaires » puisqu’ils n’ont pas de permanence et travaillent moins de 26 heures par semaine, selon la FEESP-CSN qui a révélé les résultats de son sondage interne plus tôt cet automne.

Les syndicats, dont la CSN et la CSQ, qui représentent des employés de soutien scolaire au sein du Front commun réclament des hausses salariales, mais aussi une amélioration de leurs conditions telles qu’une augmentation de leurs heures de travail.

Comme une majorité d’employés de soutien, Mme Castonguay est mise à pied l’été et doit réclamer du chômage, d’où les 200 jours travaillés par an.

« Déjà, en temps normal, je vis de paie en paie », décrit la mère de famille. Mais avec la grève actuelle, elle « gratte les fonds de tiroir », au point qu’elle s’est mise à faire son pain, en plus de participer à des cuisines collectives.

À l’approche des Fêtes – avec les nouvelles journées de grève annoncées par le Front commun –, elle ignore s’il restera quelque chose de ses « maigres économies » pour offrir un cadeau de Noël à ses proches. « Ça risque d’être des pots de caramel fait maison pour tout le monde », lâche la maman résiliente.

Ses deux fils de 14 et 15 ans occupent un emploi étudiant – une journée par week-end – pour se payer ce dont ils ont besoin. « Mes garçons sont tellement raisonnables. Ils ne se plaignent pas. Ils ne demandent rien, mais ils mangent comme des ogres. Ce sont des ados, après tout », lance-t-elle sur le ton affectueux d’une mère qui déborde de fierté pour sa progéniture.

Au cabinet du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, on assure être « bien au fait de la situation de précarité que peuvent vivre les employés de soutien, notamment les éducatrices en service de garde et les techniciennes en éducation spécialisée ».

« Ce sont des enjeux qui sont discutés aux tables de négociation. Pensons aux aides à la classe. Les éducatrices en service de garde ont actuellement des horaires coupés. Nous souhaitons qu’elles puissent faire plus d’heures, si elles le veulent, en devenant aides à la classe, précise sa directrice des communications, Florence Plourde. En passant à temps plein, on parle d’une hausse de salaire de 95 %, soit près du double de leur rémunération. »

L’objectif de M. Drainville est d’avoir des aides à la classe dans 15 000 classes du primaire, soit l’équivalent de 4000 postes à temps complet. Il souhaite aussi offrir plus de tâches à temps plein pour d’autres corps d’emploi, notamment les techniciennes en éducation spécialisée, précise-t-on à son cabinet.

Vendre sa voiture pour survivre

Éducatrice en service de garde dans une école primaire de la région de Québec, Nathalie a vendu sa voiture pour joindre les deux bouts.

Et pourtant, la femme de 53 ans, qui travaille depuis 25 ans auprès des enfants, « n’arrive pas ». Elle aussi a dû se résoudre à avoir recours à une banque alimentaire récemment.

L’autre jour, à l’épicerie, Nathalie, qui est végétarienne, a voulu « se gâter » en s’achetant une salade préparée sur place, « rien de spectaculaire, un mélange de laitue avec de la vinaigrette ». Quand elle a vu le prix – 8 $ –, elle a eu les yeux pleins d’eau et l’a remise sur l’étalage.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Un employé de soutien scolaire sur huit (12 %) a eu recours aux banques alimentaires dans la dernière année, affirme la FEESP-CSN, sur la base d’un sondage interne.

Nathalie mène pourtant une vie frugale : elle loue un trois et demie, « pas chauffé, pas éclairé », pour 700 $ par mois et « cuisine beaucoup ».

Comme éducatrice en service de garde, « on fait bien plus que de la surveillance et du bricolage », souligne la quinquagénaire.

« On est souvent l’adulte de confiance vers qui l’enfant se tourne lorsque ça ne va pas bien à la maison, poursuit-elle. Des enfants du primaire qui veulent se suicider, j’en ai connu. Il faut les écouter, les orienter. »

Nathalie – qui a demandé qu’on taise son nom de famille pour une question de dignité humaine – ne demande qu’à travailler plus. « Au service de garde, on a des heures coupées, explique-t-elle. Moi, je vois les besoins des professeurs et j’aimerais aider. »

L’éducatrice, qui passe une partie de ses journées à travailler dehors, « beau temps mauvais temps », se demande pourquoi l’État ne lui donne pas une allocation pour ses vêtements d’hiver alors que pour les métiers « traditionnellement masculins », comme ceux de pompier ou de policier, les uniformes sont fournis.

Salaire non viable à Gatineau

Technicienne en administration aux ressources humaines d’un centre de services scolaire en Outaouais, Marie-Ève gagne un meilleur salaire que les deux autres, mais elle « n’arrive pas » davantage.

Cette mère de famille monoparentale touche moins que le revenu viable à Gatineau, qui est de 46 736 $ par an pour un adulte et un enfant, selon les calculs de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques. Elle nous a demandé de taire son nom de famille pour la même raison que Nathalie.

Au centre de services scolaire, Marie-Ève sent qu’elle « fait une différence » dans la vie des profs. Sauf que son salaire n’est pas concurrentiel avec celui d’un poste similaire dans la fonction publique fédérale.

En traversant la rivière des Outaouais, je pourrais gagner une fois et demie à deux fois mon salaire.

Marie-Ève

Avec les sept nouvelles journées de grève du Front commun, du 8 au 14 décembre inclusivement, cette maman d’un garçon de 8 ans songe, « à regret », insiste-t-elle, à se chercher un emploi plus payant.

Entre-temps, la femme de 46 ans va cogner à la porte d’une banque alimentaire. « Pas le choix », dit-elle, en raison de l’inflation et de tous ces jours de grève, son modeste budget des Fêtes fond à vue d’œil.

Des cas parmi d'autres

Le président de la FPSS-CSQ, Éric Pronovost, reçoit toutes sortes de témoignages déchirants de ses membres « durement » affectés par la hausse du niveau de la vie ; des travailleurs en éducation dont la passion s’effrite puisque leurs besoins minimaux ne sont pas comblés. « Le premier ministre Legault répète qu’il veut aider les salariés de moins de 52 000 $, mais on ne voit pas l’argent poindre à l’horizon », déplore le leader syndical.

« Je ne suis hélas pas surprise de ces données concernant la précarité économique vécue par les employé(e)s de soutien scolaire. Ce sont ceux qui sont les moins bien payés dans le système d’éducation. Et ce sont aussi ceux qu’on oublie trop souvent. Dans la négociation actuelle avec le gouvernement, on a l’impression que le réseau d'éducation et ses travailleurs, ce ne sont pas des priorités pour le gouvernement de la CAQ. Ce dernier préfère annoncer de millions de dollars pour que les Kings tiennent un camp d'entraînement à Québec plutôt que de donner des réels mandats à ses équipes de négociation pour améliorer nos conditions salariales et de travail », déplore pour sa part Annie Charland, présidente du secteur scolaire de la FEESP-CSN.

Porte-parole en matière d’éducation, la députée libérale Marwah Rizqy n’arrive pas à se sortir la statistique du 12 % de la tête. « Ça me fend le cœur que des employées de l’État doivent recourir à des banques alimentaires, dit-elle. Impossible de rester de glace devant les histoires de ces femmes dévouées à leur travail et à leur famille. »

« Pourquoi M. Legault ne prend pas plus soin de son monde ? Des Québécoises qui sont majoritaires en éducation et dans les soins infirmiers ? se demande Marie-Ève. Il donne 7 millions à des hommes millionnaires américains [l’équipe de hockey des Kings de Los Angeles], et moi, même si je voulais, je ne pourrais pas me payer des billets. »

Demandes syndicales pour le personnel de soutien scolaire

  • des postes à temps complet
  • la fin des horaires brisés
  • la valorisation de tous les emplois de soutien scolaire
  • une meilleure conciliation famille-travail

Source : Fédération du personnel de soutien scolaire (FPSS-CSQ)

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  • 84 396
    Nombre de membres du personnel de soutien scolaire au Québec
    Source : ministère de l’éducation