Du strict point de vue du nombre, elles sont encore trop rares. Les embûches n'ont pas disparu. L'accès à la profession est toujours aussi difficile. Le «plafond de verre», évoqué pour la première fois, dit-on, dans Le mur invisible d'Elia Kazan en 1947, est toujours là.

Le cinéma québécois reste pour l'essentiel un univers d'hommes. Un boys club où se sont taillé une place enviable une poignée de productrices influentes, mais qui n'accepte les réalisatrices dans ses rangs qu'au compte-gouttes.

Celles qui parviennent à réaliser des films, en raison des structures de financement insuffisantes ou inadéquates, en raison aussi de notre incapacité à soutenir correctement le talent émergent, n'arrivent pas à tourner aussi souvent qu'elles le voudraient, et avec des budgets parfois dérisoires.

On n'a qu'à penser à Manon Briand, jeune cinéaste phare des années 90 qui, après les très remarqués Cosmos (qu'elle a coréalisé avec Jennifer Alleyn, Marie-Julie Dallaire, André Turpin, Arto Paragamian et Denis Villeneuve), 2 secondes et La turbulence des fluides, a dû attendre 10 ans avant de pouvoir réaliser Liverpool en 2013.

La qualité importe davantage que la quantité. Aussi, si elles sont peu nombreuses, les cinéastes québécoises ont plus que fait leur marque dans notre paysage cinématographique depuis une décennie. Avec notamment des longs métrages de fiction variés, percutants, qui marqueront, à terme, l'histoire de notre cinéma.

Des cinéastes comme Anaïs Barbeau-Lavalette qui, cinq ans après Le ring, très beau premier long métrage sur des jeunes du quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, a réalisé en 2012 Inch'Allah, une oeuvre bouleversante, lumineuse, d'un réalisme cru, inspiré par ses propres séjours en Israël et en Palestine.

Ou encore Sophie Deraspe, qui après Rechercher Victor Pellerin (2006), faux documentaire très inventif, a proposé un deuxième long métrage sensible et subtil sur un canevas grave et mélancolique, Les signes vitaux (2010), faits d'éclats d'humour absurde et de petites touches d'humanité, autour des questionnements éthiques sur le suicide assisté. La cinéaste vient de signer un nouveau film, Les loups.

Des cinéastes d'oeuvres farouchement indépendantes telles Myriam Verreault (À l'ouest de Pluton, 2008) ou Anne Émond, dont le premier long métrage, l'audacieux et radical Nuit #1 (2011), est une proposition décalée, exigeante, aussi fascinante que par moments irritante.

Des cinéastes qui creusent leur sillon patiemment, sans esbroufe, comme Ghyslaine Côté (Elles étaient cinq, Le secret de ma mère), Guylaine Dionne (Le fantôme des trois Madeleine, Serveuses demandées) ou Lyne Charlebois, qui dans Bordeline (2008), a rendu avec grande justesse l'univers singulier de l'auteure Marie Sissi-Labrèche.

Julie Hivon, qui après le charmant Crème glacée, chocolat et autres consolations (2001), a signé 10 ans plus tard Tromper le silence, un film suave, fluide, intimiste et minimaliste, de tensions et d'atmosphères, ainsi que Qu'est-ce qu'on fait ici? il y a quelques semaines. Nathalie Saint-Pierre, qui avec la même sensibilité que pour Ma voisine danse le ska (2003), a réalisé Catimini en 2013, un film émouvant, s'intéressant aux parcours de quatre filles malmenées par la vie et à leurs difficultés à s'adapter à la vie en foyer d'accueil.

Des cinéastes établies comme Micheline Lanctôt (Le piège d'Issoudun, Suzie, Pour l'amour de Dieu), Carole Laure (Les fils de Marie, CQ2, La capture, Love Projet), Denise Filiatrault (L'odyssée d'Alice Tremblay, Ma vie en cinémascope) ou Léa Pool (Le papillon bleu, Maman est chez le coiffeur, La dernière fugue), qui ont proposé depuis 10 ans certains de leurs meilleurs films en carrière.

D'autres cinéastes de talent telle Catherine Martin (Trois temps après la mort d'Anna, Dans les villes, Mariages) ou Louise Archambault (Familia, Gabrielle), qui font à leur tour rayonner le cinéma québécois à l'échelle internationale. Et de nouvelles voix, brillantes, fortes, assumées, comme celle de Chloé Robichaud - dont le premier long métrage, Sarah préfère la course, a eu l'honneur d'une sélection officielle à Cannes en 2013 - , pour nous permettre de croire que le meilleur est encore à venir.

Photo: Ninon Pednault, La Presse

Anaïs Barbeau-Lavalette

40 ans de vues rêvées

C'est un beau livre, joliment illustré, fait de portraits et de regards rétrospectifs sur 40 ans de cinéma de femmes au Québec. Depuis La vie rêvée de Mireille Dansereau en 1972, premier long métrage de fiction québécois réalisé par une femme, une soixantaine de réalisatrices d'ici ont ajouté leur pierre à l'édifice du cinéma québécois.

Un nouvel ouvrage, 40 ans de vues rêvées - l'imaginaire des cinéastes québécoises depuis 1972 (Éditions Somme toute), sous la direction de Marquise Lepage et à l'initiative du groupe Réalisatrices équitables, retrace leur parcours.

Les portraits sont signés Anna Lupien (qui a aussi réalisé les photographies), Pascale Navarro, Élodie François et Joëlle Currat. Les regards rétrospectifs par Fabrice Montal, Odile Tremblay, Michel Coulombe et Manon Dumais. Pour un tour d'horizon fascinant.