Un événement peu connu, mais très significatif dans la carrière d'Ayrton  Senna s'est déroulé au début du mois de mai 1984. Le jeune pilote brésilien venait à peine de débuter en Formule 1 au sein d'une écurie de fond de grille, Toleman.

Malgré sa faible notoriété, il avait été invité par Mercedes-Benz à disputer une course promotionnelle sur le petit circuit du Nürburgring dont l'ouverture coïncidait avec le lancement de la nouvelle Mercedes-Benz 190 E 2,3-16 Cosworth, une berline sport bonifiée par un brillant moteur à 16 soupapes, une technologie rare à l'époque.

Pour marquer le coup, le constructeur allemand avait convié toute une brochette de pilotes de F1 toujours actifs et quelques-uns fraîchement retirés à participer à une course d'une quinzaine de tours. Senna était de la partie en compagnie de son futur ex-ami Alain Prost, Niki Lauda, Jacques Lafitte, Dennis Hulme, John Surtees, Jack Brabham, Phil Hill, Nigel Mansell, Keke Rosberg et quelques autres.

Parti sur la première ligne à côté d'Alain Prost, Senna avait mené de bout en bout, se moquant de tous les grands champions dont il était entouré, démontrant sa grande aisance sous la pluie qui tombait se jour là. Il ne fallait pas être un grand stratège pour voir en lui un futur champion du monde. Et quelques jours plus tard, au Grand Prix de Monaco, conduisant sa misérable Toleman, le jeune débutant (c'était son 5e Grand Prix seulement) répéta son exploit du Nürburgring en profitant de la pluie pour monter jusqu'à la seconde place. Il s'apprêtait à fondre sur Prost quand la course fut interrompue par Jacky Ickx, un geste encore critiqué de nos jours.

Que cet épisode soit complètement ignoré dans le récent film documentaire sur la vie et la carrière de Senna m'a passablement déçu, au point où je ne partage pas l'admiration collective pour ce film qualifié de chef-d'oeuvre pas plusieurs.

Peut-être m'avait-on trop vanté la qualité de l'oeuvre et que mes attentes étaient trop élevées? Toujours est-il que la première partie, surtout, ne m'a pas emballé outre mesure. Les images d'archives sont médiocres et je suis sûr qu'un peu plus de recherche aurait permis de retrouver un matériel moins « amateur » que celui utilisé dans cette rétrospective de la carrière de Senna. Je suis sûr par exemple que Radio-Canada possède de meilleures images des Grands Prix disputés par le triple champion du monde vers la fin des années 80.

Qui était Senna?

J'ai regretté aussi que ce long documentaire ne s'attarde pratiquement pas à l'homme qu'était Senna. On a l'impression d'assister à un résumé de la carrière de sa carrière course par course. En ce sens, le film est unidimensionnel et ne nous apprend rien sur les liaisons amoureuses de l'individu, ses goûts,  sa personnalité, ses manies, etc. On le voit à peine lors de ses débuts en go-kart et à l'occasion de quelques activités familiales, mais sa vie privée reste inexplorée. Seules ses profondes convictions religieuses sont bien présentes dans le film. Son immense générosité n'est même pas effleurée.   

Heureusement, l'intérêt grandit en seconde partie suite à cette haine que se vouait Senna et Prost lors de leur séjour chez McLaren. Alors que Senna s'apprêtait à célébrer le Championnat du monde au Japon,  le président de la FIA lui avait retiré le titre sous prétexte qu'il avait court-circuité une chicane, donnant ainsi la victoire et le championnat à Prost. Cela sentait le chauvinisme à plein nez étant donné que le personnage responsable de cette décision était l'imbuvable Jean-Marie Balestre, un véritable modèle de suffisance.

Le film nous montre aussi une interview assez jouissive durant laquelle Senna remet à sa place en direct Jackie Stewart qui l'accuse de gagner des courses en provoquant trop d'accidents. Le reste du film est une sorte de crescendo vers l'horreur. Une sorte de malaise s'installe chez Senna alors qu'il vient de signer avec Williams Renault, l'écurie gagnante du temps. On le sent inquiet, préoccupé et enfoncé dans sa bulle.Les images sont meilleures, plus animées avec d'excellentes prises du cockpit des voitures. La violence du sport devient plus apparente et elle nous achemine vers le weekend le plus sombre, le plus tragique qu'ait connu la Formule 1 dans toute son histoire : l'épouvantable accident de Barrichello en pratique, la mort de Ratzenberger en qualification, un inquiétant carambolage au début de la course et l'insupportable séquence menant au décès d'Ayrton Senna. On se sent alors suffisamment remué pour oublier les ratages de la première partie du film.