Qu’importe: cette GT demeure attachante et (très) désirable. Hélas, elle est réservée à une poignée d’élus qui – surenchère des concessionnaires oblige – devront débourser beaucoup plus que les 185 000 exigés par Ford. D’accord, c’est beaucoup d’argent par rapport à une Ferrari dont le blason est plus exclusif que celui à l’ovale bleu. Mais comment rester insensible devant des galbes aussi chargés d’émotion que d’histoire?

Le mois prochain:la Corvette Z06.

Un gros compte-tours vous remplit les yeux tandis que le compteur de vitesse est relégué au centre de la voiture, tout en étant orienté vers le conducteur. La GT reprend également les commutateurs style aviation, aussi élégants que peu faciles à atteindre. À ce propos, l’ergonomie est passée au second plan: le frein à main, situé à droite du gros tunnel, est inatteignable, tout comme les commandes des phares, trop éloignées.

Les puristes pourront regretter la présence de quelques pièces venues de la production en grande série, ou encore de la qualité de fabrication pas toujours égale (deux exemplaires étaient proposés à la presse). Quant aux rangements, ne perdez pas votre temps: il n’y en a pas. Il faut se contenter du petit coffre aménagé sous le capot (le moteur loge derrière, ne l’oubliez pas).

Aisée à prendre en mains, même si la dureté des commandes et la course trop longue de l’embrayage demandent de l’attention, rassurante et prévisible dans ses réactions (à condition que la chaussée soit sèche et lisse), cette GT met vite en confiance sur circuit... Sur route, c’est une autre histoire. Elle braque comme un camion et il est pratiquement impossible d’exécuter une manœuvre à basse vitesse sans l’assistance d’un passant. Et le confort, vous dites? Quel confort?

Mais la GT n’est pas qu’une bête de course. Il s’agit aussi d’une sportive civilisée, qui se veut une option aux valeurs établies telles que la Ferrari F430 ou encore la Lamborghini Gallardo. Et rayon séduction, la Ford n’a pas à rougir de la comparaison avec ces deux fougueuses italiennes.

Pénétrer dans l’habitacle de la GT est déjà un enchantement, tant l’esprit de la GT40 est respecté. Bien que plus haute que sa mythique devancière, la GT des temps modernes est cependant plus basse que ses concurrentes de l’heure. On ne s’installe pas à bord, on s’y couche. Un rituel relativement aisé et facilité par les portières débordant largement sur le toit. Attention toutefois de ne pas vous cogner au moment de les refermer, car l’espace libre au-dessus de la tête est vite comblé. Une fois aux commandes, les sens s’éveillent à la vue des ailes fortement galbées. La jante du volant bien grasse, le pommeau satiné dont les dimensions l’apparentent à celles d’une balle de baseball, et ce gros bouton rouge qui ne demande qu’à être pressé pour réveiller ce V8 qui dort dans notre dos. Preuve additionnelle que vous êtes au centre de l’action, sachez que la console centrale renferme le réservoir d’essence…

La présentation intérieure s’inspire étroitement de celle de son aînée, ce qui n’empêche pas Ford de la moderniser un peu en la dotant de plusieurs accessoires de confort (climatisation, glaces électriques, etc.) et de sécurité (coussins gonflables, phares au xénon, etc.).

Il s’agit maintenant d’inscrire la bête dans le virage rapide qui se dessine à droite. Aussitôt après, la GT bondit dans la – trop-courte – ligne droite qui suit. Solidement campé sur ses pneus – 315/45R19 – le train arrière chevillé à l’asphalte permet d’enfoncer sereinement l’accélérateur sans se soucier de l’absence d’antipatinage. Tout au moins sur le sec. Car sur une surface mouillée, on imagine qu’il faudra faire preuve de modestie en l’absence de garde-fous électroniques (il n’y pas de dispositif de stabilité, non plus). Seul l’ABS a été retenu par les ingénieurs.

Déjà costaud au ralenti, le gros V8 de 5,4 litres suralimenté par compresseur manifeste toute la hargne de ses 500 livres-pied de couple, et pousse un grondement digne, selon nous, de la GT40 victorieuse au Mans dans les années 60. Pas le temps de prêter une oreille trop attentive: il faut déjà rétrograder en deuxième pour négocier le virage suivant. Le levier de vitesse s’accroche. Il faut de la poigne pour se faire obéir. Par chance, le couple du moteur permet d’éviter pas mal de changements de vitesses. Le moteur ne manque pas de ressources et pousse très très fort. Sa musique n’est assurément pas aussi stridente que celle d’un V8 de Ferrari. Mais qu’importe: faute de son, il y a toujours l’image. L’image de ce moteur aux culasses bleues emprisonnées dans des tubulures ne faisant appel qu’à des matériaux nobles: aluminium, carbone et magnésium. Du beau travail qu’on ne se lasse pas d’admirer.

À peine sorti du virage, en voilà un autre qui me saute à la figure. Ici, il suffit de soulager l’accélérateur et de trouver le point de corde. Mais où est la piste au fait. Assis au ras du sol, si bas dans mon siège que mon regard passe à peine au-dessus du volant, j’hésite à braquer. Heureusement, de petits pylônes orange aident à trouver le chemin, ou plutôt à se jeter au bon endroit. La direction est un régal de précision. Franche (2,7 tours de volant) et communicative, elle permet de pincer le point de corde sans effort. Ne pas réaccélérer trop tôt, sinon la GT élargit la trajectoire… Ni trop fort, sans quoi la belle peut glisser violemment de l’arrière, comme l’a appris un peu plus tôt l’un de mes collègues. Suit un petit gauche-droit rendu inoffensif par une rangée de pylônes, avant de déboucher de nouveau sur la ligne droite des puits pour réaliser une dernière boucle du circuit, et retour aux puits. Mes quatre tours de manège sont terminés. Par chance, il y en aura d’autres avant la fin de la journée.

La GT dévore la piste goulûment depuis deux tours… Juste au moment où la confiance s’installe, il est déjà l’heure de rentrer aux puits. Pas cette fois. Tu peux en faire un autre si tu veux, me lance mon chaperon avant de franchir la ligne d’arrivée.

«Oui, m’sieur», ou plutôt «Yes, sir».

Avec 550 chevaux, la montée n’a été qu’une formalité vite expédiée, tandis que la puissance du freinage, genre bateau qui jette l’ancre, m’incruste la ceinture de sécurité dans les côtes. C’est reparti pour un autre tour.