Par une coïncidence ironique, une cour du Maine vient de commencer à entendre le recours collectif. Presque au même moment où des avocats torontois ont déposé une autre poursuite, au nom des automobilistes canadiens qui veulent magasiner dans les concessionnaires américains pour profiter de la faiblesse du billet vert.

Par une coïncidence ironique, une cour du Maine vient de commencer à entendre le recours collectif. Presque au même moment où des avocats torontois ont déposé une autre poursuite, au nom des automobilistes canadiens qui veulent magasiner dans les concessionnaires américains pour profiter de la faiblesse du billet vert.

Dans les deux cas, une question fondamentale s'impose: les lois antitrust canadiennes et américaines s'appliquent-elles aux cas impliquant des compagnies des deux pays? «Il nous faut prouver que les compagnies américaines et leurs filiales canadiennes ont conspiré pour garder le prix des voitures au Canada élevé», explique Henry Juroviesky, l'avocat torontois qui dirige le recours collectif déposé à la fin septembre. «À moins que ce soit interdit par la garantie, un concessionnaire a le droit de refuser d'aider un consommateur qui a acheté sa voiture ailleurs, pour protéger son marché. C'est comparable à un magasin d'électronique qui refuse de reprendre un produit défectueux acheté chez un concurrent. Mais si deux concessionnaires s'entendent ensemble pour limiter les achats croisés de clients de leurs deux territoires, ça devient une infraction à la libre concurrence.»

En d'autres mots, Me Jurovieseky s'attend à ce qu'il soit plus facile d'attaquer l'interdiction pour les concessionnaires américains de vendre aux clients canadiens. La question de la garantie sera aussi au coeur du procès. «Certaines garanties ne s'appliquent qu'à un pays, mais beaucoup englobent à la fois le Canada et les États-Unis, dit l'avocat torontois. Nous allons beaucoup apprendre en étudiant en détail le recours collectif dans le Maine.»

L'Europe est aux prises avec un problème similaire: le prix des voitures varie énormément d'un pays à un autre (en France, par exemple, le prix moyen d'une Peugeot 307 est 31% plus élevé qu'en Finlande), et la Commission européenne a adopté en 2002 des mesures visant à réduire les entraves à la concurrence d'ici la fin 2007. Selon un rapport du printemps dernier, le tiers des automobilistes européens paient plus de 20% trop cher pour leur voiture. Bon an, mal an, la Commission européenne impose des dizaines de millions d'euros d'amendes aux constructeurs automobiles qui restreignent abusivement les ventes entre pays.

«C'est une tâche très difficile», explique Christian Navarre, professeur de gestion à l'Université d'Ottawa. «La Commission européenne n'a pas réussi à complètement unifier son marché, malgré des efforts importants. À la base, les constructeurs peuvent toujours s'appuyer sur les règlements environnementaux et de sécurité qui varient d'un pays à l'autre. Ici, par exemple, les règlements sur les capots sont différents : au Canada, les normes protégeant les piétons sont plus sévères qu'aux États-Unis.»

D'autres barrières financières compliquent le tableau. «En théorie, le libre-échange permet d'unifier les coûts des produits entre deux pays», explique Lorne Swifter, professeur de gestion à l'Université Concordia. «J'ai fait une étude pour le secteur minier, par exemple, où le coût des équipements s'est unifié très rapidement, dès la fin des années 80. Mais l'unification des prix est en partie compromise par les barrières financières. Par exemple, il y a des restrictions à l'achat d'actions canadiennes par des Américains. De même, les dossiers de crédit ne sont pas vraiment transférables, ce qui peut compliquer l'achat d'une voiture de l'autre côté de la frontière, quand un prêt auto est impliqué.»

Pour contourner le problème, certains font affaire avec des intermédiaires, selon Bruce Cran, de l'Association des consommateurs du Canada. «Il est possible d'acheter n'importe quelle voiture aux États-Unis et de se la faire livrer au Canada, affirme M. Cran. Il suffit de payer la commission de l'intermédiaire. Mais ça ne devrait pas être nécessaire. Les automobilistes canadiens devraient pouvoir magasiner aux États-Unis sans subir de conséquences négatives.»

La position des intermédiaires est d'ailleurs fragile, selon Me Juroviesky. «Quand le huard était faible, l'un de mes clients vendait aux États-Unis des voitures qu'il achetait au Canada. C'était une entreprise de location d'autos. Après un an ou deux, il fallait qu'elle renouvelle son parc automobile. Elle en obtenait un meilleur prix aux États-Unis. Elle a reçu une lettre du fabricant l'avertissant qu'elle ne pourrait plus bénéficier du tarif de flotte si elle continuait à vendre ses voitures usagées aux États-Unis. Elle a cessé de le faire : pour une compagnie de location d'autos, il est impossible d'être rentable sans le tarif de flotte.»