La mise au point des biocarburants est entravée par la réglementation entourant les arbres et plantes génétiquement modifiés, affirment des chercheurs américains. Le délai d'approbation des essais de nouvelles variétés génétiquement modifiées a décuplé dans la dernière décennie.

«L'introduction de plantes exotiques fait face à moins de réglementation que les essais de plantes génétiquement modifiées», indique Steven Strauss, professeur de foresterie à l'Université d'État de l'Oregon, qui a publié son étude l'automne dernier dans la revue Bioscience avec d'autres biologistes et des spécialistes en droit de l'environnement. «Il faut souvent plus d'un an pour faire approuver un projet de recherche, il y a des frais énormes de préparation de dossier et le spectre de poursuites après. Les restrictions rendent plusieurs projets impossibles. Il faut voir quelles sont nos priorités en tant que société: moins de dépendance envers les hydrocarbures ou le principe de précaution pour se protéger contre d'éventuels effets négatifs des organismes génétiquement modifiés (OGM). Je comprends qu'on puisse s'y opposer pour préserver les champs des agriculteurs biologiques de la contamination, mais pour les arbres, je ne vois pas.»

Les arbres et les plantes non alimentaires sont des candidats intéressants pour les biocarburants parce qu'ils n'entrent pas en concurrence avec la consommation humaine. En 2008, une hausse du prix de la tortilla au Mexique avait été liée aux subventions américaines à l'éthanol, fabriqué à partir de maïs. Les arbres contiennent beaucoup de matière susceptible d'être transformée en carburant, mais aussi de la lignine, une substance qui la rend difficile à transformer, entre autres obstacles à leur utilisation pour les biocarburants.

M. Strauss s'indigne aussi que des considérations autres que scientifiques s'ingèrent dans le processus d'approbation. «Un projet important de luzerne génétiquement modifiée pour servir de biocarburant est bloqué depuis qu'un juge californien a décrété que les opinions anti-OGM de certains groupes devaient être prises en compte, au-delà de leur validité scientifique. On donne aux consommateurs un poids dépassant leurs simples préférences d'acheteurs.» Le microbiologiste s'insurge aussi contre l'exclusion des OGM par les grands systèmes de certification de foresterie durable, comme le Forest Stewardship Council.

OGM: impacts trop risqués?

Chez Greenpeace, le responsable du dossier des OGM, Éric Darier, balaie du revers de la main la sortie de M. Strauss. «Les biocarburants devraient être évalués dans un cadre du cycle de vie complet, y compris les risques associés aux OGM. Comme les arbres peuvent répandre de grandes quantités de pollen sur de grandes distances, il faut se poser la question à savoir si on veut vraiment prendre ce type de risque. C'est simplement incroyable que l'on puisse dire qu'il y a trop de réglementation sur l'approbation des OGM! Tout a été fait pour justement rendre les autorisations plus faciles.»

De son côté, la présidente de l'Association américaine pour l'avancement de la science, qui regroupe plus de 100 000 chercheurs et publie la revue Science, appuie la position de M. Strauss. «Je suis d'accord avec ses conclusions», indique Nina Fedoroff, biochimiste à l'Université d'État de Pennsylvanie.

Un rapport d'activistes britanniques sur les biocarburants de deuxième génération, catégorie qui inclut les OGM, souligne que les promesses des chercheurs et de l'industrie dans le domaine alimentaire, par exemple des plantes résistantes à la sécheresse ou au sel, ont souvent été difficiles à réaliser. De plus, notent les chercheurs de Biofuelwatch et Econxus, entre le cinquième et le quart des espèces animales forestières dépendent de débris - branches mortes, morceaux d'écorce - absents des forêts commerciales.

Selon M. Strauss, les projets de recherche de biocarburants forestiers, qui vont de la luzerne au peuplier en passant par l'eucalyptus, tentent d'améliorer le taux de croissance, la structure chimique, la densité, la tolérance aux insectes, au froid, à la sécheresse et à la chaleur, et le taux de fertilité. Ce dernier trait permettrait aux variétés génétiquement modifiées de ne pas transmettre leurs modifications génétiques aux populations sauvages, mais fait l'objet d'une campagne de dénigrement, visant les gènes «terminator» de stérilité, déplore le microbiologiste.

Deux des six auteurs ont des liens avec des entreprises agroalimentaires. La revue Bioscience, qui comporte un comité de lecture (peer review), est publiée par l'Institut américain de sciences biologiques, qui compte 5000 membres.