Ces dernières années, on a beaucoup parlé de la chute des ventes de véhicules utilitaires sport (VUS). Mais une grande différence existe entre les deux époques: les ventes d'essence ne diminuent plus même si son prix augmente.

Ces dernières années, on a beaucoup parlé de la chute des ventes de véhicules utilitaires sport (VUS). Mais une grande différence existe entre les deux époques: les ventes d'essence ne diminuent plus même si son prix augmente.

Voilà 30 ans, chaque fois que le prix de l'essence augmentait de 20%, la consommation par habitant chutait de 6%, selon un économiste de l'Université de Californie à Davis, Jonathan Hughes. Ces derniers temps, une augmentation similaire n'amène qu'une baisse de la consommation de 1%. Et pourtant, comme le prix est plus élevé, l'écart en valeur absolue est encore plus grand que dans les années 70.

Les automobilistes canadiens semblent eux aussi avoir la couenne dure. En 2006, alors que l'essence coûtait 6% de plus qu'en 2005, la consommation nationale n'a pas bougé, à 41 milliards de litres, selon le ministère fédéral des Ressources naturelles. «On aurait pu penser que la demande aurait baissé», note le Ministère dans un rapport.

La raison de cette apathie, selon M. Hughes, est l'étalement urbain. «Les gens habitent de plus en plus loin de leur travail, avance-t-il en entrevue téléphonique. Ils n'ont pas le choix de conduire, et ne peuvent pas vraiment se passer d'une voiture confortable parce qu'ils y passent une portion importante de la journée. À la fin des années 70, il y avait beaucoup plus de gras où couper. Il y avait probablement des déplacements superflus. Il faut aussi noter qu'il y a davantage de familles où les deux conjoints travaillent. Quand on ne travaille pas, il est plus facile de rationaliser ses déplacements.»

L'économiste californien a fait méticuleusement ses devoirs. Il a comparé deux périodes de cinq ans où le prix de l'essence a augmenté de 66% (en dollars constants), de novembre 1975 à novembre 1980, et de mars 2001 à mars 2006. Durant ces intervalles, les prix à la pompe ont connu des variations importantes, notamment durant l'été, grâce à la combinaison des grandes vacances et des fermetures annuelles des raffineries pour fins d'entretien. Cette analyse devrait être applicable au Canada, selon M. Hughes, même si la plus forte popularité des petites voitures au nord de la frontière limite l'impact de l'annulation de certains déplacements superflus.

Cette indifférence n'est pas nécessairement une mauvaise chose, selon M. Hughes. «Ça indique que les gens ont davantage confiance en l'avenir, et aussi qu'ils sont plus créatifs dans leur utilisation des instruments financiers (comme les cartes de crédit) pour absorber les chocs temporaires. Il faut se souvenir qu'à la fin des années soixante-dix, il y avait eu plusieurs pénuries locales avec des files interminables aux pompes. Ça donnait un sentiment de catastrophe. C'est sûr qu'on peut parfois voir la vie trop en rose. Mais l'optimisme n'a jamais été négatif en tant que tel.»

La faute aux raffineries

Traditionnellement, le Canada est un exportateur d'essence. Mais à quelques reprises au cours des deux dernières années, notamment en février dernier durant une pénurie en Ontario, le pays a dû importer de l'essence pour satisfaire la soif des automobilistes.

L'introduction de l'essence à teneur réduite en souffre, en 2006, a allongé les périodes annuelles d'entretien des raffineries. Ce sont de mauvaises nouvelles pour ceux que le prix à la pompe angoisse: une bonne part des récents pics du coût de l'essence est due à des goulots d'étranglement au niveau des raffineries.

Depuis 30 ans, leur nombre est passé de 40 à 19 au Canada, ce qui limite la flexibilité du marché. Le resserrement des normes environnementales et la stagnation du prix de l'essence entre 1985 et 2000 expliquent le phénomène. Tout n'est pas perdu: aux États-Unis, une vague d'agrandissements de raffineries semble commencer. Shell, notamment, a annoncé l'agrandissement d'une raffinerie texane dont la capacité doublera à 600 000 barils par jour.