Après Britannicus de Racine, il y a cinq ans, Florent Siaud revient au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), pour diriger un autre classique du répertoire : Le Misanthrope de Molière. Une œuvre qui sonne et résonne particulièrement à notre époque très clivée et fragmentée.

« Le devoir de la comédie est de corriger les hommes en les divertissant », a écrit Molière, dans sa préface de Dom Juan, en 1665, un an avant la création du Misanthrope.

Ce n’est pas Florent Siaud qui vous dira le contraire. Le jeune quarantenaire – qui fait carrière entre l’Europe et le Québec – voit dans ce chef-d’œuvre de Molière une « expérience philosophique profonde ». « L’ambiguïté de la pièce est une métaphore du côté changeant et mouvant de la nature humaine. Dans Le Misanthrope, les personnages ne sont jamais sûrs de rien ; surtout pas de leurs relations avec les autres », résume-t-il en entrevue avec La Presse, quelques jours avant la première de la production, ce mardi soir au TNM.

Selon Siaud, Le Misanthrope est « la plus belle et la plus maîtrisée des pièces de Molière ». Et la plus contemporaine. « L’œuvre s’impose aujourd’hui parce que nous vivons à une époque de polarisation, de division et d’intransigeance morale », avance-t-il.

On ne discute plus avec les gens qui ont une opinion différente. On rejette les idées divergentes aux nôtres. Or ici, Molière nous fait réfléchir à la question de l’éthique en exposant un éventail de points de vue et son contraire sur le bien commun.

Florent Siaud, metteur en scène

Le Misanthrope met en scène Alceste (Francis Ducharme), un homme colérique qui ne se reconnaît plus dans la société aristocratique dans laquelle il vit. Et la femme qu’il aime, Célimène (Alice Pascual), une jeune veuve jolie et rusée, objet de toutes les galanteries. Le confident d’Alceste est son ami Philinthe, joué par Alex Bergeron. On retrouve aussi Dany Boudreault en Oronte, un amant de Célimène, qui va traîner Alceste en cour, vexé par la critique qu’il a faite de son sonnet.

  • Francis Ducharme joue Alceste, personnage-phare du répertoire français

    PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

    Francis Ducharme joue Alceste, personnage-phare du répertoire français

  • Le comédien Alex Bergeron est Philinthe.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

    Le comédien Alex Bergeron est Philinthe.

  • Alice Pascual sera Célimène, l’un des personnages féminins les plus importants du XVIIe siècle, sur la scène du TNM.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

    Alice Pascual sera Célimène, l’un des personnages féminins les plus importants du XVIIsiècle, sur la scène du TNM.

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Le Misanthrope juxtapose la noirceur de la mélancolie d’Alceste à la lumière de l’humanisme de Philinthe. Deux visions opposées du monde qui, malgré les apparences, ne sont pas incompatibles. « On balance tous entre l’intransigeance d’Alceste et l’harmonie de Philinthe », estime Siaud, en spécifiant que la question a fait débat dans la troupe durant les répétitions. « La pièce brouille les cartes en présentant deux postures morales rigides. Mais la société est plus compliquée. Dans la vie, on se demande tous [parfois] s’il faut cohabiter, ou s’isoler des autres, pour être heureux. »

En vers et contre tous

Quand Jean-Baptiste Poquelin termine Le Misanthrope en 1666, il est en plein élan créateur, malgré la maladie. L’auteur signera une vingtaine de pièces et de ballets jusqu’en 1673, année où il a créé Le malade imaginaire, son ultime pièce… avant de mourir quelques heures après la quatrième représentation au Théâtre du Palais-Royal.

La pièce est écrite en vers de douze pieds ; une langue à la fois « poétique et politique »… et difficile à se mettre en bouche. « Mais je trouve ça important de la faire résonner sur scène aujourd’hui. Je cite souvent aux acteurs le mot de Boileau : “Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément”. L’alexandrin permet de communiquer des pensées claires. Ce qui est précieux dans le monde d’aujourd’hui, où l’expression est plus diffuse, brouillonne. Entre autres sur les réseaux sociaux. »

Florent Siaud a beaucoup travaillé les vers avec la troupe, mais aussi la gestuelle. Il a choisi des interprètes très physiques, athlétiques.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Florent Siaud pose un regard clair-obscur sur la pièce en vers de Molière, aux échos très contemporains.

Pour moi, l’alexandrin n’est pas du tout une forme d’expression muséale. C’est une langue charnelle, organique et sensorielle.

Florent Siaud, metteur en scène

Au centre de la pièce, on retrouve aussi le personnage de Célimène, souvent jugé superficiel. À tort : « On ne saisit pas toujours la force et l’intelligence de Célimène, l’un des personnages féminins les plus importants du XVIIsiècle, croit Siaud. Il faut changer notre regard sur les héroïnes de la littérature de l’époque de Molière. Célimène est une incarnation de la polyamoureuse et de la femme libre, émancipée. Elle n’est pas une coquette pour un sou », conclut le metteur en scène.

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Le Misanthrope

Le Misanthrope

De Molière, mise en scène de Florent Siaud

Au TNM jusqu’au 10 février, La pièce fera une tournée dans quelques villes du Québec, du 28 février au 28 mars.