À l'occasion du retour de la mythique série Twin Peaks, nous avons demandé à trois spécialistes de nous donner leur définition d'oeuvre culte et de nous faire quelques suggestions de films ou de séries qui ont créé de fervents adeptes.

SAMUEL ARCHIBALD

Professeur de littérature, écrivain et cofondateur du site pop-en-stock consacré à la culture populaire

« L'oeuvre culte est une oeuvre qui n'appartient ni à la culture savante ni à la culture grand public, avec laquelle des spectateurs entretiennent une relation intensive. Là où les oeuvres de la culture savante sont étudiées à l'université et où les oeuvres de la culture populaire sont en général consommées rapidement et ensuite plus ou moins oubliées par leur public, l'oeuvre culte est adorée par un public de fans qui lui vouent un culte, assez littéralement. On assiste religieusement aux projections clandestines ou nocturnes (comme The Rocky Horror Picture Show), on en décortique et en analyse les moindres épisodes et tous les mystères (Twin Peaks, The X-Files), on en vénère les interprètes et les artefacts qu'on collectionne ou qu'on va voir dans les conventions. 

« L'oeuvre culte est l'objet d'une dévotion. Son statut particulier pour ses adorateurs prend racine selon moi, la plupart du temps, dans une esthétique particulière, qui clashe autant avec le bon goût de la haute culture qu'avec les esthétiques consensuelles du mainstream : elle est souvent de mauvais goût (allô John Waters), bizarre, baroque, excessive, camp, mais aussi, souvent, visionnaire à sa façon. Elle ne correspond ni aux goûts du plus grand nombre ni aux critères institutionnels de son époque, elle ne gagne pas de prix et ne fracasse pas de record d'entrées, mais, pour un groupe d'initiés plus ou moins étendu, elle est vraiment l'affaire la plus extraordinaire qui existe. »

Trois jalons : 

Star Trek (1966-1969)

« Une série plus ou moins ignorée à sa sortie, annulée après trois saisons, mais jamais oubliée par ses fans, les Trekkers, qui en ont fait un véritable phénomène de société pour les cinquante années à venir. »

The Rocky Horror Picture Show (1975)

« Le film culte par excellence : tout croche, pas vraiment bon, complètement "over the top", le film continue de faire l'objet de visionnements improvisés et festifs 40 ans après sa sortie. Ici, tout est dans l'expérience du film : le travestissement, la franche déconnade collective, la démesure. »

John Carpenter, pour l'ensemble de son oeuvre

« Un exemple plus sympathique que l'hégémonie Star Wars de la démocratisation du culte : le fait que l'oeuvre de ce cinéaste bizarre (friand du mélange des genres), qui n'a connu qu'un vrai succès critique et commercial dans sa vie (Halloween, en 1978), soit devenue l'une des plus souvent imitées, citées, pillées des 30 dernières années, autant au cinéma qu'en musique et dans les arts visuels. John Carpenter est un prophète pop qui fait l'objet d'un culte bien mérité. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Samuel Archibald

ANOUK WHISSELL

Cinéaste, membre du collectif Roadkill Superstar qui a réalisé le film (déjà culte !) Turbo Kid

« Pour moi, la définition du film ou de la série culte est assez simple : il s'agit d'une oeuvre qui, indépendamment de son genre, de son niveau de qualité ou même de son succès au box-office, a réussi à toucher et à rassembler soit un groupe très précis, soit une génération entière de fans extrêmement dévoués et passionnés dont l'admiration survivra à l'épreuve du temps. Ces fans ne font généralement pas les choses à moitié et vont collectionner les produits dérivés, organiser et fréquenter des évènements, fabriquer et porter des cosplays (costumes très détaillés) de leurs personnages favoris, créer des fanarts, des fanfictions ou se faire tatouer en hommage à leurs oeuvres favorites. 

« Il n'y a pas de recette pour créer une oeuvre culte et ce ne sont pas les mêmes motivations qui pousseront les fans à vouloir lui vouer un culte. Ça peut être un ou des personnages, l'esthétique, l'univers, quelque chose qui sort de l'ordinaire ou même parfois le ridicule de l'oeuvre entière, et c'est pour cette raison qu'on pourra autant attribuer le titre culte à des nanars à la The Room de Tommy Wiseau qu'à la saga interstellaire Star Wars. On ne décide pas de faire une série ou un film culte, ce sont les fans qui ont le pouvoir d'élever ou non une oeuvre à ce titre. »

Trois jalons : 

Breaking Bad  (2008-2013)

« Probablement ma série préférée à vie. Elle a eu un tel succès qu'on a maintenant droit au spinoff Better Call Saul. »

The Big Lebowski (1998)

« Ce film des frères Coen n'a malheureusement pas fait fureur lors de sa sortie en salle, mais s'est avéré être l'un des plus grands films cultes à la suite de sa sortie vidéo et grâce à son armée d'admirateurs. Il existe même un festival en son honneur. »

Friday the 13th

« Cette franchise compte 12 films ! Le tueur au masque de hockey est vite devenu le slasher le plus connu de la pop-culture. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Anouk Whissell

JARRETT MANN

Président fondateur du festival SPASM, consacré au cinéma insolite et de genre

« Le terme "culte" le dit, il faut des groupes de gens qui vouent véritablement un culte à un film ou une série, qu'ils peuvent regarder à l'infini, qui sont prêts à payer pour le revoir sur grand écran. Ils connaissent les répliques par coeur, les costumes, les personnages... On le voit avec les projections participatives qui poussent un peu partout dans le monde, le public connaît déjà le film, les gens peuvent crier les répliques tous ensemble, se costumer - la comédie The Rocky Horror Pictures Show est l'exemple parfait de cela.

« On mélange souvent le classique avec le film culte, qui sont à mon avis deux choses complètement différentes. Avatar n'est pas un film culte, même s'il a été un immense succès. Au festival Spasm, j'ai découvert cette intensité en faisant une projection spéciale de Back to the Future 2, le 21 octobre 2015 (la date où le personnage va dans le futur). C'était incroyable de voir la réaction des gens, et c'était un phénomène mondial ! »

Trois jalons : 

Back to the Future

« Je ne pouvais pas passer à côté, c'est un grand succès de SPASM. Pour les répliques, les costumes et les dates. »

Slapshot

« On a pu voir à quel point c'était culte pour le 40e anniversaire. Les francophones comme les anglophones aiment les deux versions... Et les gens se costument encore en frères Hanson ! »

Turbo Kid

« Il y a clairement des gens qui vouent un culte à ce film. Il y en a même qui se font tatouer les personnages. Tu ne peux pas être plus culte que ça ! »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRéCHETTE, archives LA PRESSE

Jarrett Mann