Quand Sophie Prégent rencontre des comédiens à la recherche de contrats, on lui demande souvent d'intervenir pour obliger les producteurs à organiser plus d'auditions. Or, son influence sur ce plan est très limitée, répond-elle. Notre télé fait-elle assez de place à des comédiens moins connus pour des premiers rôles? «On manque d'audace», répond sans détour la présidente de l'Union des artistes (UDA).

Depuis le début de votre mandat à titre de présidente de l'Union des artistes, avez-vous eu des échos voulant qu'il y ait moins d'auditions pour les projets en télévision qu'autrefois?

Oui, je pense que c'est vrai qu'il y a moins d'auditions. Quand je suis sortie de l' [École nationale de théâtre], en 1990, il y en avait certainement plus. [...] [À l'époque], le réalisateur avait un droit de veto sur l'oeuvre et la distribution, ce qui est peut-être encore vrai, mais il doit maintenant aussi influencer et convaincre le producteur et le diffuseur. [...] Quand on lance une série, maintenant, les cinq à dix premiers rôles sont pas mal décidés d'avance. Le diffuseur a aussi son mot à dire. Il peut carrément dire «je veux un tel», car s'il n'est pas d'accord [avec le choix d'un comédien], ça ne fonctionnera pas. Merci, bonsoir, c'est à ce point-là. [...] Je trouve donc moi aussi qu'on manque d'audace, et je ne cacherai pas que je trouve ça extrêmement dommage. Il y a des [comédiens] qui ont beaucoup de talent au Québec et qu'on voit peu ou pas du tout.

Pourquoi ferait-on moins d'auditions, selon vous?

Parce que [les auditions] ajoutent une étape supplémentaire à la préproduction. [...] Comme on «deal» avec des budgets plus petits, la préproduction [prend parfois le bord], et on part les projets sur les chapeaux de roues. Parfois, on peut m'appeler pour 15 jours de tournage qui commencent la semaine suivante. Avant, on recevait ces appels un, deux ou trois mois d'avance. Ça n'existe plus. Maintenant, tu travailles avec les premières versions des textes et ça change ensuite en cours de route sur le plateau. [Dans ce contexte], quand on coupe dans les budgets, c'est [parfois les auditions] qui deviennent plus [restreintes]. On joue «safe» parce qu'on a moins d'argent. On sait que telle ou telle personne tourne vite et bien. On ne tente plus de chance avec des comédiens qui ont moins d'expérience. Mais c'est très difficile pour nous, à l'Union des artistes, de réagir à cela.

Que pouvez-vous faire, justement?

C'est la prérogative du producteur de décider avec qui il veut travailler. Bien sûr, ceux qui viennent nous voir en assemblée générale annuelle se plaignent, car ils voudraient travailler plus. Ils nous demandent de mettre de la pression sur les producteurs pour qu'ils soient obligés de faire des auditions, mais ça n'existe pas, une obligation de faire des auditions. Nous avons 54 ententes collectives et aucune n'oblige le producteur à faire des auditions. C'est comme si on me demandait d'apprendre mon texte d'une façon bien précise. Ça, c'est dans ma cour, et si j'arrive sur le plateau et que je ne connais pas mes répliques, le producteur peut ne plus jamais me reprendre. Alors que peut-on faire? On peut inciter les producteurs, les influencer, les convaincre, mais ça reste que je n'ai pas de droit de regard [sur la distribution] et que je me vois très mal arriver à la table de négociation pour les obliger [à faire des auditions]. Je ne peux pas faire ça.

Que diriez-vous aux producteurs et aux diffuseurs pour les convaincre de faire plus de place aux comédiens moins connus? En quoi est-ce payant pour eux de faire preuve d'audace?

C'est payant pour tout le monde. En fait, l'idée de la culture n'a jamais été de donner aux gens ce qu'ils veulent voir et de leur prémâcher tout en ne prenant aucun risque pour que le résultat soit de 1,1 million de téléspectateurs. On devrait avoir le mandat de créer une télévision qui est plus nouvelle, plus innovatrice. Si on joue toujours à l'intérieur du même carré de sable, personne ne gagne. Ni nous ni le téléspectateur, qui n'est pas fou et qui voit bien que c'est le même acteur qui joue à deux postes différents, mais à différents moments de la semaine. Il faut donc créer un mouvement! C'est sain de voir des gens différents. Vincent Leclerc avait raison [au dernier gala des Gémeaux]. Ça faisait des années qu'il faisait son métier, mais on ne le connaît que depuis Les pays d'en haut. Et pourtant, quel talent! Le fait qu'on a mis autour de lui des gens plus connus a probablement beaucoup aidé [à vendre l'idée qu'il interprète le rôle de Séraphin]. Trouvons donc des remorques, disons-le comme ça, aussi bêtement. Plaçons des gens moins connus et bourrés de talent entourés de Guy Nadon, de Marie Tifo, de Guylaine Tremblay ou d'Élise Guilbault. Là, on va créer un nouveau produit qu'on n'a pas vu nulle part. Ève Landry, quand elle a commencé dans Unité 9, tout le monde capotait! On en voulait plus, on en redemandait! Alors ce n'est pas vrai que le public n'est pas prêt. C'est comme pour la place que l'on fait à la diversité culturelle. C'est faux de dire que les gens ne sont pas prêts.