En créant le Fonds des médias du Canada, le ministre James Moore a dit vouloir récompenser le succès et encourager l'innovation. Or, pour l'instant, tant du côté de la télévision que du web, la décision d'Ottawa semble plutôt nourrir le mécontentement et l'incertitude. Nos journalistes font le point.

L'inquiétude règne dans le milieu de la télévision. Le mystère entourant les règles régissant le Fonds des médias, qui remplacera en avril 2010 le Fonds canadien de télévision (FCT) et le Fonds des nouveaux médias, crée de l'incertitude chez les producteurs.

Résultat: certains projets télévisuels pourraient être mis sur la glace tant que les nouveaux paramètres concernant le financement des émissions ne seront pas connus. Ainsi, les mordus de téléséries québécoises, qui attendent avec impatience les nouveautés marquant le début de chaque saison, pourraient être déçus l'an prochain si, tenus dans l'ignorance, producteurs et diffuseurs décident de mettre le pied sur la pédale de frein.

«Il reste encore beaucoup de points d'interrogation, déplore la présidente et directrice générale de l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ), Claire Samson. Je pense que ce sont les diffuseurs qui risquent de ne pas aller de l'avant (avec de nouveaux projets) parce qu'ils ne sauront pas à quoi s'en tenir. À l'heure actuelle, le FCT donne une certaine prévisibilité aux diffuseurs quant à l'enveloppe dont ils vont disposer.» Or, impossible de savoir ce qu'il adviendra l'an prochain avec la disparition du FCT, surtout que Radio-Canada a perdu l'assurance de toucher 112 des millions distribués.

Depuis l'annonce de la création de ce nouveau Fonds en mars - qui bénéficiera d'un apport de 134,7 millions du gouvernement fédéral, plusieurs questions restent sans réponse. Et les critères d'admissibilité ainsi que les paramètres de fonctionnement du nouveau fonds ne seront pas connus avant plusieurs mois. Le conseil d'administration ne sera d'ailleurs formé qu'en juin, à l'occasion du Festival de la télévision de Banff. Une période de consultations afin de prendre le pouls des producteurs, des diffuseurs et des associations d'artistes sera ensuite entamée. «Pour l'instant, c'est difficile pour nous de donner des détails, indique la directrice du Fonds canadien de télévision, Betsy Chaly. Ça va prendre quelques mois.»

Et c'est ce qui inquiète la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC). La présidente du conseil d'administration, Sylvie Lussier estime qu'il reste bien peu de temps pour tout mettre en place avant l'entrée en vigueur du Fonds des médias, prévue dans un an. D'ici là, elle est également d'avis que la situation peut influencer le type de productions qui verront le jour. «Les producteurs ne vont pas se lancer tant qu'ils ne sauront pas s'ils vont pouvoir être financés, souligne-t-elle. Il n'y a personne qui se lance sans filet.»

Plus prudents dans leurs commentaires, les producteurs interrogés par La Presse affirment qu'ils espèrent avoir bientôt plus de détails sur les changements à venir. «Nous sommes présentement dans une situation de «wait and see»», souligne Vincent Leduc, vice-président de Zone 3 (Infoman, Le coeur a ses raisons).

Dictature de la cote d'écoute

De plus, les producteurs craignent que Patrimoine Canada insiste trop, avec ce nouveau Fonds, sur les cotes d'écoute lorsque viendra le moment de distribuer de l'argent.

«Par ce changement, nous voulons aider nos radiodiffuseurs et nos producteurs à contribuer à l'économie canadienne, tout en répondant aux attentes des Canadiens», a déclaré le ministre du Patrimoine, James Moore lors de l'annonce de la création du Fonds. Il a été impossible d'obtenir davantage d'explications à ce sujet de la part de Patrimoine Canada, hier.

Ainsi, les émissions de téléréalité et les jeux télévisés comme La poule aux oeufs d'or ou Le banquier pourraient-elles bientôt prendre d'assaut les grilles-horaires des chaînes de télévision au détriment des documentaires et des séries plus audacieuses? Ce scénario n'est pas impossible, craint Claire Samson.

Chez Cirrus communications, la boîte qui produit notamment Tout sur moi et Belle-Baie, la présidente Josée Vallée admet être dorénavant plus prudente devant de nouveaux projets. «Est-ce que les diffuseurs vont continuer à être audacieux? se demande-t-elle. Est-ce qu'on va continuer à prendre des risques?»