À 18 ans, le fils de Françoise Hardy et de Jacques Dutronc s'était mis sérieusement à la musique pour devenir un respectable guitariste de style jazz manouche, admirateur indéfectible de Django Reinhardt. Ce n'est qu'un des pans de son univers dont l'artiste dévoile plusieurs facettes en formule cabaret aux FrancoFolies montréalaises.

On escalade quelques étages de ce noble édifice parisien, situé non loin de l'hôtel de ville. On pénètre dans un lieu vivant, ensoleillé, vitré de tous côtés, habité par de bonnes ondes. On est frappé par les sourires des convives et celui de leur hôte (des musiciens qui viennent de terminer une session). Aussi frappé par les murs blancs qui contrastent avec ceux, sombres et noirs, du mythique logis de ses non moins mythiques parents - tels que décrits par les scribes de la pop culture française il y a un quart de siècle plus tôt.

À la mi-trentaine Thomas Dutronc s'avère un homme charmant, cultivé et courtois. Sans rechigner, il répondra généreusement aux questions de son interlocuteur.

D'abord, on s'adresse au musicien. Mélomane de très bon niveau, il s'est découvert une passion de guitariste à la fin de l'adolescence. Alors qu'avant, il s'affichait plus discrètement; étudiant studieux, jeune homme poli, démarcation rassurante (ou opposition inconsciente?) face à la trajectoire plus flamboyante de ses fameux parents.

«Je suis toujours en train de réécouter Django, Monk ou Bach. C'est vrai que j'aime beaucoup le jazz et la musique classique. J'écoute moins les guitaristes manouches d'aujourd'hui. J'en aime plusieurs tout de même; Biréli Lagrène, Stochelo Rosenberg, Angelo Debarre, Tchavolo et Dorado Schmitt ...»

Même si son apprentissage de la guitare fut tardif, Thomas Dutronc a atteint un niveau technique assez élevé pour accompagner le virtuose Biréli Lagrène, dans le cadre du Gipsy Project. «Avec lui, j'étais venu au Spectrum de Montréal, je faisais la guitare rythmique. Nous y avions reçu un accueil incroyable», relate-t-il, encore touché par l'accueil des jazzophiles québécois.

Devenu un guitariste de session et d'accompagnement dans les hautes sphères du jazz manouche, Thomas Dutronc a peut-être réalisé qu'il ne deviendrait pas un grand virtuose.

«Je pourrais encore faire que de la musique instrumentale mais... quand vous jouez avec Biréli, vous comprenez que la barre est haut et que la compétition est difficile. Si tu n'es pas au top, ça peut devenir une forme de sacerdoce. C'est ma passion mais il me faut aussi faire autre chose pour être moi-même. Après tout, je ne suis pas manouche...»

Ainsi, Thomas a fréquenté les limites du genre.

«Auparavant, on faisait des concerts à trois chaises avec un rideau noir derrière. Pas facile... Au bout de quatre morceaux, même nos copines en avaient marre ! Pour faire de la musique instrumentale il faut que ce soit magique du début à la fin sinon il y a des quintes de toux au bout d'un quart d'heure!»

Un soir, Thomas a rencontré son pote M (Mathieu Chedid, qu'il fréquente depuis l'enfance) au sortir d'une soirée cabaret qu'il avait trouvé très moyenne.

«Après lui avoir dit que je pouvais faire bien mieux que ce à quoi je venais d'assister, M m'a encouragé à faire des spectacles, estimant qu'avec mon humour, mon univers, mes copains chanteurs et musiciens, je pourrais faire quelque chose de bien. Il m'a alors présenté des gens du milieu.

«J'ai donc créé un spectacle, il y a près de trois ans. Avec l'intention de recréer sur scène l'ambiance d'une bonne soirée où l'on reçoit des gens chez soi. Ce qui implique une convivialité pour des invités différents les uns des autres. Une soirée où tu peux avoir des éléments de virtuosité mais aussi de la variété. Ce la me semble plus agréable que de rendre un hommage un peu chiant à Django!

«Dans cette optique, j'ai réuni une équipe qui pouvait animer tout ça, avec l'objectif d'atteindre un vaste public. J'ai songé à une mise en scène, des personnages, des décors, des ombres chinoises, des éclairages. Ainsi, on pouvait passer d'un Besame Mucho façon Wes Montgomery à un O Sole Mio réarrangé, pour ensuite jouer une suite de Bach, un standard de Django, un Kurt Weill, un tube disco, une bossa nova, un pot-pourri de chansons populaires jouées dans le style manouche, quelques chansons originales comme Les Frites bordel

Afin de promouvoir ce spectacle où Thomas reçoit chez lui au sens figuré (et dont nous pourrons goûter la version la plus aboutie, quatre soirs durant aux Francos), un enregistrement devint nécessaire voire essentiel.

«On voulait recréer le même univers sur disque, avec un habillage sonore varié, un peu cinématographique. J'ai contacté des arrangeurs, on a fait des essais en studio puis je me suis dit que c'était bien d'offrir quelques chansons originales. Après en avoir composé quelques-unes, j'ai pensé recruter des chanteuses... mais aucune ne pouvait toutes les faire... Je ne pouvais tout de même pas avoir cinq chanteuses sur scène ! Jusqu'au dernier moment, je n'aimais pas m'entendre. Et on a fini par me convaincre de chanter. Avec la scène, ça a été... je me suis bien rodé.»

Ainsi, l'album Comme un manouche sans guitare fut lancé l'automne dernier.

«Xavier Bussy et Frédéric Jaillard, les arrangeurs du disque, y ont joué un peu de tout. Ils sont très Beatles alors que mon groupe est plus jazz, funk, etc. Cela dit, mon disque est sorti à l'image du spectacle.»

Et l'héritage familial?

«Là où il a des gènes il peut y avoir du plaisir», résume Thomas, fils de Françoise et Jacques après qu'on lui eut posé la question à cent piastres.

«Lorsqu'on m'interroge sur mon héritage familial, je dis que mes parents ont mis la barre haut. Je dis aussi que mon père a mis le bar haut ! C'est donc une grande force d'avoir une telle famille, mais cette force peut être écrasante. Il faut donc, comme au judo, accompagner cette force au tapis pour éviter d'être écrasé. C'est ce que j'ai fait en étant moi-même, en créant mon univers... Ça ne m'a jamais trop stressé, en fait.»

«Bien sûr, j'ai déjà eu un coup de vertige à l'époque de mes 17 ans. Je m'étais dit putain, mes parents ont assuré, qu'est-ce que moi je vais foutre mais sinon, j'ai toujours eu pas mal d'aura, du succès auprès de mes copains, ça a toujours bien été. D'autant plus qu'en tant que « fils de », je ne peux oublier qu'on aime bien mes parents... Et que mes parents me soutiennent.»

Et le Thomas coiffe sa réponse polie et généreuse d'une fin cabotine;

«Si les gens admirent mes parents, ils m'admirent car je suis encore plus abouti qu'eux. Car j'ai été plus loin dans leurs tares et leurs névroses, leurs psychoses multiples. Et c'est peint en blanc chez moi! J'assume, finalement, j'ai gardé le même nom. En tout cas, je m'efforce d'être à la hauteur de ce nom. Bon, je n'ai pas Jacques Lanzmann pour m'écrire des textes mais j'ai fait ce qu'il fallait pour être digne de mes parents.»

«Ça ne me dérange pas d'en parler mais je n'ai vraiment pas envie d'être résumé à ça. Lorsqu'on me présente seulement comme «fils de» ou encore que l'on m'étiquette guitariste de jazz manouche, je dis que ce n'est vraiment pas tout ce que je suis.»

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Thomas Dutronc se produit à compter de ce soir et ce jusqu'à samedi, 20 h, au Pavillon Air Transat.